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Du débat politique à la salle de classe : Etude du conflit de représentations autour de la question raciale au Brésil

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par Antoine Maillet
IEP Paris - Master de Recherche Sociétes et Politiques Comparées 2006
  

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B. L'éducation, question centrale

1. Un combat éminemment politique

Les demandes en vue d'une politique de la reconnaissance et de l'identité, deux composantes d'une politique culturelle, sont souvent assez proches, quoiqu'adressées à des publics différents. Ainsi, les actions ayant pour but la restauration de l'estime de soi des populations noires, qui relèvent d'une politique de l'identité, à vocation interne donc, viseront aussi à faire reconnaître leurs mérites par les autres segments de la population, dans une logique de reconnaissance et une volonté de faire évoluer les représentations. Dans ce cadre, les questions d'éducation apparaissent centrales pour le projet politique du mouvement noir, qui a identifié très tôt le rôle de l'enseignement dans la diffusion des préjugés contre les noirs et le maintien d'une pensée dominée par les influences européennes, marginalisant les racines africaines de la population du Brésil. Ces questions font l'objet d'un intérêt particulier, qui se traduit par de nombreuses propositions. Par ailleurs, le contenu des programmes scolaires reflète assez fidèlement la position de l'Etat brésilien sur la question raciale et les représentations dominantes sur le sujet. Les débats quant à leur modification sont donc des indicateurs d'une éventuelle évolution des cadres de l'action publique. La vision de l'histoire nationale qu'ils proposent est révélatrice de l'état de la discussion sur le sujet.

Comme nous l'avons vu, l'éducation est déjà un thème central dans la revendication de seconde abolition qui caractérise les mouvements noirs du début du XX° siècle. Cependant, les revendications autour de cette question évoluent fortement avec le tournant plus culturel pris par le mouvement noir dans la seconde moitié du siècle. Alors que la presse noire des années 1920 et 1930 dispensait des leçons visant à calquer le comportement des Noirs sur celui des Blancs, dans le but de favoriser leur intégration, l'identité culturelle tient une place beaucoup plus importante dans cette nouvelle étape. L'école n'est pourtant pas discréditée en tant que vecteur de mobilité sociale : la volonté de promouvoir l'ascension des populations noires par ce canal reste très présente. Tatiane Cosentino Rodrigues analyse les discussions qui ont lieu dans les années 1980 à l'intérieur du mouvement noir, notamment dans les milieux académiques et au sein du MNU, sur ce thème71(*). Trois éléments sont récurrents dans ces discussions, qui associent militants et chercheurs, notamment en sciences de l'éducation : l'affirmation de la centralité de la question de l'éducation pour le mouvement noir, la dénonciation de la situation des noirs dans l'école et la proposition de pratiques alternatives, souvent fondées sur des expériences développées localement.

La centralité de l'éducation n'est donc pas affirmée seulement en lien avec la possibilité d'ascension sociale : elle est surtout considérée comme fondamentale dans la formation de la pensée des individus, et par là de la société. C'est ce qu'exprime un militant du mouvement noir lors d'une réunion à Recife en 1988 :

« L'éducation n'est pas seulement liée à la mobilité sociale, elle n'est pas que histoire, elle est tout un processus de formation des individus. Rompre avec un modèle d'éducation blanc et européen est la possibilité de rééduquer pour la connaissance de notre histoire, de notre réalité culturelle ».72(*)

Il s'agit donc bien pour le mouvement noir de s'inscrire en opposition à l'idéal de blanchiment qui domine encore dans la société. Cet idéal favorise le maintien de préjugés racistes et incite le Noir à ne pas se reconnaître dans une identité ethnique, pour privilégier une ascension individuelle. Le combat sur l'éducation est éminemment politique. Il prend la forme de demandes visant à rétablir la vérité sur l'apport des Noirs à la construction de la société brésilienne et à épurer les livres scolaires de contenus racistes, notamment dans l'iconographie. Des critiques sont aussi émises à l'encontre de professeurs qui, par ignorance et à cause d'une préparation déficiente, perpétuent les préjugés, et empêchent la valorisation par l'élève noir de sa propre culture.

Ces demandes jouent donc sur deux terrains, comme déjà évoqué : la lutte pour une reconnaissance de la place des noirs dans la société brésilienne (politique de reconnaissance) et pour la propre estime d'eux-mêmes (politique d'identité). Cette revendication peut être comprise comme particulariste, mais elle ne rompt pas avec l'identité nationale. Elle s'inscrit dans le conflit de représentations : à la représentation dominante d'un peuple brésilien unique, homogénéisé par le métissage, le mouvement noir oppose une vision prenant en compte la situation multiculturelle du pays73(*). Rompre avec le discours et les représentations de l'homogénéisation est une tendance à l'oeuvre dès les années 1980 et qui s'exprime encore plus fortement dans les années 1990.

