CHAPITRE II : Les cas de non-rattachement
Il convient de rappeler qu'il appartient à
l'étranger de préserver et d'exprimer son identité. Le
rattachement juridique n'a de valeur que s'il s'accompagne d'un réel
attachement aux valeurs nationales et au pays. Il apparaît donc des cas
de non-rattachement à partir du moment où il n'y a pas ce
rattachement juridique c'est-à-dire la nationalité (section II)
ou que ce rattachement juridique est contredit dans les faits par une
assimilation (section I) au peuple d'accueil.
Section I : L'assimilation
Comment perçoit-on l'assimilation ? Est-elle une
réalité chez les Burkinabé de l'étranger ?
Après avoir défini le concept d'assimilation (paragraphe I),
analyse sera faite sur l'existence du phénomène chez les
Burkinabé de l'extérieur (paragraphe II).
Paragraphe I : Le concept d'assimilation
On peut envisager l'assimilation comme un processus
d'intégration à un ensemble dominant, l'intégration
elle-même étant entendue comme le fait de faire partie à
part entière d'une collectivité. Ainsi, l'intégration est
vue comme une phase essentielle de la vie à l'étranger.
L'assimilation en est le stade suprême. Elle se manifeste par une perte
de l'identité d'origine au profit de l'identité du pays
d'accueil, un non retour au pays d'origine et l'absence d'attache avec ce
dernier.
De mémoire d'homme il n'existe pas de
peuple34 aussi dispersé que le peuple juif. Au devant des
affaires économiques et même politiques à l'échelle
mondiale, les Juifs se distinguent pourtant par leur culture et leur tradition
et résistent à l'assimilation dans les pays où ils vivent.
Partout où ils sont, la solidarité est de mise :
solidarité entre eux et solidarité envers leur pays d'origine,
Israël. Hormis les voyages privés, un pèlerinage est
organisé chaque année par et pour la diaspora juive en
Israël.
34 Ensemble de personnes constituant une nation ou
partageant les mêmes valeurs
Mais qu'en est-il de la diaspora burkinabé ?
Paragraphe II : Un phénomène
constatable dans les communautés burkinabé à
l'étranger
Les réponses aux questions évoquées plus
haut sur les retours et autres visites au Burkina renseignent peu. Certains
enquêtés ont évoqué le coût
élevé du transport qui les empêche de s'y rendre
régulièrement. L'échantillon n'étant pas
représentatif (les personnes rencontrées étaient d'un
certain niveau intellectuel), il a fallu certaines recherches et des entretiens
auprès de personnes ressources, ce qui permet de constater qu'il y a des
brebis égarées dans la diaspora burkinabé.
Pas plus longtemps qu'en 2003, des Burkinabé ont
été expulsés de Côte d'Ivoire,
dépouillés de leurs biens. Certains ont pu rejoindre la
frontière par leurs propres moyens et d'autres par
l'opération Bayiri35 organisée à cet
effet par l'Etat burkinabé. Il est regrettable que des Burkinabé
reviennent dans cet état, eux qui n'ont pas préparé leur
retour et qui n'en ont pas eu ni le temps ni le choix. Plus regrettable est que
nombre d'entre eux arrivent sans repère. Accueillis transitoirement au
Stade du 4 août, ils ont été enregistrés et
interrogés sur leurs villages d'origine. On note des réponses
surprenantes du genre : « je ne sais pas », « on
m'a dit que je viens de... mais je ne sais pas où ça se trouve
», etc. Il s'est agi quelquefois de personnes âgées de
plus de 40 ans. Ont-ils eu le choix et le temps de chercher bien avant à
découvrir le village de leurs parents ? Eux, Ivoiriens de fait à
qui on a inculqué à tort que le Burkina n'était qu'une
jungle, un endroit effrayant et que par punition on les y enverrait passer un
séjour. Ont-ils seulement daigné vérifier et
s'intéresser à la mère patrie ? Des jeunes
Burkinabé entretenus sur la question ont avoué se sentir plus
Ivoiriens.
