Section 3 : Les
stratégies de lutte contre la corruption
La corruption est un phénomène d'une importance
cruciale que l'on peut comparer à une épidémie car elle se
propage rapidement dans le système politico-économique du pays.
Pour protéger ce système, il faut un remède très
efficace sous formes des réformes qui doivent être durables pour
réussir (Bo Rothstein, 2007).
1.1- Réduire les possibilités de la
corruption :
Un des moyens de diminuer la corruption est de réduire
les bénéfices et les coûts qui sont sous le contrôle
des fonctionnaires à tous les niveaux de la hiérarchie
administrative. La transparence des règles et l'introduction de la
concurrence au sein de l'administration sont également d'autres
moyens.
1.1.1- Réduire le rôle de l'Etat dans
l'économie :
En général, toute réforme qui ouvrira
l'économie à la concurrence aura pour effet de réduire les
tentations de corruption (Ades A. et Di Tella R., 1997). De ce fait,
l'assouplissement des restrictions liées au commerce extérieur,
la suppression des obstacles à l'entrée sur le marché
privé et la privatisation des entreprises publiques d'une manière
qui les expose à la concurrence sont autant de mesures qui aideront
à lutter contre la corruption.
En effet, si le gouvernement n'a pas le pouvoir de limiter
les exportations ou de contrôler la création d'entreprises, aucune
possibilité de corruption n'existera dans ces domaines. La suppression
d'un programme de subvention mettra fin, du même coup, aux pots-de-vin
qui pouvaient l'accompagner. De même, une fois le contrôle des prix
abolis, les prix du marché refléteront la rareté des
produits et non plus les dessous-de-table versés.
Réduire le rôle et le pouvoir
discrétionnaire de l'agent public ne signifie pas qu'il faille pour
autant éliminer des différents régimes
généraux et programmes de dépenses publiques qui se
justifient pleinement. Il ne s'agit pas de les supprimer mais bien de les
réformer.
Une solution est alors de clarifier et rationaliser les lois
de façon à réduire le pouvoir discrétionnaire des
fonctionnaires. Prenons comme exemple, les politiques d'environnement, les
économistes préconisent des mécanismes marchands tel que
la taxation des émanations et la création de marchés de
droits à polluer (Rose-Ackerman S., 1998). L'instauration des taxes
d'utilisateurs pour les services publics rares est encore recommandée.
Ces réformes présentent l'avantage de supprimer les incitations
à la corruption en remplaçant les pots-de-vin par des paiements
légaux.
1.1.2- Rendre les règles plus
transparentes :
On peut restreindre les possibilités de corruption en
veillant à ce que les textes sur les impôts, les dépenses
publiques et les régimes organisant les différentes institutions
soient plus simples et ne confèrent pas de pouvoirs
discrétionnaires. Un certain risque est parfois tolérable lorsque
les avantages d'une politique discrétionnaire de gestion des programmes
sont supérieurs au coût de la corruption. Mais même dans ce
cas, la transparence et la publicité des textes peuvent aider à
limiter l'attrait de la corruption. Les officiers de police, par exemple,
doivent être investis de certains pouvoirs discrétionnaires pour
faire respecter la loi sur-le-champ, mais les plaintes si elles sont rendues
publiques, mettront souvent fin aux abus.
1.1.3- Soumettre les administrations à des
pressions concurrentielles :
Certains programmes ne peuvent être ni
réformés ni supprimés. Ils doivent alors être
gérés plus honnêtement. Dans ce but, des pressions
concurrentielles peuvent être créés à
l'intérieur de la sphère publique pour affaiblir le pouvoir de
marchandage de chaque fonctionnaire.
Le pouvoir discrétionnaire des fonctionnaires
confère à chacun un certain degré de monopole sur ces
clients. L'organigramme administratif peut être clair et bien
défini, mais abriter une corruption généralisée.
Cette situation peut être évitée par la mise en place de
différents niveaux d'administration se chevauchant et se faisant
concurrence pour saper la position de force des fonctionnaires si le premier
lui réclame un supplément, aucun agent ne sera en mesure de
monnayer chèrement la prestation demandée, pour autant que le
demandeur puisse y prétendre. Et si c'est au contraire l'usager qui
cherche à acheter le fonctionnaire, le chevauchement des domaines de
compétences administratives pourra également jouer un rôle
dissuasif.
1.2- Accroître la crédibilité des
institutions chargées de l'application des
lois :
La pérennité du développement passe en
général par la mise en place de mécanismes qui rendent
l'Etat et ses serviteurs responsables de leurs actes. Pour être durables
et crédibles, ces mécanismes doivent être ancrés au
coeur même des institutions. C'est ainsi, que l'existence d'une
magistrature très forte et indépendante et la séparation
des pouvoirs demeurent les deux garde-fous institutionnels les plus
importants.
1.2.1- Indépendance et efficacité de la
justice :
Un système juridique viable qui applique la loi sans
favoritisme ni arbitraire constitue une condition de contrôle de la
corruption.
Pour s'engager sérieusement sur la voie de la
réforme, un pays doit posséder des organes d'inspection et de
poursuite efficace, ainsi qu'un système judiciaire qui ne soit pas
lui-même corrompu. La réforme du système judiciaire
nécessite plus qu'un simple changement de personnel. Sans modification
des structures, on ne peut guère s'attendre à un changement
fondamental. La première étape de la réforme consiste
à améliorer les salaires et les conditions du travail des
magistrats et du personnel sur lequel ils s'appuient, mais ces
évolutions doivent s'accompagner d'un meilleur contrôle des
résultats, par des agents internes et externes au système. Une
formation complémentaire peut s'avérer nécessaire pour que
les magistrats puissent sérieusement statuer sur les cas qu'ils ont
à juger. Une amélioration du professionnalisme des magistrats
devrait réduire la fréquence de la corruption. Mais toutes ces
réformes n'auront que peu d'impact si l'indépendance du pouvoir
judiciaire à l'égard des pouvoirs exécutifs et
législatifs n'est pas garantie.
1.2.2- La séparation des
pouvoirs :
Même si le pouvoir judiciaire a les moyens de faire
appliquer la loi, il faut que le public croie encore à la
stabilité des règles en place. Il faut par ailleurs que les
mécanismes constitutionnels classiques fonctionnent pour éviter
une modification permanente des lois avec la séparation horizontale et
verticale des pouvoirs (World Bank, 1997).
Il est possible de séparer les pouvoirs
horizontalement entre la judiciaire, le législatif et l'exécutif
et verticalement entre l'administration centrale et les collectivités
locales. Ceci devrait diminuer la corruption, plus particulièrement le
trafic d'influence.
1.3- Reformer la fonction
publique :
Qu'il soit chargé d'élaborer des politiques, de
fournir des services ou d'administrer des contrats, un personnel
compétant et motivé est la cheville ouvrière d'une
fonction publique efficace. En général, les mesures prises pour
constituer une fonction publique de cette qualité sont axées
presque exclusivement sur la rémunération. Mais, importante
qu'elle soit, la rémunération n'est pas le seul facteur. Le
recrutement et la promotion fondés sur le mérite et le
développement d'un esprit de corps et le système de surveillance
et de sanction ont également leur importance. Cela permet, d'une part,
de limiter la corruption et le clientélisme politique et d'attirer et
fidéliser des personnes compétentes et, d'autre part,
d'encourager l'identification aux objectifs de l'organisation, de
réduire le coût de la surveillance et de développer la
coopération interne et la loyauté.
1.3.1- Recrutement et promotion fondés sur le
mérite :
L'adoption dans la fonction publique d'un système
méritocratique permet d'attirer du personnel de haut niveau ; cela
rehausse le prestige des fonctions et contribue dans une large mesure, à
la motivation des fonctionnaires. Ce système n'a pas encore
été adopté par la plupart des pays en développement
où l'Etat est au contraire devenu une source inépuisable d'emploi
et où le recrutement dépend non pas du mérite, mais des
relations.
Il existe deux types de système de recrutement et de
promotion au mérite qui ne s'excluent pas mutuellement : Le
mandarinat et le système ouvert. Le premier est un système
hiérarchisé et fermé, imposant des conditions
d'entrée très compétitives. Dans les pays qui manquent de
personnel qualifié, cela peut être la meilleure façon
d'instituer un système de formation plus sélectif. Le
système ouvert, est un système de recrutement plus souple et
décentralisé, de plus en plus axé sur le marché. Il
laisse aux responsables une plus grande latitude pour mettre en correspondance
les qualifications requises et les compétences disponibles y compris les
compétences techniques rares, mais, par la même, il est plus
difficile d'entretenir le professionnalisme et l'esprit de corps.
1.3.2- Une rémunération
adéquate :
L'existence d'un système de recrutement et de
promotion au mérite confère à la fonction un prestige qui
accroît l'attrait de l'emploi dans le secteur.
Mais si les rémunérations restent très
inférieures à celles du secteur privé, le prestige ne
suffit pas pour combler l'écart. Une étude récente
menée sur plusieurs pays a mis en évidence une relation
négative entre les salaires des fonctionnaires (par rapport aux salaires
versés dans le secteur privé) et le niveau de corruption (Van
Rijckeghem C. et Weder B., 1997). L'écart existant entre les salaires
des fonctionnaires et leurs revenus fournit un argument
supplémentaire.
Encore, le constat d'une corrélation négative
entre les salaires et les malversations aide à expliquer pourquoi des
individus continuent à travailler dans le secteur public alors que le
secteur privé offre des salaires beaucoup plus élevés pour
emplois équivalents. Par ailleurs, il est probable que, certains
fonctionnaires occuperont un second poste dans le secteur privé. Le cas
échéant, il sera moins difficile de supprimer leurs postes. Des
modifications structuralles du fonctionnement de l'administration devraient
être combinées aux propositions plus conventionnelles
d'accroître les rémunérations et d'améliorer les
conditions de travail. L'objectif est non seulement d'éliminer la
corruption des fonctionnaires existant, mais aussi d'attirer des candidats plus
qualifiés vers les emplois publics. Si les pots-de-vin sont
potentiellement élevés, la parité des salaires
privés et publics peut ne pas suffire à limiter la
corruption : elle devrait attirer des candidats qualifiés pour les
emplois publics requerrant des compétences similaires. Mais même
des fonctionnaires qualifiés peuvent être corrompus.
Enfin, les percepteurs, les policiers, les acheteurs publics
et les agents chargés de l'application des réglementations seront
toujours soumis à des incitations corruptrices. Dans ces secteurs de la
vie publique, l'augmentation des salaires et des avantages peut être
nécessaire, mais elle n'est pas suffisante. Pour réduire
efficacement la corruption, elle doit être couplée à un
système de surveillance et de sanction.
1.3.3- Renforcer les mécanismes de surveillance
et de sanction :
Un système de surveillance crédible capable de
détecter les fonctionnaires corrompus et les contraindre à
quitter la fonction publique constitue la parade la plus évidente. Si
les emplois publics sont bien payés, un fonctionnaire corrompu aura
beaucoup à perdre s'il est découvert, jugé et contraint
à chercher dans le secteur privé un emploi moins bien
payé. Le même effet dissuasif peut être obtenu autrement
qu'à travers des salaires élevés, en offrant des
bénéficies, tels que les pensions de retraite, qui ne pourront
être perçus qu'au terme d'une carrière sans faille.
Par ailleurs, des remèdes institutionnels ayant leur
propre autonomie peuvent aussi faire reculer la corruption. Les pays ont eu
recours à différentes formules dans ce domaine :
- Les médiateurs enregistrent les plaintes des citoyens
et peuvent aider à rendre les organismes publics d'avantage comptables
de leurs actes. Depuis l'entrée en vigueur, en 1991, de la loi portant
création de la charge de médiateur (Ombudsman Act), l'Afrique du
sud s'est dotée d'un service de protection des intérêts du
public qui est chargé d'enquêter sur les allégations d'abus
de pouvoir (malversation, corruption, violation des droits de l'Homme) des
agents de l'Etat et de rédiger des rapports qui sont en règle
général rendus publics. Ce service n'est pas autorisé
à engager d'actions en justice, mais il transmet les dossiers à
d'autres administrations qui s'en chargent.
- Certains ont mis en place des commissions
indépendantes ou ont nommé des inspecteurs généraux
qui sont chargés d'enquêter sur les accusations de corruption et
d'en saisir la justice. L'exemple le plus célèbre est celui de la
commission indépendante contre la corruption à Hong-Kong (Chine)
Stapenhurst R. et Kpundeh S.J., (1999).
Au cours des années 60, la corruption à
Hong-Kong (Chine) était tellement généralisée
qu'elle avait donné naissance de leur part à la commission
indépendante de lutte contre la corruption, connue sous son sigle
anglais ICAC. Cette commission relève uniquement du gouverneur. Les
agents de l'ICAC sont mieux payés que les autres fonctionnaires et ne
peuvent être transférés dans un autre département.
La commission est non seulement habilitée à enquêter sur
les faits de corruption et à engager des poursuites, mais aussi à
financer des compagnes de sensibilisation de l'opinion. Si la corruption a
connu un net recul dans cette région, on aurait tort de penser que
l'ICAC ne connaît pas de problème, le principal étant
qu'elle ne rend compte qu'au gouverneur.
Une commission de lutte contre la corruption relevant d'un
dirigeant autocratique pourrait être un instrument de répression
contre les opposants politiques. Les prérogatives importantes dont elle
dispose pourraient conduire à des abus de pouvoirs avec des
régimes moins respectés du droit. Pour que ses pouvoirs soient
soumis à un meilleur contrôle, une commission de ce type pourrait
relever non pas du chef de l'exécutif, mais du corps
législatif.
1.4- Rendre l'Etat plus proche des
citoyens :
Pour revivifier les institutions publiques, il faut commencer
par rapprocher l'Etat des citoyens, c'est-à-dire donner aux citoyens et
aux utilisateurs particuliers, aux organisations du secteur privé et aux
autres groupes de la société civile les moyens de se faire
entendre.
Les associations des citoyens peuvent constituer un
contre-pouvoir efficace à l'usage arbitraire du pouvoir de l'Etat,
à condition d'avoir les moyens de s'organiser et d'être
informées du déroulement de la vie publique. Ainsi, le budget,
les données relatives à la collecte des recettes, les divers
statuts et règlements et les débats des assemblées
législatives devraient être rendus publics. Les fonds secrets ou
extrabudgétaires qui sont mis à la disposition des chefs de
l'exécutif sans devoir être soumis au contrôle ne font que
favoriser la corruption.
Les lois sur la liberté d'information, comme il en est
aux Etats-Unis et dans plusieurs pays européens (Worl Bank, 1997)
donnent au citoyen un droit de regard efficace, un citoyen bien informé
est mieux armé pour sanctionner les agents de l'Etat, que ce soit dans
l'isoloir ou par d'autres moyens de contestation, notamment en saisissant la
justice ou en s'adressant directement aux décideurs. La liberté
de la presse peut jouer également un rôle capital dans la lutte
contre les abus de pouvoir, en particulier là où l'action des
gouvernements et des fonctionnaires n'est pas soumise à d'autres formes
de contrôle. L'adoption des lois facilitant la création
d'association et d'organisations sans but lucratif a également un
rôle constructif dans la lutte contre la corruption.
Transparency International, une organisation internationale
sans but lucratif, s'efforce de mobiliser des citoyens dans le monde entier
pour lutter contre la corruption et dresser des bilans publics de la situation
dans ce domaine. Sa stratégie anti-corruption focalise beaucoup sur
l'importance du soutien de la société civile, partant de la
raison que le pouvoir politique n'est pas capable de relever seul le
défi si sa voix reste isolée. Néanmoins, nombreux sont les
pays qui s'opposent à la création de telles associations ou la
rendent coûteuses, précisément en raison de la force que
peut avoir la liberté d'information pour promouvoir une réforme,
d'où la nécessité de l'intervention des institutions
financières et les organisations de développement international
pour convaincre ces pays à adapter les réformes
économiques et institutionnelles propices pour combattre la corruption.
Conclusion :
Les débats sur le concept de corruption ne cesse de se
déclencher de temps en temps afin de trouver une définition
adéquate qui peut décrire précisément ce
phénomène.
D'après Senior (2006) : « la
définition se base sur cinq conditions qui doivent être satisfais
simultanément. La corruption se produit quand le corrupteur (1) donne
secrètement (2) un service pour le corrompant ou pour un candidat
agréé pour influencer (3) l'action qui (4) profitent au
corrupteur ou le candidat agréé, et pour lequel le corrompant a
(5) l'autorité ».
Une récente définition de la corruption qui
résume ce débat acharné dont on a essayé de le
montrer au cours de ce chapitre. On a vu aussi les différentes formes et
types qui peuvent avoir la corruption selon la littérature
économique.
Enfin, dans la dernière section on a analysé les
différentes stratégies de lutte contre la corruption. Mais il est
à signalés que la mise en oeuvre des réformes doit
résulter d'une volonté propre aux pays concernés et que
l'aide de la communauté internationale peut se révéler
utile.
A ce stade, on va apercevoir l'effet de la corruption sur
l'investissement direct étranger tel qu'il est conçu par la
littérature économique puis on va essayer de le vérifier
empiriquement.
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