3.2. L'étude architextuelle de L'ivrogne dans la
brousse
L'analyse architextuelle de l'ouvrage de Tutuola, que nous
abordons dans cette partie de notre travail, a pour objet de définir
les
164 Catherine Belvaude, op.cit., p.190.
165Ibid., p.173.
166Josias Semujanga, op.cit., 1999,
p.22-23.
relations qu'il entretient avec différents genres
littéraires. En effet, l'architextualité ou l'étude
intergénérique consiste à déceler dans une oeuvre
la présence d'autres genres. D'emblée, il faut souligner que
l'étude paratextuelle de L'ivrogne dans la brousse le range
dans le genre romanesque, étant donné qu'il est écrit et
porte le sous-titre de roman. 167 La définition de ce terme
demeure cependant floue et imprécise, parce que le genre romanesque est
libre et « tend à être considéré davantage
comme un métagenre à cause de sa capacité
d'intégrer d'autres genres et pratiques
littéraires.168»
De nombreux théoriciens de la littérature ont
depuis longtemps essayé de donner une définition du roman, mais
aucune ne s'applique à l'ensemble. À l'origine, le concept
désigne une oeuvre écrite non en latin, mais en roman. À
l'époque où les moines rédigeaient encore la vie des
saints en latin, le roman, langue parlée, n'avait d'emploi
littéraire que dans les chansons de geste, épopées de
tradition orale récitées ou chantées par les
trouvères et les troubadours. Le roman devient un moyen d'expression
d'oeuvres écrites au moment précis où naît un genre
qui va précisément concurrencer, puis supplanter la chanson de
geste. On l'appellera le roman, un genre littéraire écrit
reposant sur la narration, concept qui semble avoir rapidement
évolué vers l'idée de fiction.
Les métamorphoses du roman au cours des siècles
ne permettent cependant pas de l'enfermer dans une définition,
étant donné qu'il s'est
167 Cette mention, qui figure sur l'édition de 1953 de
la collection Du Monde Entier de Gallimard, a été omise pour la
nouvelle édition de 2000 parue dans L'Imaginaire, collection des textes
rares du même éditeur.
168Josias Semujanga, op.cit., 1999, p.14.
toujours comporté comme un genre sans règles
formelles. À l'opposé du théâtre ou la
poésie, «le roman ne possède pas de
canons.169» C'est «un genre qui respecte difficilement les
règles, puisqu'il se nourrit des formes les plus diverses,
littéraires ou non-littéraires.170» Il n'a donc
pas de règles normatives destinées à le contraindre. Ainsi
le genre romanesque se caractérise par une capacité à
intégrer « d'autres traits formels spécifiques à
d'autres genres littéraires.171»
Sans pour autant nous perdre dans l'historique de ce «
genre indéfini 172 », nous pouvons rappeler ici quelques
définitions des dictionnaires de ce concept. Le Littré
considère le roman comme une «histoire feinte, écrite
en prose, où l'auteur cherche à exciter l'intérêt
par la peinture des passions, des moeurs, ou par la singularité des
aventures.173» Pour Le Petit Larousse, il s'agit d'un
« récit en prose [...] dont l'intérêt est dans la
narration d'aventures [...].174» Le Multi Dictionnaire de
la langue française parle, lui, d'une «oeuvre d'imagination
d'une certaine longueur où l'auteur s'attache à créer des
personnages, à faire revivre des aventures, à décrire des
moeurs.175» Le Hachette reste aussi dans la même
logique : «récit de fiction en prose, relativement long [...], qui
présente comme réels des personnages dont il décrit les
aventures, le milieu social, la psychologie.176» Quant
au Petit Robert, il propose la définition suivante du roman :
« OEuvre
169Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et
théorie du roman, Paris, Gallimard, 1978, p.441.
170Josias Semujanga, op.cit., 1999, p.190.
171Ibid., p.13.
172L'expression est empruntée à Marthe
Robert, Roman des origines et origines du roman, Paris, Gallimard,
1972.
173 Le Nouveau Littré, Paris, Éditions
Garnier, 2007, p. 1655.
174 Le Petit Larousse illustré, Paris, Larousse,
1999, p. 898.
175 Marie-Éva de Villers, Multi Dictionnaire de la
langue française, Montréal, Éditions
Québec/Amérique, 2003, p. 1294.
176 Dictionnaire Hachette, Paris, Hachette, 1980, p.
1116.
d'imagination en prose, assez longue, qui présente et
fait vivre dans un milieu des personnages donnés comme réels,
fait connaître leur psychologie, leur destin, leurs
aventures.177»
Il ressort de toutes ces définitions que le roman est
tout d'abord une oeuvre de fiction, qui relate des aventures. Mais il n'y a pas
que le roman d'aventures. Car, en effet, Le Grand Robert distingue,
par exemple, le roman historique, le roman psychologique ou d'analyse, le roman
de cape et d'épée, le roman de guerre, le roman de reportage, le
roman de moeurs, le
roman pastoral, le roman exotique, régionaliste ou
paysan, le roman à cléou autobiographique, le roman
policier, le roman de science-fiction, le
roman idéaliste, précieux ou allégorique,
le roman naturaliste ou réaliste, le roman intimiste, le roman
humoristique ou satirique, le roman épistolaire, le roman
expérimental, le roman à thèse178. Les
typologies sont tellement multiples qu'on opère même des
classements sur le plan formel, thématique, etc. La question qui nous
préoccupe ici est d'analyser les aspects caractérisant le mieux
le récit de Tutuola.
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