Section 3 :
Corruption-IDE : le débat théorique
La question de la corruption, sans le
contexte des investissements étrangers, est une source d'incertitude et
d'élévation des coûts pour les entreprises. On va essayer
au cours de cette section d'étudier la relation entre la corruption et
l'IDE.
3.1- Les enquêtes examinant la relation
Corruption-IDE :
Michalet (1997) a cherché à répondre
à la question : « dans quelle mesure le passage des
pays de l'Europe centrale et orientale à des économies de
marché a permis de dévier les IDE de pays
méditerranéens et de pays de l'Afrique
sub-saharienne ». L'étude est basée sur une
enquête comportant 90 multinationales en Europe de l'ouest,
l'Amérique du nord et le Japon, enrichie par des études sur
l'environnement d'investissement dans un échantillon de pays de
différentes régions.
Parmi les conclusions auxquelles est parvenu l'auteur, une
recommandation pour les pays qui cherchent à attirer l'investissement
direct. Une pré condition indispensable pour encourager l'investissement
est d'avoir un climat politique et économique stable et un cadre
légal et réglementaire transparent et non discrétionnaire.
Sans ces caractéristiques, un pays est exclu du ?centre?,
c'est-à-dire il n'est pas la destination des IDE.
Cependant, le fait de minimiser les coûts
associés aux affaires et d'établir un environnement d'affaires
prévisible sont une condition nécessaire, mais non suffisante. Le
pays hôte devrait pouvoir changer sa position de la ?longue liste?
à la ?courte liste? de préférences de
délocalisation. Donc, les chances de succès de la politique de
promotion d'investissement dépendront de sa capacité à
déplacer un pays du cercle des candidats `potentiels' au cercle des
?pays de centre?.
L'auteur, sur la base des réponses des
multinationales, a déduit que les déterminants économiques
liés au marché sont nécessaires pour la sélection
du pays hôte, mais ne sont pas suffisants en eux-mêmes. Dans leurs
réponses, les firmes interviewées constatent une série
d'autres facteurs qui déterminent leur décision finale d'investir
dans un pays qui satisfait les conditions de base. Ces facteurs
déterminent aussi si le pays pourrait se trouver parmi les ?pays de
centre? ou s'il reste sur la liste des pays dont l'attraction est
?potentielle?.
Parmi ces facteurs, les firmes mentionnent que le cadre
légal et réglementaire gouvernant les affaires privées
devrait être stable, transparent et fiable. Cela nécessite
plusieurs éléments. Premièrement, les règles du jeu
doivent être assez stables. Quelques interviewés ont
déclaré qu'ils sont plus confortables quand ils ont affaire avec
un pays où le gouvernement impose des contraintes ex ante qu'avec un
pays permissif au début, mais qui change les règles du jeu
après. Deuxièmement, le système juridique devrait
être capable de faire respecter honnêtement et efficacement les
lois et les contrats. Troisièmement, une fois la décision
d'investir est prise et une fois la filiale est installée, le
succès de l'investisseur à garder les coûts d'affaires au
minimum dépendrait de la possibilité d'avoir un climat sans des
coûts parasites engendrés par la bureaucratie et la corruption.
Anupam et Srinivasan (2002) ont analysé les
expériences de quelques pays de l'Afrique sub-saharienne qui ont
réussi à attirer des IDE. Ils ont trouvé qu'un
environnement institutionnel transparent est très important dans la
décision de délocalisation. Ils ont trouvé, par exemple,
qu'en Botswana, le niveau de la corruption est important pour l'IDE. Parmi les
plus importants déterminants de l'IDE, on trouve dans la
troisième position « une bonne gouvernance et des niveaux
faibles de corruption ».
Une autre étude reliant l'IDE et la corruption est
celle faite par Bary, 1999 ( dans Van Vuuren, 2002) de ?Control Risks?, qui a
essayé de classer l'effet de différents facteurs risque sur
l'investissement. L'étude est effectuée par `International
Research Bureau' (IRB) au nom de ?Control Risk?, en septembre et octobre 1999,
pour 50 entreprises américaines et 71 entreprises européennes.
La question à laquelle ont répondu les
interviewés est s'ils se retiennent d'implanter un investissement, qui
s'avère intéressant, dans un pays à cause de sa
réputation en corruption, en droits de l'homme, en travail et en
environnement.
