IV.2. LES ETUDES D'IMPACT SUR LA LIBERALISATION
COMMERCIALE
Dans la présente partie, il est important d'exposer les
différents impacts des APE qui ont été mis en avant dans
les études réalisées par des experts indépendants,
des centres de recherche et des organisations de la société
civile. Comme l'explique effectivement l'ECDPM, depuis que la Commission
européenne a proposé de remplacer les préférences
commerciales unilatérales par des zones de libre-échange avec les
États ACP, les effets probables de l'ouverture des échanges, ont
« toujours
173 LIPCHITZ, A., op.cit., p. 15.
174 Id., p. 13.
175 Depuis 2001, les PMA peuvent bénéficier de
l'initiative « Tout sauf les armes » selon laquelle tous les produits
couverts par cette initiative exceptés les armes, peuvent entrer sur le
marché communautaire en franchise de douane et libres de tout
contingentement.
176 LIPCHITZ, A., op.cit., p. 4.
177 D'après Jean-Claude Lefort, deux raisons majeures
expliquent le fait que les droits de douane constituent une source de revenu
importante pour les États africains. La première raison est que
les droits de douane constituent les seuls instruments de politique agricole et
industrielle à la disposition de pays pauvres, qui ne disposent que de
faibles ressources pour investir dans ces secteurs clés et sont donc
contraints de se contenter de les protéger. La seconde raison
avancée par l'auteur est que, « compte tenu de leur situation
économique et sociale, caractérisée par un nombre
élevé de familles d'agriculteurs, dont la seule perspective est
d'assurer leur autosubsistance alimentaire, et par la taille
considérable du secteur informel, les taxes à l'importation
représentent un optimum fiscal et budgétaire pour ces pays
». Voir : LEFORT, J-C., op.cit., p. 128.
178LIPCHITZ, A., op.cit., p. 15.
été un des principaux sujets de
discorde179 ». Une rapide présentation des impacts
des APE s'avère dès lors utile dans la mesure où elle rend
compte des inquiétudes qu'un tel projet (les APE) a suscité tant
au niveau de la société civile qu'au niveau des États ACP.
Par ailleurs, la nécessité d'énumérer succinctement
les impacts des APE se justifie par l'importance qu'ont revêtu les
études d'impacts en tant qu'outil d'aide à la décision
pour les négociateurs180 des pays ACP. Ainsi, comme le
précise la Commission économique pour l'Afrique de l'ONU dans son
étude d'impacts des APE sur l'Afrique, « la présente
étude (...) aspire à jouer un rôle capital en tant que
pièce maîtresse indispensable pour adopter des positions
africaines communes, à la fois aux niveaux régional et
sous-régional, à mesure de la progression du processus de
négociation sur les APE181 ».
Avant de présenter un rapide panorama des impacts des
APE mis en avant dans les diverses études, il est utile d'énoncer
quelques remarques. Tout d'abord, il est important de préciser la nature
théorique des études d'impacts dans la mesure où elles ont
été effectuées sur base d'hypothèses ou de
simulations sur les économies de ces pays. En outre, l'ECDPM
évoque également les contraintes méthodologiques, telles
la faible quantité et qualité de données disponibles,
auxquelles les études ont été confrontées dans leur
travail182. D'autre part, l'ECDPM insiste également sur le
fait que si toutes les études d'impacts s'accordent à dire que
les APE auront un impact significatif sur les économies ACP, ceux-ci
varient grandement d'une région à l'autre et
d'un pays à l'autre, démontrant de la sorte le caractère
fortement hétérogène des régions
considérées183.
Primo, toutes les études s'accordent sur l'importance de
la perte de recettes douanières184
consécutives à la réduction des entraves aux
échanges dans un APE.
179 BILAL, « APE Alternatifs et alternatives aux APE.
Scénarios envisageables pour les relations commerciales entre Les ACP et
l'UE », op.cit., p.38.
