§3. L'achat d'une autre société
113. - Pour augmenter la valeur de ses
actions, la société peut encore acquérir une autre
société pendant l'OPA.
Le procédé renvoie à une technique de
défense préventive mais elle voit également son
intérêt durant la phase de défense active.
114. - Au lieu de lancer une contre-OPA sur
l'assaillant, la société cible peut décider
d'acquérir une autre société dans un secteur concurrent
afin d'accroître son potentiel et également sa valeur
boursière.
Pour tenter de l'acheter, l'initiateur sera contraint
d'engager plus de capitaux que prévus.
Ici, encore, la société cible doit pouvoir
engager des capitaux pour racheter cette société tierce
rapidement. En effet, la réussite de cette technique de défense
réside dans la rapidité de l'achat de la société
tierce et la capacité à le faire savoir.
115. - En revanche, si la
société cible ne dispose pas des capitaux nécessaires,
elle peut devenir la proie de créanciers et aura alors plus
intérêt à lancer une contre-OPA.
Cependant, l'acquisition d'une société tierce
n'est pas inutile si elle était auparavant envisagée.
Elle permet une concentration qui était devenue
nécessaire. En outre, en cas de réussite de l'OPA initiale
lancée par le raider, celui-ci peut se voir condamner par les
autorités boursières pour abus de position dominant et encourir
les foudres de la direction de la concurrence.
116. - Il appartient donc à la
société cible de bien choisir sa proie car de ce choix peut
dépendre l'issue de l'OPA.
Il convient effectivement que cet achat corresponde à
une concentration mûrement réfléchie et dont l'impact
économique et boursier sera salué.
§4. L'augmentation de capital
117. - L'augmentation du capital social en
cours d'OPA est une défense financière à envisager. Elle
reste même, sous certaines conditions posées par la loi du 2
août 198951(*) et
celle du 8 août 1994, une stratégie de défense active
ouvrant un vaste champ de réflexion.
L'article 14 de la loi du 2 août 1989 stipule :
« la délégation conférée au Conseil
d'administration ou au Directoire de réaliser une augmentation de
capital est suspendue en période d'offre publique sur la
société, sauf si l'assemblée générale,
préalablement à l'offre et expressément, a
autorisé, pour une période n'excédant pas un an, une
augmentation du capital pendant ladite période et à condition que
l'augmentation de capital envisagée n'ait pas été
réservée. »
118. - La décision d'augmenter le
capital appartient à l'assemblée générale
extraordinaire (AGE). Toutefois, cette assemblée peut confier par
délégation aux dirigeants le soin de l'augmentation
ultérieure si les conditions ont été approuvées par
cette même assemblée.
De la sorte, en période d'OPA, la réalisation de
l'augmentation de capital tomberait à point nommé pour engendrer
un moyen de défense active efficace.
Dans un tel cas, l'augmentation de capital permet à la
société de placer les actions nouvellement émises entre
des mains « fidèles » et ferait échec
à la tentative d'OPA initiée par le raider. Il faut que cette
portion de capital récemment émise soit suffisante pour palier la
tentative de prise de contrôle.
Dans tous les cas de figure, l'assaillant devra prévoir
un coût supplémentaire d'acquisition de nature à le
dissuader.
119. - Toutefois, si cette augmentation de
capital n'est pas réservée, le jeu du droit
préférentiel de souscription permettrait aux actionnaires de la
société d'acquérir de nouvelles actions et ainsi de
consolider leur position au sein de la société.
L'augmentation, si le raider détient déjà
des actions du capital, peut donc jouer en faveur de celui-ci.
120. - Un problème se pose cependant
si l'augmentation du capital social n'a pas été
décidée avant l'OPA.
Certains auteurs défendent la thèse selon
laquelle la société peut toujours décider d'une
augmentation de capital52(*). En effet, pour Thomas FORSCHBACH, l'article 14
précité de la loi du 2 août 1989 ne semble pas apporter de
réponse sur ce sujet. Cet article ne concerne que les augmentations de
capital effectuées par les dirigeants qui ont obtenu
délégation de l'AGE préalablement à l'OPA.
Dans le cas d'une augmentation en cours d'OPA
décidée par l'AGE, au vu du droit des sociétés, les
délais de convocation de l'AGE doivent être respectés (au
moins 30 jours) et ce avant la clôture de l'OPA. La possibilité
est donc extrêmement limitée sauf si, dans le cadre d'offres
concurrentes, les délais de clôture de l'OPA sont
prolongés.
Pour empêcher cette situation, l'initiateur de l'offre
et ses alliés au sein de la place vont tenter toutes les ruses pour
retarder la convocation de l'AGE.
121. - Ainsi, dans l'affaire
Bénédictine53(*), les tribunaux ont reporté l'assemblée
au motif que « l'information des actionnaires ne serait
qu'insuffisamment assurée, notamment en raison du dépôt
inattendu d'une offre publique postérieurement à la convocation,
dès lors qu'une telle situation est de nature à causer un dommage
aux actionnaires ».
De surcroît, l'article 3 du règlement 89-03 de la
COB dispose que « l'initiateur et la société
visée s'assurent que leurs actes, décisions et
déclarations n'ont pas pour effet de compromettre l'intérêt
social et l'égalité de traitement... des détenteurs de
titres des sociétés concernées. » Ainsi, la
procédure de convocation doit être intégralement
respectée et entrave en réalité la stratégie de
défense de la société cible. Toutefois, la COB, sous la
condition que la procédure soit respectée, n'interdit pas
l'augmentation de capital en cours d'offre décidée par l'AGE.
Cette augmentation ne pourrait donc en aucun cas profiter à quelques
amis « sûrs » et privilégiés.
L'atteinte à l'égalité des actionnaires constituerait
alors un abus de majorité répréhensible.
122. - Ainsi, avec l'allongement de la
durée de la procédure d'OPA54(*) d'une part, et par la faculté offerte au
raider de renoncer à son offre, avec l'accord du CMF, dans le cas
où la société cible adopterait « des mesures
d'application certaine et immédiate modifiant sa
consistance », d'autre part, l'augmentation de capital en cours
d'OPA est une arme intéressante qui mérite d'être
exploitée. Si le professeur VANDIER souligne son caractère
« oblique »55(*), force est de constater que jusqu'à
présent cette stratégie de défense active n'a jamais
été appliquée car elle ouvre cependant le capital à
l'assaillant sans restriction possible.
123. - L'article 14 précité
vise l'augmentation du capital par les dirigeants conformément à
la délégation qui leur a été remise. L'augmentation
par les dirigeants ne peut donc être réalisée en cours
d'OPA que si elle a été expressément décidée
par l'AGE préalablement au lancement de l'offre. Cette
délégation n'est valable que pour un an et si et seulement si
cette augmentation n'est pas réservée.
Les auteurs ont longtemps discuté sur
l'interprétation à donner à ce texte faisant naître
certaines ambiguïtés56(*). D'aucuns en déduisent « qu'il
soit possible, par délégation, de procéder à une
augmentation de capital par appel public à l'épargne avec
suppression du droit préférentiel de
souscription »57(*). Dans un tel cas, l'actionnaire à l'initiative
de l'OPA ne peut se prévaloir des nouveaux titres émis par la
société par voie d'augmentation de capital.
Quoiqu'il en soit, et dans tous les cas de figure où
l'augmentation est opérée, il conviendra, pour l'assaillant, de
débourser plus d'argent que prévu.
124. - Par ailleurs, la rédaction de
l'article 14 laisse entendre qu'en cas d'OPE, une augmentation de capital en
nature reste possible. Or, un apport en nature est par principe
réservé à celui qui confie ses biens à la
société dont il devient actionnaire. Il suffirait alors à
la société cible de trouver un allié fidèle qui
opérerait un apport en nature de manière à placer entre
ses mains les actions qui feraient perdre à l'assaillant le
contrôle convoité de la société cible.
Les auteurs en concluent que la rédaction est confuse
et ne permet pas de trancher.
B. Les autres moyens de défense
active
125. - Si les stratégies de
défense financière ont échoué, il ne reste plus
à la société cible à livrer un combat
homérique. L'issue est presque irrémédiablement fatale.
Deux options s'offrent à elle ; elle peut encore
faire appel à un « chevalier blanc » ou encore avoir
recours aux tribunaux.
* 51 T. FORSCHBACH,
L'augmentation de capital en cours d'OPA, rev. Droit bancaire et de la
bourse n°17, janvier-février 1990, p.30
* 52 T. FORSCHBACH, op.
cit. ; BERTREL et JEANTIN, Fusions et acquisitions de
sociétés commerciales, Litec 1989 ; LEE et CARREAU op.
cit., CARREAU et MARTIN op. cit.
* 53 Trib. Com. Paris, 25
janvier 1988
* 54 Arrêté du 23
mars 1997
* 55 RJDA 6/97,
p.499
* 56 C. GAVALDA,
Commentaire de la loi du 2 août 1989, concernant l'amélioration de
la transparence et de la sécurité du marché financier,
rev. soc. 1990, p.1
* 57 cf. note 42
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