4.2.2. La dynamique rela tionnelle e t la reputation, de
nouveaux criteres de legitimite mal compris par les journalis tes.
Dans le cadre d'une plate-forme de publications, des sortes de
communautés se créent autour de thématiques ; les
internautes suivent l'évolution des autres membres au fil de leurs
publications (en l'inscrivant par exemple dans « mes contacts ») et
jugent leur contribution sur le long terme. Les appréciations rentrent
donc également dans le cadre d'interactions interpersonnelles (option
« envoyer un message privé ») au long terme pour les membres
les plus réguliers. Dès lors, nous avons observé que
même si le nom ou le statut de la personne n'est pas
précisé, la validité de la source est reconnue selon un
large processus de cooptation entre abonnés.
Nous faisons donc l'hypothèse que la communauté
des internautes s'auto-régule selon des critères implicites de
légitimité, basée sur une reconnaissance des pairs, qui
peut etre comparée a la confiance d'un journaliste a sa source. Etablis
dans la durée et par un recoupement d'avis a grande échelle, ces
nouveaux critères de fiabilité ne sont pourtant pas reconnus par
les journalistes. Ces derniers ne reconnaissent par les UGC comme pouvant etre
des sources fiables, car nonofficielles et difficilement identifiables.
Pourtant, le pseudonymat n'est pas en soit un problème
dans une communauté d'abonnés oil le compte est nominatif et ne
peut etre recréé en modifiant uniquement son adresse courriel. La
fréquentation régulièrement du site par les utilisateurs
entralne un processus d'identification des abonnés les plus actifs oil
dont les posts sont les plus notés. De la
découle un phénomène régulateur de
réputation, qui fait que la charte éditoriale est largement
respectée alors qu'elle n'est souvent pas lue par les internautes. La
réputation est alors a double détente, a la fois carotte et baton
dans la mesure oil s'effectue une sorte de contrôle (par exemple signaler
un abus, ou réagir a un commentaire qui semble excessif) et
d'émulation mutuelle (enrichir le débat). Cela prémunit
peu ou prou contre la tentation du
freerider83 et des
trolls84 dans la mesure oil ces interactions prennent
place dans une « communauté ».
83 Cf. Lexique, annexe 2.
Comme l'indique Dominique Cardon :
3
la reputation et la notoriete sur Internet se
construisent sur la base de
l'audience et sont mesurees par l'ensemble des
reseaux de contributeurs,
commentateurs, evaluateurs et diffuseurs, qui se
greffent a tel ou tel site,
de sorte que la notoriete n'est jamais donn~e (par
un statut) mais acquise
par un travail de conviction et d'interessement.
Enfin, l'Internet ne connatt
pas les silencieux. Pour y etre present et reconnu,
bref legitime, il faut agir,
contribuer, ecrire, recommander, repondre. L'espace
public de l'Internet
offre toujours une prime aux agissants sur les
internautes passifs. »85
Sur Internet la légitimité s'acquière par
une contribution a l'activité du réseau et la reconnaissance par
ses pairs (peers). Ce système de cooptation a
grande échelle témoigne de l'importance du facteur
inter-relationnel sur Internet que l'on soit une institution ou un
particulier.
Barry Wellmann rappelle que même si les réseaux
sociaux ont toujours existé, les nouvelles technologies leur donnent une
nouvelle ampleur notamment du fait qu'elles émergent comme . forme
sociale d'organisation dominante ., davantage médiatisées
désormais (une personne peu plus facilement participer a plusieurs
communautés, elle n'est pas restreinte a sa sphere géographique
ou son entourage). Il définit la communauté comme .
un réseau de liens interpersonnels amenant de la sociabilité, de
l'aide, de l'information, une idée d'appartenance et une identité
sociale ». Dans le cadre du web la dimension
interpersonnelle, ou l'« individualisme réticulaire86 .
comme la nomme Barry Wellmann, est donc prépondérante.
Autrement dit, la logique de la communauté repose sur
le principe de la mise en relation des contenus, mais aussi des individus,
rejoignant ainsi les principes fondamentaux du web, a savoir le lien (web 0.1),
puis le flux (web 2.0). Et cette mise en relation au sein de la
communauté virtuelle repose sur le principe de réputation,
c'est-à-dire la confiance collective que l'internaute aura su susciter
au long terme par la qualité de ses contributions. Selon Howard
Rheingold, la
84 Cf. Lexique, annexe 2.
85 Dominique Cardon, . La Blogosphere est elle un
espace public comme les autres ? ., in Transversales,
26.04.06,
http://grit-transversales.org/article.php3?id_article=100
86 ,,,, , A "" n
VYCLUVIRIIII Barry, "The Rise of Networked Individualism",
in Community Networks Online, 2001
edited by Leigh Keeble. London: Taylor Et Francis.
réputation agit comme un régulateur permettant de
trouver collectivement un équilibre entre bien public et
intérêt personnel8P.
La plate-forme de partage de liens « Digg .
(référence en matière de communauté de liens)
fonctionne selon un système de notation oil tout un chacun peut
participer pour mettre en lumière des liens qui lui semblent
particulièrement pertinents et qu'il voudrait accessibles a une plus
large audience. Le site dit s'être constitué "to
provide a place where people can collectively determine the value of content
and we're changing the way people consume information
online.88" Ici l'intérêt individuel
(référencement par copinage...) est pondéré par la
quantité d'avis et la reconnaissance vient du fait que la
communauté a entériné le choix en votant pour le lien
soumis jusqu'à lui donner une visibilité accrue (top 10 en home
page). Etre actif permet d'avoir une certaine réputation, d'être
plus écouté, voire de devenir modérateur.
Selon Tristan Mendès France, appliquée au
domaine de l'information en ligne, la réputation semble être un
bon complément au crédit que l'on attribue aux professionnels ou
aux organes de presse établis. L'objectif, pour le web journaliste comme
pour le blogger (et dans une moindre mesure le contributeur au sein d'un
forum), est alors de gagner la confiance des autres internautes en
« leur montrant qu'on ne fait pas trop d'erreurs, ou en tout
cas qu'on arrive a les gérer [...] et que l'on
sait modérer un réseau social .89. Au
dela du crédit accordé a priori aux
détenteurs de la carte de presse ou garant de la réputation de
leur journal en vertu de l'éthique journalistique, la capacité a
gérer une communauté constitue une qualité importante aux
yeux de ce journaliste et blogger.
La culture du « sourcing »90 est sur le
web un gage de crédibilité valorisant ainsi la recherche
d'information. En évitant d'attribuer des contenus ou de ne pas
renvoyer vers la source originelle, la réputation est alors
renforcée. Par ailleurs, ces
87 RHEING0LD Howard, Foules intelligentes,
La Révolution commence, Paris, M2 éditions, 2005,
p.71.
88
http://digg.com/about/,
Traduction personnelle : «pour offrir un endroit ou les gens
peuvent collectivement déterminer la valeur de contenus et nous
changeons leur manière de consommer l'information en ligne. .
89 Entretien Skype avec Tristan Mendès France,
samedi 11 avril 2009.
90 Pratique qui consiste a mettre en avant ses sources
en les citant selon des codes bien établis.
pratiques de reprise permettent de ne pas casser le . cercle
vertueux >> des contributions de la communaute, mais de les faire
connaltre au plus grand nombre. 0r, les medias traditionnels ayant migre une
partie de leur offre sur Internet ne semblent pas a l'aise avec les pratiques
de citations qui y ont cours. Ainsi, après a peine trois mois
d'existence, Mediapart deplorait dejà quatre manquements de l'Agence
France Presse suite a des reprises non . sourcees >> d'informations
sorties a l'origine par Mediapart91. D'autres cas de reprises
intempestives de videos amateurs ou d'informations emises depuis des blogs ont
ete recenses.
Cependant, Eric Dupin pondère sur son blog Presse-citron
l'idee selon laquelle la citation des sources est la principale difference
entre les blogs et les journaux :
3 de faFon un peu caricaturale : les journalistes ne
citent jamais leurs
sources, et les blogs citent toujours leurs sources.
La &érité n'est peut-titre pas aussi simple que
cela. >>92
En effet, il existe une tradition de la citation differente en
matière de source sur le web et dans les medias, notamment due a une
culture de la communaute permise par l'hyperlien.
0n peut supposer que cela est del au fait que, n'ayant pas de
legitimite a priori, du fait qu'ils ne
possèdent pas de carte de presse, la reconnaissance se construit de
manière empirique en prouvant que l'on s'appuie et que l'on recoupe des
sources fiables. Ces pratiques ne semblent cependant pas constituer un
critère pertinent pour legitimer une information aux yeux de certains
journalistes, qui les considèrent davantage comme un processus de
referencement mutuel base sur le copinage. Nous avancons que cet argument est
directement lie a celui du professionnalisme et donc de la remuneration comme
gage de credibilite aux yeux des journalistes.
91 La Redaction de Mediapart, . Mediapart, le mur du
silence et le marche aux voleurs >>, in
Médiapart, 25.06.08.
92
http://www.presse-citron.net/un-blog-doit-toujours-citer-ses-sources-ou-pas
|