180 Malgré l'importance que revêtait
l'élaboration d'études d'impacts pour les États ACP,
Jean-Claude Lefort déplore qu'il n'existât toujours pas en 2006
d'étude de référence sur l'impact du libre-échange
procédant à une analyse détaillée, pays par pays et
région par région. En conséquence, le député
explique que les pays ACP ont été contraints de lancer
eux-mêmes le processus d'évaluation en ordre dispersé et
dans la mesure de leurs moyens. En outre, Monsieur Lefort précise que
l'étude menée par le célèbre cabinet de consultant
PriceWaterhouseCoopers (à la demande de la Commission
européenne), s'est avérée extrêmement
décevante sans compter le fait que le rapport final n'offrait qu' «
une vision partielle et partiale des défis posés par les APE
». Voir : LEFORT, J-C., op.cit., p.119-125.
181 CENTRE AFRICAIN POUR LES POLITIQUES COMMERCIALES,
Effets des accords de partenariat économique entre l'UE et l'Afrique
sur l'économie et le bien-être, Commission économique
pour l'Afrique, travail en cours, n°22, septembre 2005, p. 9.
182 BILAL, « APE Alternatifs et alternatives aux APE.
Scénarios envisageables pour les relations commerciales entre Les ACP et
l'UE », op.cit., p.42.
183 Ibid.
184 Dans son rapport d'information adressé à
l'assemblée nationale française, le député
Jean-Claude Lefort explique que la perte de recettes douanières n'est
pas considéré par la Commission européenne comme un
problème majeur. En effet, selon l'auteur, pour la direction
générale du commerce de la Commission, « la croissance
supplémentaire qu'apporteront les APE compensera les pertes
douanières. » Ainsi, pour la DG commerce, le choc
budgétaire résultant des APE est un faux problème qu'il
faut relativiser. Selon l'analyse de la DG commerce, un problème
budgétaire peut se poser, mais celui-ci ne sera pas immédiat en
raison de l'étalement dans le temps du démantèlement
tarifaire. D'autre part, la DG commerce estime que le choc sera salutaire car
il
Ainsi, selon Commission économique pour l'Afrique de
l'ONU, « compte tenu de la place qu'occupent les importations de l'UE
dans ces pays et de la dépendance de la majorité des pays
africains à l'égard des recettes fiscales, le
démantèlement tarifaire entraînera dans tous les cas une
baisse considérable des revenus. » En outre, plusieurs
études mettent en garde contre les impacts que ces pertes de recettes
pourraient avoir sur les dépenses publiques, car des gouvernements qui
ne parviendraient pas à compenser cette perte par d'autres formes de
recettes n'auraient d'autre choix que de réduire leurs dépenses,
ce qui mettraient finalement les secteurs sociaux en danger185.
Comme nous l'avons précisé ci-dessus, les pertes de recettes
douanières varient d'une région à l'autre et d'un pays
à l'autre en fonction de l'importance qu'occupe l'UE en tant que
partenaire commercial186.
Secundo, les études prévoient que l'abaissement
des recettes douanières accroisse le flux des échanges et
principalement les exportations de l'Union
européenne187 sur les marchés ACP. À
l'inverse, le marché communautaire étant déjà
totalement ouvert (96,5 % de l'ensemble des importations des ACP ont un
accès au marché communautaire en franchise de douane) aux pays
ACP, la suppression des droits de douane au titre d'un APE n'aurait qu'un effet
limité sur les exportations des ACP vers l'UE188. La
concurrence accrue des producteurs étrangers risquerait
de perturber des secteurs économiques nationaux. Ainsi Cécilia
Bellora évoque dans son étude que les agricultures des pays ACP
sont moins compétitives que celles de l'Europe et que l'ouverture des
marchés ACP aux produits européens « pourrait causer
l'élimination d'une très grande partie des productions en posant
de sérieux problèmes en termes de souveraineté alimentaire
et de conséquences sociales puisque 63 % de la population active des ACP
est agricole.189 » En outre, la Commission
économique pour l'Afrique de l'ONU, affirme également dans son
étude que le risque de désindustrialisation est
réel. Elle énonce ainsi, dans l'hypothèse où un APE
entre les parties prévoit la pleine réciprocité, que
« la
imposera de réformer les systèmes d'imposition
inefficaces des pays ACP, lesquels renchérissent le coût du
capital et des biens intermédiaires. Voir : LEFORT, J-C., op.cit.,
p.125-126.