En outre, dans un reportage effectué par une
équipe de la Télévision nationale sur les
Burkinabé du Ghana en 2001, on a pu observer la même
réalité. Des patriarches qui disent ne plus retourner au pays
depuis belle lurette ; on y voit
35 Nom donné à l'opération de
rapatriement volontaire des Burkinabé en difficulté en Côte
d'Ivoire, signifiant littéralement patrie en langue vernaculaire
more.
même un chef de communauté, la quarantaine
révolue, qui avoue n'être jamais venu au Burkina. Dans ce
documentaire, il apparaît que la communauté burkinabé est
forte de près de six millions de personnes mais
l'intégration est telle qu'il est difficile d'établir
une distinction avec les Ghanéens de souche. On compte parmi ces
Burkinabé plusieurs cadres de rang élevé mais ceux-ci ne
foulent presque jamais le sol burkinabé. Quelle que soit la situation
socioéconomique qu'ils vivent, les visites et les retours au Burkina
sont quasiinexistants. Les uns évoquent le manque de terre et d'attache.
D'autres demandent que les concours de la Fonction publique leur soient ouverts
en tenant bien entendu compte de leur langue d'instruction (anglais) ; sans
quoi le Burkina n'a aucun intérêt pour eux.
Que devient un expatrié qui n'a quelque contact que ce
soit avec son pays d'origine ? Il se laisse guider par le courant de
l'intérêt personnel et donc s'assimile à la
société la « plus offrante » au détriment de la
société originaire. On aboutit à une situation où
l'individu se voit national de fait du pays d'accueil sans en avoir la
nationalité juridique. Il n'est rattaché ni culturellement ni
juridiquement à son pays d'origine. C'est la situation que vivent
beaucoup de Burkinabé du Ghana et de la Côte d'Ivoire. Les termes
« paweogo36 » et « tabouga
37» sont utilisés pour qualifier ce type de
migrants. Ils désignent des personnes assimilées n'ayant plus
d'attache avec leur pays d'origine et sa culture. Cela aboutit, comme le dit
Frantz FANON dans son roman Peau noire, masque blanc,
à une situation de bâtardise, d'hybridité : tandis qu'ils
renient la mère patrie, la terre d'accueil les récuse.
Sont le plus concernés, les fils de migrants nés
sur le territoire du pays d'accueil encore appelés immigrés
de deuxième génération. Leur proportion est plus ou
moins importante suivant les localités. Par exemple le recensement
général de la population et de l'habitat de Côte d'Ivoire
de 1988 estimait déjà que trois immigrés burkinabé
sur cinq étaient nés sur le territoire ivoirien. Ce sont des gens
qui connaissent à peine le Burkina et sont devenus Ivoiriens de
naissance. Une opposition constante entre ces deux types de Burkinabé
36 Terme en langue more qui signifie
littéralement « rester en brousse », la brousse signifiant
dans la tradition moaga le reste du monde.
37 Terme en langue more qui signifie «
déraciné, égaré »
(primo-migrants et immigrés de deuxième
génération) de la diaspora ou celle entre jeune et ancienne
génération menace la cohésion et l'unité au sein de
la communauté des Burkinabé de l'extérieur. D'où ce
constat de Reynald BLION : « en quête d'une identité qui
se révèle difficile à construire, les jeunes se trouvent
pris entre deux mondes, celui des parents faits d'images et de
références constantes au pays d'origine et celui bien réel
de la société ivoirienne dans laquelle ils ont toujours
vécus38. » Les Burkinabé de
l'étranger vivent donc permanemment un conflit entre
l'intégration et l'assimilation.
Cette situation n'est pas sans conséquence car
au-delà de la non-reconnaissance de certaines personnes par les autres
membres de la communauté, il y a la non-reconnaissance de celles-ci par
l'Etat d'origine et l'Etat d'accueil c'est-à-dire l'apatridie et ses
conséquences.
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