Du débat politique à la salle de classe : Etude du conflit de représentations autour de la question raciale au Brésil( Télécharger le fichier original )par Antoine Maillet IEP Paris - Master de Recherche Sociétes et Politiques Comparées 2006 |
A. 1988 : le débat sur la Constitution, moment fort pour le mouvement
Un premier combat est gagné avec la mention de la question raciale comme un thème à aborder dans le Régime interne de la Constituante. Néanmoins, les représentants du mouvement noir ne sont guère satisfaits par le traitement réservé à la question, puisqu'elle se retrouve reléguée à une sous-commission « des Noirs, Populations Indigènes, Personnes Déficientes et Minorités », à l'intérieur de la commission thématique « de l'Ordre Social »77(*). Les militants noirs souhaitaient en effet voir le thème abordé de manière transversale, en ayant la possibilité de participer à d'autres commissions. Le rejet de cette requête est significatif du peu d'importance accordé par les membres de la Constituante au sujet. La discussion en sous-commission voit l'acceptation de toutes les propositions du mouvement noir, mais, dès le passage en commission thématique, les formulations retenues pour les articles sont fortement euphémisées. Le projet est peu à peu vidé de son contenu, notamment dans le domaine de l'éducation. Ainsi, dans la première rédaction, il est mentionné que : « l'éducation insistera sur l'égalité des sexes, la lutte contre le racisme et toutes les formes de discrimination, affirmant les caractéristiques multiculturelles et pluriethniques du peuple brésilien. »78(*) Figure aussi, à ce stade du processus, l'obligation de l'enseignement de l'histoire des populations noires. Après le passage par la commission thématique puis la commission de systématisation, l'obligation de l'enseignement de l'histoire n'est pas conservée dans la rédaction finale de la constitution, car considéré comme discriminatoire par la majorité des députés. Est seulement mentionné, dans une partie annexe de la constitution, le Titre IX, « des dispositions constitutionnelles générales », que : « L'enseignement de l'Histoire du Brésil prendra en compte les contributions des différents cultures et ethnies pour la formation du peuple brésilien. »79(*) Il s'agit donc d'un échec pour le mouvement noir, qui n'a pu faire valoir ses positions sur l'éducation. On en reste à une formulation très vague, dans une partie reculée du texte, et qui surtout reste fidèle à la « fable des trois races »80(*) fondatrices de la nation, sans que ne soit évoquée les relations de domination qui ont caractérisé le processus. Les discussions sur la thématique raciale sont renvoyées à la rédaction d'une « loi sur les directives et les bases de l'éducation nationale » (LDB, « Lei de Diretrizes e Bases da educaçao nacional »). Seules des propositions correspondant plus à la pensée nationale sont retenues : la criminalisation du racisme et la reconnaissance des quilombos. Les rédacteurs sont loin d'imaginer que cette dernière disposition va donner un outil de lutte précieux pour les militants noirs81(*). La criminalisation du racisme n'entre pas en contradiction avec la croyance en la démocratie raciale. Au contraire, elle maintient le racisme comme un problème individuel, qui doit être traité pénalement, plutôt que comme un problème social et politique. La question des quilombos est traitée sur le plan culturel, un domaine dans lequel l'expression des Noirs n'est pas bridée comme lorsqu'elle entre sur le terrain politique. Sur ces points, le mouvement noir a obtenu satisfaction, avec leur inclusion dans une constitution hétéroclite, parfois incohérente, et qui globalement, parvient à la fois à répondre aux demandes de groupes d'intérêts divers sans menacer la position des conservateurs82(*), une analyse qui correspond au bilan que l'on peut tirer de la participation du mouvement noir à ce processus. Les fondements de la nationalité brésilienne restent inchangés. Dans le domaine de l'éducation, où le mouvement noir a connu un échec, le combat pour promouvoir une autre représentation de la société brésilienne à travers les programmes scolaires, qui implique une remise en cause de la pensée dominante, se poursuit dans la discussion sur la LDB.