185 BILAL, « APE Alternatifs et alternatives aux APE.
Scénarios envisageables pour les relations commerciales entre Les ACP et
l'UE », op.cit., p.41.
186 Dans la région de l'Afrique orientale et australe,
les pays qui subiront les pertes les plus importantes sont le Kenya, le Soudan,
Maurice, l'Ethiopie, la République démocratique du Congo et les
Seychelles. Au sein de la CEDEAO, le Nigeria perdra 427 millions de dollars, le
Ghana 194 millions de dollars et la Côte d'Ivoire plus de 112 millions de
dollars. Les membres de la CEMAC qui subiront les pertes les pus importantes
sont le Cameroun, la République du Congo, le Gabon, la Guinée
équatoriale et le Tchad. En ce qui concerne la SADC, les effets seront
significatifs pour le Botswana et le Swaziland, tandis que pour les pays de la
SACU, l'Angola perdrait 103,2 millions de dollars, la Tanzanie 32,5 millions de
dollars et le Mozambique 7,6 millions de dollars. Voir : CENTRE AFRICAIN POUR
LES POLITIQUES COMMERCIALES, op.cit. Voir : Annexes.
187 Voir : BILAL, S., « APE Alternatifs et alternatives aux
APE. Scénarios envisageables pour les relations commerciales entre Les
ACP et l'UE », op.cit., p. 40.
188 Ibid.
189 BELLORA, C., Comment les pays d'Afrique, des
Caraïbes et du Pacifique peuvent-ils tirer parti des Accords de
partenariat économique ?, Synthèse du Colloque
organisé par la FARM (Fondation pour l'Agriculture et la Ruralité
dans le Monde) les 28 et 29 novembre 2006, 21 décembre 2006, p.1 1.
majorité des industries de l'Afrique subsaharienne
connaîtront une réduction de leur production. Ce recul sera plus
marqué dans les secteurs considérés comme étant
à la base de l'industrialisation, à savoir les industries
à intensité technologique faible ou moyenne, l'industrie lourde,
les vêtements et les textiles. 190»
Nous finirons par mentionner le risque de
désintégration régionale induit par les
APE. La Commission économique pour l'Afrique de l'ONU (CEA)
prévoit que les APE auront pour effet de renforcer les échanges
de l'UE sur les marchés régionaux africains, mais qu'une partie
de ces gains proviendront en réalité d'un
détournement des courants
d'échanges191 au détriment du reste du monde
et du groupement constitué par la communauté économique
régionale et l'Accord de partenariat économique
lui-même192. La CEA en conclut dès lors qu' «
à moins de prendre des mesures de compensation claires, les APE
risquent de compromettre sérieusement les gains acquis jusqu'à
présent dans le cadre du processus d'intégration du continent.
193»
Finalement, la conclusion de nombreuses études
d'impact est que la libéralisation du commerce seule n'est pas
une condition suffisante pour garantir des niveaux plus élevés
d'échanges et/ou de développement durable au niveau
économique, environnemental et social194. L'ECDPM affirme
quant à lui : « sans politiques ni ressources
adéquates pour s'ajuster, promouvoir la transformation économique
nécessaire, produire et commercialiser leurs marchandises de
manière concurrentielle, les pays ACP ont peu de chances de profiter des
nouveaux accords de libre-échange avec
l'UE.195 »
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