La dissuasion de plus grandes entreprises à
cause
de la réputation du pays en (Van Vuuren,
2002) :
|
Les entreprises
Européennes
|
Les entreprises
Américaines
|
Tout
l'échantillon
|
Corruption
|
38%
|
40%
|
39%
|
Droits de l'Homme
|
28%
|
13%
|
27%
|
Environnement
|
34%
|
14%
|
31%
|
Travail
|
35%
|
16%
|
34%
|
Le rapport de la CNUCED sur l'investissement dans le monde
(World Investment Report 1998) a traité les éléments
déterminants des IDE dans le pays d'accueil. Ces éléments
se divisent en trois catégories : le cadre réglementaire
général de l'IDE, les déterminants économiques et
la facilitation du commerce.
La facilitation du commerce englobe, parmi d'autres, les
mesures visant à réduire les ?coûts parasites? à
savoir la corruption, l'inefficacité administrative, etc.
Ces mesures ne sont pas nouvelles, mais elles se sont
multipliées en tant que moyen d'attirer les investisseurs directs
étrangers parce que des investisseurs satisfaits constituent la
meilleure publicité pour l'environnement économique, financier et
institutionnel d'un pays.
3.2- La corruption comme ?grabbing hand
? pour les IDE
Les arguments précédents, qui favorisent
apparemment la corruption, peuvent être critiqués de plusieurs
manières. En effet, selon Wei (1997b), la corruption agit comme une taxe
arbitraire. La nature aléatoire de la corruption crée des charges
supplémentaires parce que le coût de recherche de ceux pour qui
les pots-de-vin devraient être ajoutés aux coûts de
négociation et de paiement. Aussi, les obligations obtenues par le
paiement des pots-de-vin, pourraient être violées si la corruption
est décentralisée.
Empiriquement, Wei (1997a), à travers des
données en coupe transversale d'IDE bilatéraux, a montré
que l'accroissement du niveau de la corruption dans le pays hôte affecte
négativement l'entrée des flux d'IDE. L'auteur a conclu
qu'à long terme, la corruption réduit les flux d'IDE entrants.
Le même résultat a été
déjà trouvé par Hines (1995) qui a déclaré
que la corruption décourage les investisseurs étrangers et
constitue une entrave aux investissements.
En outre, selon Egger et Winner (2005), la corruption accorde
aux firmes multinationales des coûts de transaction par le paiement des
pots-de-vin et le gaspillage des ressources. Cet effet souligne le recul
d'investir dans les pays où la corruption règne. Les deux auteurs
ajoutent que la corruption exerce une forme de pression sur les investisseurs
étrangers ; ce qui affecte négativement leur incitation
d'investir.
Rose-Ackermann (1999) a affirmé que la corruption
affecte la productivité des biens publics tels que
l'infrastructure ; ce qui diminue l'attractivité des pays aux IDE
et réduit les profits des firmes multinationales.
De même, Habib et Zurawicki (2002) ont identifié
la relation entre la corruption et les IDE de 89 pays développés
et en développement en coupe transversale comme négative. Les
deux auteurs ont conclu que la corruption tend à empêcher
l'entrée des IDE.
Des données empiriques de comparaisons entre pays
semblent, en effet, indiquer que la corruption nuit beaucoup à
l'investissement privé et à la croissance économique. Une
analyse de régression montre qu'un pays qui réduit la corruption
et passe de 6 à 8 sur un indice allant de 0 à 10 va augmenter de
4 points de pourcentage son taux d'investissement et d'un demi point de
pourcentage la croissance annuelle de son PIB par habitant.
Des effets aussi marqués laissent entendre que des
politiques de répression pourraient avoir des retombées
significatives. Le lien entre la corruption et la faible croissance
économique n'est guère différent lorsque l'estimation
porte sur des pays aux fortes pesanteurs administratives. Par
conséquent, rien ne prouve que la corruption soit
bénéfique en présence de lenteurs bureaucratiques. C'est
surtout par l'intermédiaire de l'investissement qu'elle réduit la
croissance économique, et cet impact représente au moins un tiers
de son effet négatif global.
De même, Shleifer et Vishny (1993) ont montré
que, dans les sociétés corrompues, les compétences vont
être déviées à cause des incitations importantes des
activités productives aux activités de
? Rent-Seeking ?. Cette déviation imposera un coût
élevé sur la croissance de ces pays. Si l'offre de
compétences est rare, le détournement de ces compétences
aux activités de recherche de rentes et à la corruption, sera
particulièrement nuisible aux investissements, n'a pas d'appui.
Les deux auteurs soutiennent que les charges
règlementaires, comme celles imposées par les taxes, pourraient
bien être endogènes, instaurés par les bureaucrates dans le
but d'extraire des pots-de-vin. En d'autres termes, les pots-de-vin pourraient
réduire les taxes seulement lorsque le taux de taxation est
prédéterminé. Mais, les taxes pourraient, en effet,
être élevées dans les pays corrompus pour que les firmes
n'arrivent pas à payer moins de taxes.
3.3- La corruption comme ?helping
hand ? pour l'IDE :
La corruption peut être
bénéfique autour des restrictions administratives et
règlementaires. En effet, les firmes multinationales acceptent de payer
des pots-de-vin dans le but d'accélérer le processus
bureaucratique et d'obtenir des permissions légales pour lancer leurs
projets dans peu de temps, d'où l'application de `speed money'. Comme
l'a montré Bardhan (1997), les pots-de-vin génèrent un
gain de temps d'attente puisqu'ils jouent le rôle d'un
accélérateur au sein de l'administration.
En outre, la corruption est considérée comme
?helping hand? car elle détourne les rigidités, imposées
par le gouvernement, qui empêchent l'investissement et gênent les
autres décisions économiques favorables à la croissance.
Par conséquent, selon Kaufmann (1997b), la corruption `lubrifie le
mécanisme' ou ?graisse les rouages?.
De même, Glass et Wu (2002) ont affirmé que les
effets de la corruption sur les IDE sont ambigus, « la corruption ne
paraît pas mauvaise pour les IDE » mais encore pire, elle peut
stimuler l'entrée des flux d'IDE. De ce fait, la corruption des pays
hôtes peut avoir un impact positif sur l'attractivité des
investissements étrangers.
De plus l'argument de ?Grease payment? est renforcé
par l'expérience de l'Asie de l'Est. Certains admettent que cette
région est particulière puisqu'elle est une destination populaire
pour les investisseurs étrangers malgré les taux
élevés de corruption qu'elle affiche.
Egger et Winner (2005), à leur tour, ont
affirmé que la corruption peut être considérée comme
un stimulus pour les IDE. Pour avoir une valeur, tout argument doit être
vérifié empiriquement. En effet, les deux auteurs ont eu recours
à des données de panel de 73 pays développés et en
développement recevant 90 % des flux d'IDE mondiaux durant la
période 1995-1999.
En utilisant des données de la corruption provenant de
trois sources différentes : Transparency International Index, World
Bank Corruption Index et ICRG Corruption Index et après avoir fait les
estimations nécessaires, les deux auteurs ont conclu qu'à court
terme la corruption peut avoir un impact positif sur l'entrée des flux
d'IDE.
Sachant que la corruption peut avoir une certaine
utilité au sein d'un organisme administratif, dès lors que
celui-ci a des règles bureaucratiques contraignantes, les investisseurs
étrangers peuvent profiter des procédés malhonnêtes
utilisés par les employés pour contourner les
règlementations.
Enfin, depuis quelques années, le problème de la
corruption et son influence sur les IDE est en ligne de mire. En effet, les
institutions internationales, à l'exemple du FMI et la Banque Mondiale,
ont mit la lutte contre la corruption dans leurs plans pour aider les pays en
développement.
Conclusion :
La plupart des Etats cherchent à
attirer de plus en plus d'IDE vue que ces derniers présentent une source
de financement extérieure privée importante et sont,
également, porteurs d'avantages comme le transfert de technologies, de
compétences, de capacités d'innovations et d'emploi.
Pour réussir, les études ont montré
qu'il faut préparer un climat institutionnel prospère et
favorable à l'attraction des investisseurs étrangers. En effet,
la concurrence entre les pays pour atterrir les capitaux est acharnée et
les décideurs économiques ont trouvé la solution dans le
développement de structure institutionnelle.
Mais le disfonctionnement, qui peut affecter l'IDE, est
inévitable et se manifeste sous la forme de la corruption ;
d'où il est nécessaire d'étudier les causes pour
remédier à ce problème, surtout dans les pays en
développement qui sont les premiers destinataires de l'IDE.
D'où on peut conclure que la relation Corruption-IDE
est une relation d'importance majeur, mise en étude par plusieurs
économistes. Certains l'ont qualifié de positive par contre
d'autres ont montré qu'elle est de nature négative.
Dans le chapitre suivant, on va étudier cette relation
empiriquement et on va essayer d'en déterminer sa nature. On a choisi la
région MENA comme champs d'application.
|