La lecture intertextuelle de l'ivrogne dans la brousse d'Amos Tutuola( Télécharger le fichier original )par Ukize Servilien Université de Montréal - Maitrise 2008 |
2.1.1. Le contexte socio-historique de l'oeuvreAmos Tutuola est né en 1920 à Abeokuta au Nigeria d'une famille pauvre. Il a connu les difficultés pour la poursuite de ses études. À l'âge de douze ans, il partage son temps entre la vie de domestique et d'écolier. L'année 1934 voit son départ à Lagos, où il fréquente les cours du collège. Il les abandonne en 1936 et rentre au village : il n'avait plus les moyens de payer les frais de scolarité. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, Tutuola est enrôlé dans les troupes britanniques à Lagos. Démobilisé, il travaille comme planton et coursier dans un ministère. C'est pendant cette période que jaillit l'idée en lui, de coucher sur papier certaines histoires entendues lors de son enfance, empruntées directement du répertoire yoruba : J'avais trouvé un poste de planton à Lagos, en 1946 au Ministère du Travail. Je restais là, dans cet état pénible et misérable, quand une nuit, il me vint à l'esprit d'écrire mon premier livre L'ivrogne dans la brousse, et j'ai réussi parce que j'étais déjà conteur, quand j'étais à l'école. C'est comme ça que je suis devenu écrivain.115 Le chef-d'oeuvre de Tutuola a connu jusqu'ici une grande fortune. Porté sur scène116, L'ivrogne dans la brousse a été traduit en plusieurs langues, 115Tutuola cité par Michèle Dussutour-Hammer, op.cit., p. 25. 116L'ivrogne dans la brousse, au Théâtre de la Tempête, adapté et mis en scène par Philippe Adrien (2002). Il existe aussi une adaptation théâtrale du Nigérian Kola Ogunmola en langue yoruba intitulée Omuti (1962). Traduite par Jide Timothy-Asobelle, L'Ivrogne, Lagos, Manuscrit, 1982, elle a été couronnée avec la médaille d'argent au Festival Panafricain d'Alger en 1969. dont le français117, l'italien, le croate, l'allemand, le suédois, le danois, le tchèque, le norvégien, le japonais et le russe. Sa réécriture récente, sous la plume de Michèle Laforest, témoigne ainsi du succès littéraire de cette oeuvre. En effet, dans son livre intitulé Tutuola, mon bon maître, cette auteure propose au lecteur un récit émouvant, par une réécriture/relecture de l'oeuvre de Tutuola. Celui-ci prend place parmi ses fantômes comme personnage. Et voilà qu'un beau matin, il disparaît subitement de son domicile d'Ibadan. C'est Femme Plume, la chevaucheuse des autruches, qui est auteure de ce rapt. Nestor, serviteur et biographe, se met directement à la recherche de son maître. Il réussit à le retrouver et à le ramener dans sa demeure, au bout d'un parcours jonché d'obstacles, à travers la brousse. C'est grâce aux grigris reçus de Mère Secourable et au concours de «Soeur Mary qui est aussi un peu féticheuse118», que Nestor arrive à défier Femme Plume. Ce récit, « nourri d'une connaissance intime de l'univers de Tutuola», apparaît comme «ce jeu entre réel et fiction qui ne cesse de déplacer et brouiller les frontières du roman.119» Ainsi quarante-six ans après son apparition en anglais, L'ivrogne dans la brousse ne cesse d'intéresser le public. Tutuola a publié d'autres récits sur le même ton. Une production de la même veine où, tout en visant «le triomphe humain», il présente «un univers effrayant où la technique n'est qu'une sorcellerie de plus qui coexiste avec les 117 Publié chez Faber sous le titre original de The Palm-Wine Drinkard and His Dead Palm-Wine Tapster in the Deads' Town (1952), ce livre a été traduit en français par Raymond Queneau, aux Éditions Gallimard. 118 Michèle Laforest, Tutuola, mon bon maître, Bordeaux, Confluences, 2007, p. 51. 119 Ibid. (Quatrième de couverture). mentalités traditionnelles.120» Citons entre autres publications Ma vie dans la brousse des fantômes121, Simbi et le satyre de la jungle noire 122 et La Femme Plume.123 L'auteur de L'ivrogne dans la brousse «est pleinement reconnu comme une sorte de classique, d'ancêtre de la littérature africaine.124» Il est l'un des premiers Africains à être lu et traduit à travers le monde. On lit, en effet, en quatrième de couverture de Ma vie dans la brousse des fantômes, que «[j]usqu'au Prix Nobel de Wole Soyinka, Tutuola était [comme] Chinua Achebe le plus célèbre et le plus traduit des écrivains du Nigeria.125» Malgré ses détracteurs, il demeure ainsi «l'un des plus talentueux représentants d'une génération d'écrivains nigérians novateurs, qui ont pris possession de la littérature africaine pour en faire un indispensable maillon de la culture contemporaine.126» Il est décédé en 1997. 120Le Robert encyclopédique des noms propres, Paris, Le Robert, 2008, p.2299. 121Amos Tutuola, Ma vie dans la brousse des fantômes, Paris, Belfond, 1988; Paris, U.G.E., 1993. 122Amos Tutuola, Simbi et le satyre de la jungle noire, Paris, Belfond, 1994. 123Amos Tutuola, La Femme Plume, Paris, Dapper, 2000. 124Dominique Jullien, «Zazie dans la brousse», The Romanic Review, Columbia University, 2000[en ligne]. Disponible sur < http://www.accessmylibrary.com/coms2/summary_0286- 1909523_ITM> (consulté le 2009-02-15). 125Amos Tutuola, Ma vie dans la brousse des fantômes, op.cit. (Quatrième de couverture). 126Valérie Thorin, op.cit. |
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