2. Un discours alimenté par les sciences sociales

La dénonciation de la situation des Noirs dans l'école est effectuée d'après des études scientifiques, notamment celles de Hasenbalg et de ses successeurs portant sur les discriminations à l'oeuvre dans la société brésilienne contre les Noirs, et d'autres plus centrées sur les sciences de l'éducation elles-mêmes. Les secondes s'appuient sur une analyse du programme scolaire, entendu comme l'ensemble de l'expérience vécue dans le cadre scolaire, comme un instrument de domination, et concluent à la nécessité d'une réforme du système scolaire, qui viendrait à intégrer la différence comme fondement de la pédagogie.

Enfin, des propositions sont établies à partir d'expériences concrètes réalisées dans le champ de l'éducation par des activistes noirs. L'enseignement de l'histoire en vient à prendre une importance considérable. Dès 1987, lors d'un congrès à Recife, est formulée la nécessité de rendre obligatoire l'enseignement de l'histoire de l'Afrique et des Africains au Brésil. Cette réforme impliquerait notamment une révision des manuels et du contenu de la formation des professeurs et supposerait aussi une autre manière d'envisager certains événements historiques, dont l'abolition de l'esclavage. Le 13 mai, jour anniversaire de l'abolition de l'esclavage, serait ainsi commémoré comme la journée nationale de lutte contre le racisme, avec un retour réflexif sur les conditions de l'abolition. Le 20 novembre, jour anniversaire de la mort de Zumbi, le chef du quilombo de Palmares, deviendrait le jour national de la conscience noire74(*). Ces propositions sont celles que reprendra la loi 10.639 quinze ans plus tard.

Sur un plan plus pratique, sont réclamées des mesures visant à augmenter le nombre de Noirs à chaque niveau de l'enseignement, en leur donnant les moyens matériels de suivre leurs études.

Ces propositions vont traverser le champ politique pendant une quinzaine d'années, dès le débat qui accompagne la constitution de 1988.

II. La lutte politique : modifier la représentation de la population noire dans la construction nationale et la société brésilienne, à travers des mesures dans l'éducation

Les revendications mûries par le mouvement noir pendant la décennie 1980, éléments d'une politique culturelle, restent sensiblement identiques jusqu'aux années 2000. Leur émergence dans le champ politique est lente et conflictuelle, au sens où des avancées sont suivies de reculs. Comme dans tout processus de ce type, il ne s'agit pas d'une progression constante ni spontanée : le mouvement noir doit lutter pour faire avancer ses thématiques. Un tournant a lieu en 1995, qui marque la mise en place de canaux de discussion avec les institutions, où l'éducation est un des principaux points traités.

Cela est à mettre au crédit de l'action du mouvement noir, mais aussi à inscrire dans le contexte de mutations de la gouvernance impulsées dans le cadre de la mise en place d'un Etat néolibéral, au coeur du projet du gouvernement de Fernando Henrique Cardoso. Selon Christian Gros, l'Etat néolibéral qui se met en place dans la plupart des pays d'Amérique Latine dans les années 1990 trouve dans les concessions accordées aux communautés indigènes la possibilité d'une « intervention de basse intensité »75(*) qui lui permet de retrouver une certaine légitimité, érodée par l'affaiblissement de ses capacités de redistribution. On peut considérer qu'une logique similaire est à l'oeuvre dans la prise en compte des demandes du mouvement noir. C'est dans ce cadre politique global, de la démocratisation à la mise en place du projet néolibéral, que s'opère la traduction politique des revendications du mouvement noir.

On cherchera dans cette partie à déterminer si le conflit de représentations, dont l'origine est la politique culturelle du mouvement noir, peut être la source d'un changement de référentiel dans le secteur de l'éducation.

* 71 COSENTINO RODRIGUES, Tatiane, Movimento negro no cenario brasileiro : embates e contribuçoes a politica educacional nas decadas de 1980-1990, dissertation de mestrado, U. Federal de Sao Carlos, 2005, p.47

* 72 BAPTISTA, Joao, Octavo encontro dos negros do Norte et Nordeste, 1988, cité par COSENTINO RODRIGUES Tatiane, Movimento negro, op.cit,. p. 47

* 73 CANEN Ana, Educaçao multicultural, identidade nacional e pluralidade cultural : tensoes e implicaçoes curiculares, Cadernos de Pesquisa, n°111, 2000, p. 138 ; disponible sur www.scielo.br

* 74 COSENTINO RODRIGUES, Tatiane, Movimento negro no cenario brasileiro, op.cit., p.48

* 75 GROS Christian, Demandes ethniques et politiques publiques en Amérique Latine, Problèmes d'Amérique Latine, n°48, 2003, p. 11-30

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe