2.1 Musicologie (perception de la musique à travers
les âges)
La musicologie n'est bien évidemment pas une notion qui
s'aborde en un chapitre de mémoire. Elle se définit comme une
discipline scientifique étudiant les phénomènes en
relation avec la musique à travers le temps et en rapport avec
l'être humain et la société. La musicologie est ainsi
fondée sur l'interrogation. En tant que science, elle englobe une
multitude de matières comme l'histoire, la linguistique, la psychologie,
les sciences humaines et les sciences physiques. Il est certain que l'on va pas
tout aborder ici, mais plutôt en retirer ce qui nous intéresse, au
fil de notre raisonnement.
Avant toute chose, il serait intéressant de se rendre
compte de ce que représente la musique à travers l'histoire et de
part le monde. Comprendre l'intérêt universel que l'on porte
à la musique dans tous les domaines, de la littérature à
la peinture et bien évidemment en musicologie. Pourquoi la musique
passionne tant ? Pourquoi la musique est étudiée de fond en
comble sous des aspects aussi bien théorique que pratique ? A quoi
sert-elle ? Voici quelques éléments de réponse :
«L'écriture comme l'auditon de la musique
entra»ne un désir des choses inexistantes» Gabriel
Fauré
«Religieuse et la ·que, politique et
économique, individuelle et collective, érotique et puritaine,
faite de jouissance et de haine de soi, omniprésente en même temps
qu'artificielle, elle (NDLR, la musique) est, comme tous les autres arts, au
centre du monde parce que justement hors de lui : «l'art est partout
puisque l'artifice est au coeur de la réalité»11
»12
«Le sens de la musique, c'est la nostalgie de
Dieu.» Schoenberg
«A quoi sert la musique ? Non pas à
conna»tre ni à croire. Non pas à percevoir. A rien,
finalement. Rien, si ce n'est m'introduire à l'entendement de ce qu'en
fin de compte on ne peut vraiment entendre : la présence de ce rien, de
ce rient qui nous tient.» 13
«La musique parle le langage général
qui agite l'âme de facon libre et indéterminée.»
Robert Schumann
11 Jean Beaudrillard L'Echange symbolique et la mort,
Gallimard, 1976
12 Jacques Attali Bruits, Fayard, 2001 (p.19)
13 Alain Médam Ce que la musique donne à
entendre, Liber Quebec, 2006 (p.
9) 14
«Plotin, Ennéades v, 8, 30 dit que la
«musique sensible est engendrée par une musique antérieure
au sensible». La musique est liée à l'autre monde.»
14
«La musique est une mathématique de
l'âme.» Pythagore
«La musique est au-delà de la parole
écrite qui est limitée parce que les mots ont un sens tellement
précis. On les assemble d'une facon ou d'une autre, on peut leur faire
dire toutes sortes de choses très variées, exprimer des nuances
à l'infini, mais l'indicible appartient à la musique. Son langage
à elle est intraduisible»15
«Le silence éternel des espaces infinis
m'effraie.» Pascal «La musique, je suis presque
capable d'en jouir.» Freud
Dans un contexte historique la musique trouve tristement sa
place, notamment durant la Seconde Guerre mondiale, Primo Levi en füt un
de ses témoins :
«La musique était ressentie comme un
maléfice. Elle était une hypnose du rythme continu qui annihile
la pensée et endort la douleur. La musique devient «l'expression
sensible» de la détermination avec laquelle des hommes entreprirent
d'anéantir des hommes.»
Quignard en déduit la pensée suivante, à la
fois dure et criante de vérité :
«Depuis ce que les historiens appellent la
«Seconde Guerre Mondiale», depuis les camps d'extermination du IIIe
Reich, nous sommes entrés dans un temps oü les séquences
mélodiques exaspèrent. Sur la totalité de l'espace de la
terre, et pour la première fois depuis que furent inventés les
premiers instruments, l'usage de la musique est devenu à la fois
prégnant et répugnant. Amplifiée d'une facon soudain
infinie par l'invention de l'électricité et la multiplication de
sa technologie, elle est devenue incessante, agressant de nuit comme de jour,
dans les rues marchandes des centres-villes, dans les galeries, dans les
passages, dans les grands magasins, dans les librairies, dans les
édicules des banques étrangères oü l'on retire de
l'argent, même dans les piscines, même sur le bord des plages, dans
les appartements privés, dans les restaurants, dans les taxis, dans le
métro, dans les aéroports.
Même dans les avions au moment du décollage
et de l'atterrissage.
Même dans les camps de la mort.
L'expression Haine de la musique veut exprimer
à quel point la musique peut devenir ha ·ssable pour celui qui
l'a le plus aimée.
La musique attire à elle les corps
humains.
Il faut entendre ceci en tremblant : c'est en musique
que ces corps nus entraient dans la chambre. (É) La musique viole le
corps humain. Elle met debout. Les rythmes musicaux fascinent les rythmes
corporels. A la rencontre de la musique l'oreille ne peut se fermer. La
musique, étant un pouvoir, s'associe de ce fait à tout
pouvoir.»16
Cette réflexion est une bonne raison pour arrêter
là les justification de l'intérêt porté à la
musique en tout temps, et de terminer par un questionnement sur
l'après-musique :
«Cependant, cette musique s'arrête : le
disque est fini. Le silence se recompose. Tu demeures là. Tu n'entends
rien, mais tu entends encore. Musique rémanente : ombre furtive de ce
qui n'est plus, mais dont l'ombre perdure, précisément, inscrite
dans ta propre durée. (É) S'il t'arrive d'affirmer : «J'aime
la musique», tu ne songes pas, disant cela, à toutes les musiques
que tu écoutes, que tu entendis et écouteras. Tu penses à
cette musique-ci : cette musique qui poursuit, qui prolonge en toi
l'écoute de ces musiques auxquelles tu reviens et reviendras
encore.»17
A présent, rebondissons sur l'histoire de la musique.
L'histoire de la musique, il est indispensable de la conna»tre, mais
là encore il s'agit d'une chose non exhaustive et qui nécessite
une attention de tout instant, dont je m'imprègne chaque jour, toujours
en quête d'oeuvres nouvelles et d'artistes inconnus. Pour illustrer
l'infini de la connaisance musicale, Alain Médam nous dit cela :
«Ainsi en viendrons-nous à ne même
plus avoir conscience de toutes les musiques que nous n'aurons pas
rencontrées. Celles qui nous resterons étrangeres parce que trop
lointaines de nous : par la distance ou la culture. Celles auxquelles,
nous-mêmes - bien qu'elles nous soient proches -, nous resterons
étrangers. Celles qui se refuseront ou que nous refuserons. Qui nous
éviterons et que nous éviterons. Qui nous sembleront inabordables
ou qu'il nous répugnera d'aborder. (É) Nous aurons beau vouloir
découvrir de nouvelles partitions, d'autres interprétations, des
folklores inou ·s pour nous, d'inédites expérimentations
musicales..., nous ne pourrons ignorer que ce que nous n'aurons pas entendu
dépassera de beaucoup, nécessairement, ce que nous aurons
été en mesure de conna»tre. (É) C'est parce que
tout ne peut être entendu que ce qui s'entend nous
satisfait.»18
16 Pascal Quignard La Haine de la musique, Gallimard,
1997 (p.199)
17 Alain Médam Ce que la musique donne à
entendre, Liber Quebec, 2006 (p. 45)
18 idem (p.47) 16
Je retiens cette derniére phrase pour dire qu'en tant
que défricheur musical, il ne faut jamais se contenter d'une quelconque
satisfaction, il faut constamment rester dans un état de
«vigilence» et d'ouverture, ce qui nous offrira encore
quantité d'heureuses surprises.
C'est ainsi qu'en lisant la presse spécialisée,
Le Monde, une encyclopédie trés fournie ou encore une
émission de radio, que j'acquiért un nombre d'informations tout
azumut pour finalement recouper celles dont j'ai déjà entendu
parler, celles que j'ai pu écouter par hasard. Ce qui est important dans
cette recherche, ce n'est pas de tout conna»tre, et par coeur, comme une
lecon que l'on apprendrait à l'école, mais plutôt d'en
tirer des éléments de compréhension de la musique actuelle
et ainsi, tenter de comprendre l'attente des gens.
Ce qui est compliqué dans l'accumulation et la
stimulation quotidienne, c'est de se dégager de cette effervescence pour
prendre du recul et savoir ce qu'on va faire de tout cela. Médam
toujours, à ce point de vue :
«Comment nous défaire, donc, de ce que
nous savons, de ce que nous aimons, afin de nous dénuder,
disposés à l'écoute, désormais, d'une
préhistoire des sons ; de leur émergence fondatrice.
Difficile, bien entendu, car il y surimpression. Tous
ces rythmes qui nous habitent Ð et que nous habitons Ð nous
empêchent, par leur emprise, de retrouver cette innocence : cette mise
à nu du sens des sons. Ces musiques d'aujourd'hui Ð en leurs
exigeantes aridités -, nous ne savons les rejoindre qu'au travers de nos
complaisances aux musique «qui nous font du bien». Est-ce un mal,
qu'il en soit ainsi ?» 19
Et quand bien même nous arrivons à nous en
écarter et que l'on manifeste des préférences pour
certaines musiques, le cercle vicieu - s'il en est un - consiste en le fait
qu'«Il y a dans toute musique préférée un peu
de son ancien ajouté à la musique même.»
20 et encore que «l'obsession sonore ne
parvient pas à départager dans ce qu'elle entend ce qu'elle ne
cesse de vouloir entendre et ce qu'elle ne peut pas avoir entendu.»
21
L'évocation de «préférences»
implique une notion de gout qui est propre à celui qui les exprime,
aussi, Adorno a son idée sur le gout :
«Le concept de gout lui-même est
démodé. L'art responsable obéit désormais à
des critères qui sont proches de ceux de la connaissance : celui de
l'harmonieux et du désharmonieux, celui du vrai et du faux. (É)
Le comportement qui consiste à évaluer est devenu une fiction
pour celui qui est assailli de tous côtés par les marchandises
musicales standardisées. Il ne peut ni se dérober à leur
supériorité, ni choisir parmis celles qui lui sont
présentées : elles se ressemblent toutes si parfaitement qu'on ne
peut finalement plus rendre raison d'une préférence qu'en
invocant une circonstance biographique personnelle ou en rappelant le contexte
dans lequel on a entendu cette marchandise musicale standardisée.»
22
Cette réflexion porte étrangement sur le concept
de sound design car Adorno nous dit que l'auditeur valorise une musique plus
qu'une autre en fonction de son vécu donc, de son expérience. Or,
l'intérêt de travailler la cohérence musicale d'un lieu est
avant tout dans le but de faire vivre une expérience au visiteur.
Ainsi, une personne conquise par la musique qui l'a entendue
dans un endroit précis, sera forcément rattachée à
l'expérience qui l'en a faite, ce qui forge désormais sa
préférence pour cette musique là. Quelle satisfaction de
participer à l'élaboration du gout des gens !
Pour revenir à des notions plus historiques de la
musique, et de s'interroger quant à son évolution. Il est
important de ne pas oublier comment était faite la musique avant
l'ère du numérique ? De quelle manière est-ce que les
compositeurs des siècles derniers faisaient de la musique ? Pourquoi et
comment la musique a-t-elle évolué de l'acoustique à
l'électronique ? Comment en est-t'on venu à autre chose que des
notes sur une partition interprétées par des musiciens sachant
les déchiffrer et les jouant sur des instruments acoustiques ? La
technologie bien sur, mais pas seulement, encore faut-il avoir eu l'idée
de s'en servir pour faire de la musique. On pourrait se demander qu'est-ce qui
a poussé Robert Moog a inventer le synthétiseur de légende
qui porte son nom ? Et encore avant lui, Lev Segeivitch Termen, inventeur du
plus ancien instrument de musique électronique, le
thérémine.
Ces inventions sont évidemment le reflet d'une
évolution globale de la société d'oü
l'intérêt de si référer. Ce qui est
intéressant quand on étudie la facon dont les gens vivent c'est
que l'on peut en déduire leur besoin de musique. Je m'explique; une
personne qui travaille huit heures par jour, six jours sur sept n'est pas en
contact direct avec la musique, ou alors lorsqu'elle l'entend dans un
supermaché, dans un restaurant ou sur son lieu de travail. Cette
écoute est dite «passive» dans la mesure oü l'auditeur ne
choisit pas ce qu'il écoute. Il l'entend simplement car il n'a pas le
choix ! Notre société moderne est en contact quasi permanent avec
la musique. Justement par le biais de ces voies indirectes, la musique est
présente partout aujourd'hui. D'une manière plus
générale, l'oreille du XXIè siècle est beaucoup
plus sollicitée qu'il y a deux cents ans et à contrario, l'homme
s'en sert moins ou mal.
Nous approfondirons cette notion de surcharge sonore dans la
partie sociologique de la musique.
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