Jusqu'à 1995, le mouvement noir n'obtient que peu d'attention de la part des acteurs politiques et des pouvoirs publics au niveau national, alors qu'il a mené d'intenses campagnes tout au long des années 1980. Il n'a réalisé que quelques conquêtes au niveau local, municipal ou des états. Mais la mobilisation du mouvement noir à l'occasion du tricentenaire de la mort de Zumbi va permettre l'ouverture de canaux de discussion et une amorce de changement dans les politiques publiques. Il semblerait que le référentiel global de l'action publique s'ouvre, bien que légèrement, aux revendications du mouvement noir.
Le climat politique est devenu favorable à la mise sur agenda des revendications du mouvement noir, qui se reflète dans l'éducation, avec la mise en place d'un « programme national du livre scolaire », la publication du livre Superando o Racismo na Escola (Dépasser le racisme à l'école) et l'élaboration des Paramètres du Programme Scolaire National (PCN, soit « Parametros do Curiculo nacional »). Ces trois mesures manifestent l'amorce, mais aussi les limites, d'un changement dans les représentations de l'administration brésilienne, potentiellement un changement de référentiel. Le discours favorable aux revendications du mouvement noir du Président Cardoso n'est pas source de modifications importantes. Les résultats sont souvent décalés par rapport aux objectifs, amenant à s'interroger sur l'ambiguïté de la position de l'administration Cardoso. Ainsi, le « programme national du livre scolaire » a pour but l'évaluation des livres scolaires, dans lesquels ne peuvent être exprimés de « préjugés sur l'origine, la race, la couleur, le sexe, l'âge et n'importe quelle autre forme de discrimination »89(*). Mais ces critères ne recouvrent que l'expression de préjugés explicites, très peu courants dans la société brésilienne. L'absence de spécialistes de l'étude du préjugé racial dans la commission qui émet les recommandations pour ce programme manifeste la faible perméabilité de l'institution à la revendication du mouvement noir d'adopter une vision plus large du préjugé racial et du racisme en général, ne se limitant pas à ses manifestations les plus visibles. Le livre Superando o racismo, élaboré dans le cadre de cette nouvelle politique du Ministère de l'Education (MEC) plus sensible à la thématique raciale, a lui aussi été victime des ambiguïtés d'un possible double discours. Rédigé par d'éminent spécialistes de la question raciale à l'école, il n'a, selon une personne interrogée dans le cadre de mon enquête de terrain, pas été distribuée jusqu'à ce que les auteurs eux-mêmes, soutenus par le mouvement noir, n'obtiennent une réimpression et son envoi dans les écoles. Cet exemple montre bien à quel point les militants doivent être attentifs à l'exécution des annonces, un travail que réalise le mouvement noir, qui a, à travers ces épisodes, conquis une certaines légitimité vis-à-vis et à l'intérieur du MEC. Il est caractéristique de l'aspect conflictuel de la mise sur agenda, qui est le résultat d'une pression exercée de manière continue. L'ambiguïté se maintient dans le Paramètres du Programme scolaire National, document publié en 1998 par le MEC pour orienter l'enseignement fondamental. La « pluralité culturelle » y figure comme un thème transversal, au même titre que l'orientation sexuelle, l'éthique ou l'environnement. Il doit être abordé ensuite sous différents angles selon les matières. Un problème relevé par la littérature est que ce document, même s'il aborde frontalement les questions de discrimination raciale comme des « obstacles au processus éducationnel », perpétue sur le fond la vision de la démocratie raciale héritée de Freyre90(*). En effet, les PCN se fondent sur une vision de la culture brésilienne homogène, comme résultant du mélange des trois cultures fondatrices. L'autre aspect critiqué est justement l'absence d'un point de vue critique sur l'apport de ces cultures, qui ne sont pas questionnés. Certains craignent ainsi que la question de la pluralité, au