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Les Réfugiés comme enjeu de sécurité

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par Coraline Barré
Sciences Po Grenoble - Diplôme de Sciences Po Grenoble 2006
  

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- Le HCR à l'épreuve de la coopération avec les militaires

Tout comme pour les ONG, « l'âge de l'innocence »35 est passé pour le HCR, qui accepte aujourd'hui une collaboration étroite avec les militaires.


·:. La relation entre le HCR et les militaires dans les Grands Lacs : la primauté de l'humanitaire

La crise rwandaise constitue une étape importante dans les relations entre le HCR et les militaires. Bien que ceux-ci aient été tardivement engagés, la démission de la communauté internationale fut bientôt compensée par un gigantesque déploiement de moyens militaires. Il y eut trois cadres différents pour ces opérations. Un cadre multilatéral avec l'opération de maintien de la paix de la MINUAR (I et II) ; un cadre bilatéral avec les contingents nationaux déployés sous l'égide du HCR ; et un cadre unilatéral avec les opérations indépendantes des français (opération Turquoise, sécuritaire) et des américains (opération Support Hope, humanitaire).

Le fait nouveau au Rwanda, dû à la particularité de la crise, est que les militaires reçurent comme priorité la responsabilité d'activités de secours. Qu'il s'agisse de la MINUAR I ou II ou de l'opération Support Hope, l'humanitaire était prioritaire. Il est intéressant de constater que l'opération de l'ONU échoua dans sa coopération avec le HCR et fut peu efficace dans le domaine humanitaire, tandis que l'opération américaine réussit elle à pallier justement les défaillances du HCR, en répondant rapidement aux besoins et en se retirant une fois la crise sous contrôle de celui-ci. Les forces américaines travaillèrent également en étroite collaboration avec les autres organisations humanitaires des Nations-Unies, les organisations civiles et la MINUAR.

Signe de l'évolution du HCR dans ses rapports avec les militaires, la crise du Rwanda fut l'occasion d'une mesure innovante, tentative de traduction de la sécurité humaine, mais parfois teintée d'effets pervers. En effet, dans le contexte de la crise de Goma, entre mi-juillet et la fin de l'année 1994, le HCR, à travers divers accords passés avec les troupes nationales, mit en place un programme « d'ensembles de services » dans des domaines techniques, comme la logistique, l'aménagement des camps de réfugiés, le traitement de l'eau, l'hygiène et la santé publique... La moitié des pays qui répondirent à l'appel du HCR sont des pays faisant partie du groupe de Lysoen36, et qui donc sont des promoteurs de la sécurité humaine. Le HCR fixait les objectifs et les

35 Thomas Weiss, «Military-Civilian Humanitarianism : The «Age of Innocence» is Over», in International Peacekeeping, Vol. 2, n°2, Eté 1995, p. 157-74

36 Groupe de pays ayant inscrit les concepts de sécurité humaine dans la définition de la stratégie de leur politique étrangère, avec plus ou moins d'aplication effective. En font partie pa exemple l'Allemagne, l'Australie, Israël, la Nouvelle-Nouvelle-Zélande, le Canada, les Pays-Bas, l'Irlande, leJapon...

missions de chacun, les militaires eux gardaient le contrôle des opérations. Ainsi ces forces agissaient de manière autonome dans le cadre d'accords négociés directement entre le HCR et les ministères de la Défense des Etats impliqués. L'Irlande fournit une contribution spécifique : des soldats et des civils furent mélangés, à la fois au sein du HCR, et au sein de deux ONG irlandaises, ce qui provoqua une confusion inhabituelle entre ces deux cultures, civile et militaire. Les militaires français aussi contribuèrent à l'effort du HCR pour aider les réfugiés rwandais : bien que l'accord passé avec la France ne le prévoyait pas, des ressources militaires furent mises à la disposition du HCR. Au total, 22 Etats, sans compter l'Union Européenne, fournirent des moyens, civils ou militaires, au HCR dans le cadre de ces accords de services. Le fait que le HCR, plutôt que la MINUAR, ait été l'interlocuteur des Nations-Unies pour ces contingents souligne bien la nature humanitaire des missions. Signe de l'évolution de la position du HCR par rapport aux militaires, celui-ci rédigea en 1995 un « Manuel pour le militaire en opération humanitaire », dans lequel il défend une position nuancée, mais favorable tout même à la coopération avec les militaires. Le HCR fut d'ailleurs la première organisation des Nations-Unies à engager un ancien officier comme conseiller pour les problèmes militaires et logistiques.


·:. Au Kosovo : le HCR sous l'hégémonie des militaires ?

La décision du HCR de coopérer avec l'OTAN, non mandatée par les Nations-Unies et donc partie prenante du conflit, distingue le cas du Kosovo des autres situations « d'imposition de la paix ». L'engagement de l'OTAN en faveur des albanais kosovars pouvait même être vu comme contraire au principe humanitaire de neutralité, ce qui posa un problème sérieux au HCR ainsi qu'aux autres ONG. C'est donc avec réticence que le HCR s'engagea aux côtés de l'OTAN. Et du côté de l'OTAN même, le côté humanitaire de cette opération fut fortement contesté par une partie de l'alliance et des pays d'accueil.

Avant la crise, l'OTAN, sur pression de certains Etats membres, mis en avant ses préoccupations humanitaires dans cette opération. Alors l'OTAN demanda la coopération du HCR pour gérer l'afflux massif de réfugiés fuyant les futurs bombardement et les futures vengeances des Serbes contre les albanais du Kosovo. Mais l'OTAN se heurta d'abord au refus franc et massif du Haut Commissaire pour les Réfugiés, Sadako Ogata, qui, bien que reconnaissant l'utilité d'une telle coopération entre deux interlocuteurs privilégiés, refusa la coopération pour préserver la distinction entre le rôle politique de l'OTAN et le rôle humanitaire du HCR. L'insuffisance des moyens du HCR face à l'exode massif de réfugiés albanais et les appels directs de l'Albanie et de la Macédoine aux moyens de l'OTAN confirmèrent d'ailleurs la pertinence de cette analyse.

En effet, malgré sa présence avant les événements, le HCR, dans une situation financière très difficile, ne disposait pas des ressources suffisantes en personnels et en matériels, et ne tenait pas la comparaison avec les militaires : le HCR disposait d'un ration de 1 employé pour 3500 réfugiés, contre 2pour 40 du côté de l'OTAN. Un tel écart tient au fait que les institutions

intergouvernementales reflètent évidemment les choix politiques de leurs membres (que l'on peut en quelque sorte considérer comme des actionnaires), et qu'en l'occurrence les gouvernements des pays membres de l'OTAN, qui sont aussi membres de l'ONU, ont arbitré l'allocation des ressources et l'appui politique en faveur de l'Alliance Atlantique, moins soumise que le HCR aux contraintes du multilatéralisme et laissant ainsi un espace à des interventions « nationales » visibles.

C'est pourquoi finalement la coopération était la seule alternative possible pour le HCR car il fut largement contourné par ses partenaires, la réponse humanitaire relevant d'enjeux qui le dépassaient. Il est significatif à ce propos que l'Albanie et la Macédoine aient fait appel à l'OTAN plutôt qu'au HCR pour établir les camps de réfugiés alors que ce dernier avait établi des relations de travail régulières avec ces gouvernements. Mais cet appel relevait de considérations stratégiques dépassant le HCR, l'occasion permettant aux gouvernements macédoniens et albanais de renforcer leurs relations avec l'Alliance et d'assurer leur sécurité. Même si le HCR avait voulu s'imposer, le gouvernement macédonien par exemple décida de ne traiter qu'avec un acteur « étatique » comme l'OTAN. Alors le gouvernement allemand servit d'interlocuteur, tout en travaillant étroitement avec le HCR. Cet exemple montre que si l'egagement des militaires n'était pas forcément nécessaire sur le plan technique, cette alternative était meilleure et plus simple sur le plan politique. Les relations entre militaires et humanitaires dans la crise furent ainsi largement définies par l'OTAN, au point que certains, comme M. Pugh qualifient « d'hégémonique » le relation des militaires avec les agences humanitaires présentes au Kosovo. La coopération fut sensiblement différente selon les pays hôtes, mais le HCR fut rarement consulté sur les problèmes essentiels, les plans et les accords ayant été largement initiés sans le HCR.

C'est ainsi que le HCR, en partie en raison de son impréparation, mais surtout en raison de choix politiques des Etats-membres, n'eut d'autre choix que d'accepter une situation sur laquelle il n'avait qu'une emprise limitée.

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery