3. Application actuelle en situation (constatations et
propositions) 3.2 Georges, Hilton, Maison Blanche...
Ici, je vais exposer une partie plus personnelle dans le sens
oü ces lignes racontent mon expérience grandissante en tant que Dj
dans divers lieux parisiens. Mon activité de dj est à mettre en
étroite corrélation avec le sound design. En effet, le fait de se
produire en direct devant un public, dans un endroit et un contexte
précis induit une notion de sound design.
Tout d'abord, je désirerai expliquer les
«différents mondes» du djing. Normalement, la tâche d'un
Dj renommé qui mixe à travers les clubs du monde entier est la
suivante : faire venir du monde avec son nom et satisfaire l'attente des
«fans». A partir de là, le Dj se rend dans l'endroit dans
lequel il est booké, puis il joue la musique pour laquelle il est
reconnu sans réellement se soucier de l'environnement qui l'entoure.
D'ailleurs ce n'est, à priori pas ce que l'on lui demande puisque si on
le fait se déplacer c'est pour avoir ici ce qu'il fait ailleurs. On est
alors dans une logique assez fermée. Maintenant si vous prenez un Dj de
restaurants et bars dit «lounge», sa démarche est tout
à fait différente. Il sait que l'on fait appel à lui parce
qu'il a fait plus ou moins ses preuves ailleurs, et qu'il sait aussi que ses
preuves sont basées sur d'autres critéres que d'attirer du monde
uniquement avec son nom et de les faire danser.
Le fait est que dans ce milieu, aucun Dj n'a
véritablement de «nom». Seuls peut-être, Stéphane
Pompougnac, Dj à l'origine de la renommée mondiale des
compilations COSTES, vendues à des millions exemplaires aujourd'hui (9
volumes sortis) et Michael Canitrot, Dj de la «Mezzanine de
l'Alcazar» qui a lui aussi vendu des centaines de milliers de compilations
(5 volumes sortis). A l'heure actuelle, ces «noms» ne se produisent
quasiment plus dans les lieux qui ont fait leur réputation, un comble !
Ils sont trop occupés à voyager pour répondre aux demandes
de bookings extérieurs, déclenchés par la vente de leur
CD.
Revenons donc aux autres Dj, ceux qui attendent encore - ou
pas -, leur heure de gloire. Que font-ils pour être invités
à mixer toutes les semaines, voir tous les jours, si ils ne font pas
danser les gens ?? Et bien, leur art repose justement sur cette notion
d'adaptation qu'est le sound design. Cette situation est la mienne. J'ai eu la
grande opportunité de jouer dans l'un des trois meilleurs restaurants
Costes, à savoir le «Georges». Il est intéressant de
comprendre ce que cet endroit à déclencher en moi. A la base je
n'étais pas plus penché que ca sur le sound design, j'aspirai
même plus à me produire en «club», là oü les
gens dansent. Il a alors bel et bien fallut une rencontre forte pour que je
prenne conscience du travail à fournir dans ce type d'endroits.
Cette rencontre c'est le «Georges». J'ai
faconné ma programmation musicale au fur et à mesure de mes
dates, et aujourd'hui encore. Un lieu pareil ne s'appréhende pas en une
visite, il faut le regarder de prés, le vivre, comprendre son rhythme,
ses acteurs.
Si l'on commence à parler de musique, nous entrons dans
un territoire vierge qu'il s'agit d'appréhender délicatement et
de maniére plus ou moins raisonnée. La notion de programmation
musicale, de «mix» ou encore de «set» fait intervenir
à la fois des qualités d'écoute, de concentration, de
culture et bien sur, de temps. Evidemment plus les jours passent et plus ces
facteurs deviennent complexes. Je ne me suis pas amusé à compter
le nombre d'heures passées les oreilles rivées sur un casque
à découvrir, déchiffrer, triturer la musique, mais tout ce
temps commence à devenir assez important et d'ailleurs il paye puisque
je me produis maintenant presque toutes les semaines.
Je me retrouve ainsi dans un espéce de cercle vicieux
du plaisir de la musique qui me pousse à plus forte raison
d'écouter encore et toujours plus de choses, car un DJ doit aussi se
renouveler pour rester dans la course.