lieu d'être discutée, soit résumée à une question de contenu qui fige le débat, au contraire des objectifs du mouvement noir, qui promeut une autre vision de la nation91(*). Cette discussion porte sur la nature même de l'évolution des représentations que le mouvement noir propose. Loin de rechercher une essentialisation de la catégorie de Noir, qui pourrait figer les inégalités, les militants, souvent parties prenantes des discussions académiques, appartiennent à une tendance du multiculturalisme critique. Ils souhaitent que les questionnements autour de l'identité soit abordée dans les programmes scolaires dans une perspective qui amène à leur déconstruction. Le but de l'éducation serait de donner aux enfants les outils pour interroger toutes les catégories92(*). Si les revendications émises par le mouvement noir sont donc entendues par les pouvoirs publics, elles restent reprises à la marge, sans entraîner de changements profonds dans le référentiel des acteurs. Quelques projets marginaux sont réalisés, des expériences sont lancées, grâce à l'action d'individus assez isolés au sein d'une administration qui reste majoritairement guidée par un référentiel universaliste. L'ouverture du Président Cardoso peine à se traduire en mesures concrètes. Il faut cependant relativiser cette observation en se plaçant sur le temps long des politiques publiques : un changement de référentiel peut intervenir sur une période d'une dizaine d'années, parfois plus. Il pourrait alors s'agir d'une première vague d'expériences qui préfigurerait un mouvement plus large. Surtout, ce changement ne correspond pas nécessairement à l'évolution des mentalités des individus présents dans l'administration mais plutôt à la présence de nouveaux éléments, porteurs d'idées et de représentations différentes. Le concept de référentiel révèle ainsi sa complexité. Hors de l'administration centrale, la revendication portant sur l'obligation de l'enseignement de l'histoire et de la culture des Noirs connaît un certain succès au niveau local dans les années 1990. Dans des états ou municipalités ou le mouvement noir est puissant, elle est parfois inscrite dans la loi, sans que cela n'indique qu'elle soit réellement mise en oeuvre. Ainsi, la Constitution de l'état de Bahia en 1989, des lois à Belo Horizonte en 1990, à Porto Alegre en 1991, à Belem en 1994 permettent l'inclusion dans les programmes des réseaux publics d'enseignement de ces collectivités locales de contenus relatifs à « la race noire dans la fomation socio-culturelle brésilienne »93(*). D'autres initiatives du même ordre sont prises à Brasilia et Sao Paulo. Au niveau national, c'est en 2003 que le mouvement noir obtient satisfaction pour cette demande historique.
Le décret, qui établit des « Directives des Programmes Nationaux pour l'Education des Relations Ethnico-Raciales et pour l'Enseignement de l'Histoire et de la Culture Afro-Brésilienne et Africaine », permet de comprendre l'esprit de cette loi, au-delà du contenu formel. Les circonstances de sa rédaction sont en soi intéressantes pour une recherche d'indice de changements de référentiels d'action publique dans l'éducation. Il est en effet rédigé par Petronilha Gonçalves da Silva, première membre noire du Conseil National d'Education (CNE). Cet organisme appuie le ministère de l'éducation dans la définition de ses politiques. Nommée en mars 2002, elle y représente le mouvement noir, suite à une promesse du ministre l'éducation Paulo Renato de nommer un représentant des mouvements indien et noir dans ce conseil97(*). Il s'agit d'un exemple de la réussite du mouvement noir à intégrer l'appareil administratif d'Etat pour influencer les politiques publiques, qui traduit une évolution du référentiel global : les places accessibles aux Noirs dans la haute administration sont plus nombreuses. Le décret est publié dans un livret, dont il est précisé qu'il doit être distribué dans toutes les écoles. Il débute par des présentations du Ministère de l'Education et de la SEPPIR, créée en mars 2003 par le Président Lula. Ces deux courts textes inscrivent la loi dans une perspective historique, celle de la sortie d'un « modèle de développement excluant », caractérisé par « une posture active et permissive face à la discrimination et le racisme », grâce à des « politiques affirmatives ». Matilde Ribeiro, ministre à la tête de la SEPPIR, précise que le gouvernement Lula a « replacé la question raciale dans l'agenda national », une prise de position très politique qui tait l'action du gouvernement précédent. Le plus intéressant reste que l'éducation y est définie comme « un des principaux et actifs mécanismes de transformation du peuple », ce qui donne une portée très large au texte. Ce texte apparaît comme une synthèse de l'action du mouvement noir depuis le début des années 1980 : on y retrouve nombre d'éléments déjà évoqués dans cette partie. C'est pourquoi je reprendrai pour l'étudier la classification établie par Antonio Sergio Guimaraes entre politique de reconnaissance, d'identité, de citoyenneté et de redistribution. Il s'agit d'une reformulation dont le but est une meilleure compréhension d'un document assez touffu et plein de références. Sa lecture est un exercice difficile et certainement obscur pour qui n'est pas familiarisé avec ces discussions. La demande de reconnaissance s'exprime particulièrement dans la critique du mythe de la démocratie raciale et d'une harmonie culturelle au Brésil. Contre cette vision dominante, le texte insiste sur « les relations tendues entre les Blancs et les Noirs », ou la cohabitation « tendue » entre les références esthétiques et culturelles noires et africaines et celles blanches et européennes. Cette sortie du mythe des trois cultures, fondatrices sur un pied d'égalité de la culture nationale, ainsi que les discriminations encore à l'oeuvre dans l'institution scolaire, justifient l'objectif que se fixe le texte : permettre la « rééducation des relations ethnico-raciales ». Cette rééducation est un but très ambitieux au vu du silence qui règne au Brésil sur cette question raciale. L'école n'est d'ailleurs pas considérée comme l'unique acteur dans ce combat qui concerne toute la société. La reconnaissance est au coeur d'un projet qui souhaite mettre en valeur l'apport des Noirs à la construction nationale, et prône l'élimination des stéréotypes, dans les domaines variées de la vie scolaire. Un tel projet a pour destinataire à la fois la société en général, pour faire évoluer ses représentations des populations d'origine africaine, et les Noirs eux-mêmes, pour restaurer leur estime de soi, et s'apparente à la politique culturelle développée par le mouvement noir depuis les années 1980. Le second axe, l'identité, est aussi très présent dans ces directives. L'échec scolaire des étudiants noirs, analysé comme résultant de leur absence d'identification avec l'institution, peut être en partie résolu si les programmes scolaires tiennent compte de leurs racines et leur donnent les outils pour se penser positivement. Un changement des pratiques pédagogiques et du discours véhiculé par l'école doit permettre à l'étudiant de s'affirmer comme noir sans honte et de ne pas nier son identité, ce à quoi la domination du modèle esthétique blanc l'a souvent contraint. Chaque citoyen doit pouvoir affirmer ses racines sans crainte d'être discriminé, ce qui conduit directement à la troisième catégorie. La revendication de citoyenneté apparaît d'abord à travers l'affirmation du lien entre la lutte contre les inégalités raciales à l'école et l'avènement d'une société démocratique. Le projet de l'approfondissement de la démocratie au Brésil ne peut être réalisé sans une réelle action contre les discriminations raciales. On retrouve là la volonté d'ancrer le discours autour de la question raciale dans le cadre national, très présent tout au long du document. La question noire concerne bien tous les Brésiliens, et pas seulement les Noirs, ou pas seulement l'école. Les demandes de réparation et d'actions affirmatives, caractéristiques d'une politique de redistribution, traversent aussi tout le document. Elles visent à promouvoir une véritable stratégie d'inclusion, pour que ces mesures ne soient pas seulement d'ordre culturel. L'enjeu est bien celui d'une amélioration de la situation des Noirs. Pour cela, il faut « rompre avec le système méritocratique qui aggrave les inégalités » et permettre que « les établissements fréquentés majoritairement par la population noire, disposent d'installations et d`équipements solides, actualisés, avec des professeurs compétents ». La justice sociale, bien que liée à la reconnaissance culturelle, reste l'objectif fondamental du mouvement noir. Pour cela, le décret prône des mesures concrètes et exige une action commune à tous les niveaux de l'éducation, pas seulement limitée au professeur dans sa salle de classe. Il doit bénéficier du soutien de l'appareil administratif, grâce à l'appui du coordinateur pédagogique. De manière transversale, au-delà de cette catégorisation, deux points majeurs sont à retenir du texte. Le premier est les destinataires à qui il est adressé et le but qui lui est assigné. Le décret doit être un outil pour toutes les personnes, étudiants, parents, professeurs ou « tous les citoyens engagés pour l'éducation des Brésiliens » qui souhaitent entrer dans un dialogue avec l'institution scolaire sur ce thème. Il doit donc être diffusé le plus amplement possible. Plus clairement, son caractère normatif en fait donc une arme dans la lutte contre les discriminations. Il est d'ailleurs précisé que les établissements doivent rechercher un dialogue au niveau local avec les représentants du mouvement noir. Le second est son caractère universel, dans la mesure où le document cherche en permanence à ne pas apparaître comme orienté vers un usage exclusif par la communauté noire. Au contraire, il précise bien que ces dispositions doivent valoir pour d'autres segments de la population, comme les indigènes, et qu'il ne s'agit en aucun cas de « changer une vision ethnocentrique notablement de racine européenne pour une autre africaine ». Malgré la forte influence du discours des sciences sociales sur le décret, à aucun endroit n'apparaît le terme de multiculturalisme, peut-être parce qu'il serait trop polémique. On retrouve certes dans ce texte une défense de l'identité noire, qui s'explique par la nécessité de lutter contre une vision hégémonique, mais aussi les marques d'un multiculturalisme de tendance critique, qui vise à permettre la déconstruction des catégories socialement produites. Le document propose pour finir un catalogue de mesures impossibles à lister ici visant à permettre l'application concrète dans les écoles des principes qu'il défend. Il donne ainsi des pistes pour faciliter le traitement de cette thématique par les professeurs, même s'il insiste bien sur la nécessité de formation. On y découvre une certaine ambiguïté sur l'identité des Noirs au Brésil, qui correspond bien à la perspective non-essentialiste qui domine dans la partie du mouvement la plus en phase avec le discours des sciences sociales, présente dans les institutions. Les racines africaines sont évoquées, au même titre que les quilombos ou des aspects plus proches d'une identité transnationale. Le décret étant l'inspiration du programme « Sao Paulo : Educando pela diferença e para a igualdade», ces questions ayant trait à la complexité de l'identité feront l'objet d'une réflexion plus approfondie dans le troisième chapitre. Le décret, qui établit les directives pour l'application de la loi 10.639, reprend des revendications dont la filiation remonte au début des années 1980, et plus loin encore si l'on se réfère à la place qu'occupait l'éducation dans le mouvement noir du début du XX° siècle. Obtenu suite à des pressions politiques, ce texte marque une inflexion dans la politique d'éducation de l'Etat brésilien. Par leur portée plus large, ces avancées peuvent même être considérées comme des indices d'un changement de référentiel sectoriel. Il convient toutefois de rester mesuré, en indiquant qu'elles illustrent une tendance qui pourrait s'amplifier. En l'état, on ne peut qu'en déduire la possibilité d'innover dans ce domaine, à contre-courant des représentations traditionnelles concernant les relations raciales, ce qui est déjà un changement notable. Ce cas nous donne un exemple de la complexité de l'action publique, où des décisions contradictoires peuvent être prises au même moment, des processus opposés se développer simultanément. Cette multiplicité de l'action publique est aussi liée à la diversité des acteurs qui y participent : dans le cas de la loi 10.639 et plus généralement des innovations dans le secteur de l'éducation sur la thématique des relations raciales, il apparaît que la pénétration d'individus liés au réseau permet quelques avancées pour les idées du mouvement noir, comme dans le cas du Conseil National de l'Education. La présence de militants ou de sympathisants des revendications du mouvement noir à des échelons élevés de l'administration peut être interprétée comme une conséquence de l'évolution du référentiel global modestement impulsée sous le mandat du Président Cardoso. Cette observation illustre l'imbrication entre les évolutions du référentiel global et sectoriel, qui reste une source d'interrogations à l'issue de cette enquête. On pourrait d'ailleurs envisager la possibilité d'un mouvement en sens inverse, une évolution du référentiel sectoriel qui influerait sur le référentiel global. Pour avancer dans cette direction et proposer des hypothèses, une étude de terrain fondée sur des entretiens avec ces individus pourrait se révéler d'un grand intérêt. Il est aussi déjà nécessaire de s'interroger sur la pérennité de tel changements, qui peuvent être soumis à des aléas politiques. Seule leur amplification au cours du temps pourrait indiquer une réelle altération du référentiel, puisqu'une évolution des représentations doit s'ancrer dans la durée. Il faut dans l'immédiat s'interroger sur la traduction de cette nouvelle orientation dans les écoles, vu la diffusion de la vision traditionnelle sur les relations raciales. Ces évolutions au niveau national doivent donc être suivies dans leur application au niveau local. C'est l'objet du troisième chapitre, qui étudiera la mise en oeuvre de la loi 10.639 et du décret d'application par le Secrétariat d'Education de l'Etat de Sao Paulo.
* 77 RODRIGUES Tatiane, Movimento negro, op.cit,. p.51 (majuscules dans le texte original) * 78 proposition de la sous-commission pour l'article 4 de la constitution, cité par RODRIGUES Tatiane, Movimento negro, op.cit,. p.54 * 79 article 242, §1, de la Constitution de la République Fédérale du Brésil, 1988 * 80 DAMATTA, Roberto, Relativizando: uma introdução à Antropologia Social, Rio de Janeiro : Vozes, 1981, * 81 VEYRANT, Jean-François, L'esclavage en héritage, Paris : Karthala, 2003, p.28 * 82 GOIRAND, Camille, Démocratisation et mobilisation populaire à Rio de Janeiro, thèse de doctorat, Institut d'Etudes politiques de Paris, 1997
* 89 ROSEMBERG, Fulvia, BAZILLI Chirley, BAPTISTA DA SILVA, Paulo, Racismo em livros didacticos e seu combate : uma revisao da literatura, in Educaçao e pesquisa, vol.29, n°1, 2003 * 90 DA SILVA, Erlinda Cristiane, MOUTINHO Laura, « Raça no discurso educacional, uma analise do tema transversal « pluralidade cultural », communication au Congrès luso-brésilien de sciences sociales, 2004 * 91 GONÇALVES, Luiz Alberto Oliveira; SILVA, Petronilha B. G. e. O Jogo das Diferenças; o multiculturalismo e seus contextos, Belo Horizonte : Autêntica, 2001 * 92 CANEN, Ana, Educaçao multicultural, op. cit., p.138 * 93 formulation retenue par les municipalités de Porto Alegre (loi 6.889 du 5 septembre 1991) et de Belem (loi 7.685 du 17 janvier 1994, citée par DOS SANTOS, Sales Augusto, « A lei 10.639 como fruta da luta anti-racista do movimento negro », in Educaçao antiracista : caminhos abertos pela lei federal n°10.639, Ediçoes MEC/BID/UNESCO, Brasilia, 2005, p. 29
* 97 Folha de Sao Paulo, 25/03/2002 |
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