1. Le Sound Design 1.3 Motivations
Il suffit de rentrer dans le premier magasin venu pour
constater que de la musique y est jouée. On s'apercoit alors que cette
musique est diffusée à un volume plus ou moins important suivant
l'endroit et donc déjà, le contexte dans lequel elle se propage.
Combien de fois sommes-nous Ç agressés È par le choc
auditif que provoque l'intensité sonore d'un magasin.
Alain Médam a ces quelques mots à propos de
l'agression permanente que provoquent les bruits : «Que vaut la
musique, encore, lorsque les bruits du monde sont si assourdissants, si
angoissants, qu'ils rendent dérisoires ce qui ne relève pas de la
discorde ? Que vaut tel accord en un monde oü le désaccord
règne en maître ?» 7
Dans le volume sonore général d'un magasin, il y
a cependant celui de la musique. La question du contenu musical se pose
dès lors. Ceci dit, un fort volume peut s'avérer tout à
fait cohérent et donc moins nous choquer. En effet, allez chez Ç
Pimkie È et vous constaterez que la musique est objectivement forte mais
subjectivement, sans plus, puisque nous sommes dans un endroit
fréquenté par des adolescents qui aiment être dans cette
ambiance un peu bruyante. L'aménagement intérieur rappel
d'ailleurs quelque part celui d'une discothèque (promiscuité avec
les autres, rampe de spots au plafondÉ). Encore une fois, cet exemple
est clairement celui que l'on met de côté ici, car bien trop
facile à réaliser, prenez le premier Ç hit des clubs
È de province et vous avez le track listing de ce genre d'endroit.
A l'inverse, chez Ç H&M È un samedi
après-midi, la musique est démesurément forte car
l'endroit ne rappel pas dutout une discothèque ou une salle de concert,
mais évoque plutôt un style classique et pas tape à
l'Ïil (étagères en bois, murs blancs, parquet au
solÉ). Dans ce cas, on est vraiment choqué par l'importance que
prend alors la musique. Il est convenu qu'un samedi après-midi à
l'heure de la plus importante fréquentation de la semaine, le client
doit être maintenu dans un état d'excitation
frénétique pour acheter toujours plus, et ce conditionnement
passe bien évidemment par la musique. Nous verrons plus loin, comment la
musique déclenche des réactions internes chez le visiteur - et
non pas consommateur, puisque mon propos n'est pas de l'ordre du marketing -,
à nouveau, ceci est un exemple de ce dont je cherche à
m'éloigner en évoluant dans l'univers du haut de gamme. En
attendant, voici un schéma décrivant les influence
déclenchées chez le consommateur dans un environnement de ce type
d'après Sophie Rieunier.
![](Le-sound-design-musical-des-lieux-publics-haut-de-gamme2.png)
Dans une seconde approche, on remarque que la programmation
musicale varie d'un endroit à l'autre. La plupart du temps, les
cha»nes de magasins se contentent de se caler sur la fréquence
radio qui joue de tout et n'importe quoi à tout heure de la
journée : NRJ. Ainsi ils sont sur qu'au moins un morceau diffusé
touchera au moins un de leur client, tellement la rotation interne de la
programmation de la radio et du magasin est grande et disparate. Adorno est
d'ailleurs trés clair par rapport à ce genre de pratique :
«Avec leur liberté de choix et leur
responsabilité, les sujets écoutants perdent non seulement la
possibilité d'une connaissance pleinement consciente de la musique,
capacité qui a de fait toujours été limité à
des groupes restreints, mais, dans leur réticence, c'est la
possibilité même d'une telle connaissance qu'ils nient. (É)
Leur écoute est atomisée. (...) Le rTMle que joue la musique de
masse actuelle en contribuant à faire le ménage dans la
tête de ses victimes est lui aussi régressif. On ne
détourne pas seulement les masses des choses plus essentielles, on les
confirme aussi dans leur bêtise
névrotique.»8
Agir ainsi, c'est ne pas prendre en compte l'environnement
sonore de son magasin, les produits que l'on y vend et surtout son image
même de marque. Cette démarche est aux antipodes de celle que je
me propose d'effectuer dans mon mémoire. C'est pourquoi je m'oriente
vers l'étude de lieux trés précis, ceux dans lesquels
à priori la musique est étudiée de maniére plus
approfondie et sophistiquée étant donné la qualité
des produits que l'on y trouve, la clientele qui les fréquentent et
surtout le lieu en soit qui peut s'avérer être une unique
création architecturale.
![](Le-sound-design-musical-des-lieux-publics-haut-de-gamme3.png)
Georges // Paris
Il faut bien comprendre ici que je ne dénigre pas la
Ç programmation musicale de masse È, je me rappelle d'un
débat que nous avions eu avec mes futurs associés et les
personnes de la SCPP9, concernant le talent des programmateurs
musicaux. Lorsque nous essayions de mettre en valeur nos talents de
sélecteurs musicaux gr%oce aux enseignes pour lesquelles nous
travaillons (Costes et Hilton notamment), on nous répondait que la
personne qui choisissait la musique des hypermarchés revendiquait aussi
son talent, seulement, de mon point de vue, cette musique là demande
tout de même moins de recherche en termes de contenu et de
cohérence que celle que nous nous efforcons à dénicher
pour nos employeurs. La musique de supermarché est bien plus accesible
dans la mesure oü ceux sont la plupart du temps des classiques pop/rock
entendus et réentendus des centaines de fois par des milliers de
gens.
Cette musique n'a d'autre but que d'enfermer son auditeur dans
une espéce d'auto-satisfaction qui ne pousse en rien à la
découverte d'autres musiques et donc d'autres artistes.
Si je ne choisi pas cette voie c'est justement pour ouvrir les
auditeurs à autre chose que cela. Je suis convaincu qu'installer la
personne qui écoute, ou du moins vous «entend», dans un
confort d'écoute cohérent avec le lieu et la marque pour laquelle
il se déplace puis l'ouvrir à d'autres spheres musicales sans
pour autant le choquer et donc le faire fuir, est grandement favorable à
tous.
Suivant l'effet que la musique choisie de manière
globale provoque chez l'auditeur, on peut imaginer qu'il restera plus longtemps
dans l'endroit, profitant de cet instant d'intérêt musical jusque
là insoupconné - même si il ne le cherchait pas
forcément, quand il est dedans, il prend conscience d'avoir
découvert quelque chose - je suis intimement persuadé que ce
travail est d'autant plus valorisable lorsqu'il s'applique à des lieux
prestigieux qui exigent une prestation d'exception à tous les niveaux,
et donc musicalement. Les personnes qui gèrent ce types d'endroits ont
conscience que chaque composante de leur image joue un rTMle déterminant
dans la perception globale qu'on leurs clients de leur marque, mes choix
musicaux et à plus forte raison ma conscience de l'envergure de la
question est là pour la valoriser.
Attali a cette définition de la musique qui
véhicule bien les idées que j'essaie d'y faire passer :
«La musique est à la fois théorie
pure, mode d'expression sociale, et durée, dépassement et
distraction, prière et commerce. Information (insaisissable),
matière (échangeable), et temps (énigmatique). Elle
renvoie par là à la triple dimension de toute oeuvre humaine :
jouissance du créateur, jubilation du spectateur, source de pouvoir du
messager.» 10
10 Jacques Attali Bruits, Fayard, 2001 (p.19)
2. Recherches théoriques
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