Pour décrire un peu ce mode de vie, je pourrais vous
faire part de mon angoisse avant chaque date qui frole parfois la
parano ·a, en me demandant si j'ai assez de disques, assez de musique
fraichement débusquée avec moi ? Si je vous laissais jeter un
oeil dans mon sac, je pense que vous me feriez immédiatement interner,
puisque j'ai de quoi jouer non-stop durant une semaine entiére si je
voulais ! Mais le fait est que je n'ai que 4 heures à tenir et ces 4
heures doivent être à la hauteur du lieu dans lequel je me
produis, des personnes pour lesquelles je travaille et enfin pour ma
réputation même. Et c'est d'autant plus dur qu'un set de 4 heures
signifie une progression certaine de l'état général du
lieu, des personnes qui m'écoutent et de moi même.
En général, je suis plutôt bon dans la
première heure et demie suivant mon arrivée car j'ai l'esprit
clair, les idées fixes, bref je me sens bien ! J'arrive alors à
créer une véritable atmosphere en mélangeant uniquement
mes derniéres trouvailles comme pour rafraichir un peu ma
sélection. Je fais alors évoluer la musique d'une
proximité extrême, trés intime, chaleureuse à
quelque chose de plus aéré, prenant plus d'ampleur. Ensuite je me
repose un peu en jouant des choses qui sortent un peu de la logique du set et
qui correspondent plus ou moins aux attentes du lieu, même si cela est
trés cliché disons que je prend moins de risque comme pour me
racheter de ma première partie un peu moins facile d'accés.
Pendant une demie-heure je change un peu la tendance comme si l'on entrait dans
une nouvelle piece, dans une nouvelle ville, dans un nouveau pays ou bien dans
un nouveau chapitre de roman, puisque c'est bien une histoire que l'on raconte
à travers la musique, cette notion trés chére à
Laurent Garnier, meilleur DJ du monde pour certains en tout cas reconnu comme
l'initiateur des musiques électroniques depuis 20 ans.
«La musique serait une facon de raconter une
histoire autrement que par des mots.»45
Perceptions
Une des valeurs fondamentale de la musique est le partage et
l'échange. En tant que DJ, je dirai que c'est l'une des raisons
premières de notre activité et à plus forte raison, en ce
qui me concerne. Si je me tracasse autant, si je suis aussi consciencieu c'est
d'abord parce que j'ai envie de faire plaisir aux gens qui sont contraint de
m'écouter - en tout cas pour l'instant car je ne peux pas vraiment me
vanter d'avoir un fan club prêt à se déplacer à
chacun de mes sets! - Les conditions dans lesquelles je me produis la plupart
du temps sont trés particuliéres. En effet, nous ne sommes pas
dans une situation oü les gens viennent écouter de la musique mais
bel et bien celle oü des personnes viennent d»ner ou prendre un verre
dans un bel endroit. Bien sur ils se doutent qu'il y aura de la musique, mais
quelle musiqueÉ?
Il y a donc dans ce contexte une part importante de
réflexion quant au rTMle que l'on a, au milieu de tout ca. Trés
vite des complexes peuvent apparaitre. Complexes d'infériorité
par rapport au prestige du lieu, aux gens qui le fréquente, bref vais-je
être à la hauteur musicalement ?
Pour y répondre, je vais relater plusieurs histoires,
commentaires, compliments... commencons par celle qui me tient le plus à
coeur. Cet été, un américain de la Nouvelle-Orléans
d'un certain %oge vient me voir une aprésmidi ou il faisait
particuliérement beau. Il a l'air plutTMt content de Paris, du
«Georges» et de l'ambiance que j'ai créée. Je lui
demande d'oü est-ce qu'il vient et il me raconte un peu son histoire d'un
ton à la fois enjoué et ironique. Il est en fait professeur dans
une université de la Nouvelle-Orléans, sa maison a
été détruite par Katrina, en compensation, l'Etat
Américain lui a offert un an de salaire. Il est donc à Paris pour
un tour d'Europe qu'il s'est offert aprés la catastrophe. On parle un
peu musique locale, et je sens qu'il a trés envie de me faire
conna»tre un groupe d'amis musiciens à lui dont j'ai oublié
le nom. A sa grande surprise j'accepte et branche son ipod. C'est un big band
assez festif. Sa musique se propage alors dans le restaurant et sur la
terrasse, il réalise et est ravi : «Si je leur dit oü est-ce
que leur musique est passée à Paris ils ne me croiront pas
!», me confie-t-il.
|