- Le HCR à l'épreuve de la coopération
avec les militaires
Tout comme pour les ONG, « l'âge de l'innocence
»35 est passé pour le HCR, qui accepte aujourd'hui une
collaboration étroite avec les militaires.
·:. La relation entre le HCR et les militaires dans
les Grands Lacs : la primauté de l'humanitaire
La crise rwandaise constitue une étape importante dans
les relations entre le HCR et les militaires. Bien que ceux-ci aient
été tardivement engagés, la démission de la
communauté internationale fut bientôt compensée par un
gigantesque déploiement de moyens militaires. Il y eut trois cadres
différents pour ces opérations. Un cadre multilatéral avec
l'opération de maintien de la paix de la MINUAR (I et II) ; un cadre
bilatéral avec les contingents nationaux déployés sous
l'égide du HCR ; et un cadre unilatéral avec les
opérations indépendantes des français (opération
Turquoise, sécuritaire) et des américains (opération
Support Hope, humanitaire).
Le fait nouveau au Rwanda, dû à la
particularité de la crise, est que les militaires reçurent comme
priorité la responsabilité d'activités de secours. Qu'il
s'agisse de la MINUAR I ou II ou de l'opération Support Hope,
l'humanitaire était prioritaire. Il est intéressant de constater
que l'opération de l'ONU échoua dans sa coopération avec
le HCR et fut peu efficace dans le domaine humanitaire, tandis que
l'opération américaine réussit elle à pallier
justement les défaillances du HCR, en répondant rapidement aux
besoins et en se retirant une fois la crise sous contrôle de celui-ci.
Les forces américaines travaillèrent également en
étroite collaboration avec les autres organisations humanitaires des
Nations-Unies, les organisations civiles et la MINUAR.
Signe de l'évolution du HCR dans ses rapports avec les
militaires, la crise du Rwanda fut l'occasion d'une mesure innovante, tentative
de traduction de la sécurité humaine, mais parfois teintée
d'effets pervers. En effet, dans le contexte de la crise de Goma, entre
mi-juillet et la fin de l'année 1994, le HCR, à travers divers
accords passés avec les troupes nationales, mit en place un programme
« d'ensembles de services » dans des domaines techniques, comme la
logistique, l'aménagement des camps de réfugiés, le
traitement de l'eau, l'hygiène et la santé publique... La
moitié des pays qui répondirent à l'appel du HCR sont des
pays faisant partie du groupe de Lysoen36, et qui donc sont des
promoteurs de la sécurité humaine. Le HCR fixait les objectifs et
les
35 Thomas Weiss, «Military-Civilian
Humanitarianism : The «Age of Innocence» is Over», in
International Peacekeeping, Vol. 2, n°2, Eté 1995, p. 157-74
36 Groupe de pays ayant inscrit les concepts de
sécurité humaine dans la définition de la stratégie
de leur politique étrangère, avec plus ou moins d'aplication
effective. En font partie pa exemple l'Allemagne, l'Australie, Israël, la
Nouvelle-Nouvelle-Zélande, le Canada, les Pays-Bas, l'Irlande,
leJapon...
missions de chacun, les militaires eux gardaient le
contrôle des opérations. Ainsi ces forces agissaient de
manière autonome dans le cadre d'accords négociés
directement entre le HCR et les ministères de la Défense des
Etats impliqués. L'Irlande fournit une contribution spécifique :
des soldats et des civils furent mélangés, à la fois au
sein du HCR, et au sein de deux ONG irlandaises, ce qui provoqua une confusion
inhabituelle entre ces deux cultures, civile et militaire. Les militaires
français aussi contribuèrent à l'effort du HCR pour aider
les réfugiés rwandais : bien que l'accord passé avec la
France ne le prévoyait pas, des ressources militaires furent mises
à la disposition du HCR. Au total, 22 Etats, sans compter l'Union
Européenne, fournirent des moyens, civils ou militaires, au HCR dans le
cadre de ces accords de services. Le fait que le HCR, plutôt que la
MINUAR, ait été l'interlocuteur des Nations-Unies pour ces
contingents souligne bien la nature humanitaire des missions. Signe de
l'évolution de la position du HCR par rapport aux militaires, celui-ci
rédigea en 1995 un « Manuel pour le militaire en opération
humanitaire », dans lequel il défend une position nuancée,
mais favorable tout même à la coopération avec les
militaires. Le HCR fut d'ailleurs la première organisation des
Nations-Unies à engager un ancien officier comme conseiller pour les
problèmes militaires et logistiques.
·:. Au Kosovo : le HCR sous
l'hégémonie des militaires ?
La décision du HCR de coopérer avec l'OTAN, non
mandatée par les Nations-Unies et donc partie prenante du conflit,
distingue le cas du Kosovo des autres situations « d'imposition de la paix
». L'engagement de l'OTAN en faveur des albanais kosovars pouvait
même être vu comme contraire au principe humanitaire de
neutralité, ce qui posa un problème sérieux au HCR ainsi
qu'aux autres ONG. C'est donc avec réticence que le HCR s'engagea aux
côtés de l'OTAN. Et du côté de l'OTAN même, le
côté humanitaire de cette opération fut fortement
contesté par une partie de l'alliance et des pays d'accueil.
Avant la crise, l'OTAN, sur pression de certains Etats
membres, mis en avant ses préoccupations humanitaires dans cette
opération. Alors l'OTAN demanda la coopération du HCR pour
gérer l'afflux massif de réfugiés fuyant les futurs
bombardement et les futures vengeances des Serbes contre les albanais du
Kosovo. Mais l'OTAN se heurta d'abord au refus franc et massif du Haut
Commissaire pour les Réfugiés, Sadako Ogata, qui, bien que
reconnaissant l'utilité d'une telle coopération entre deux
interlocuteurs privilégiés, refusa la coopération pour
préserver la distinction entre le rôle politique de l'OTAN et le
rôle humanitaire du HCR. L'insuffisance des moyens du HCR face à
l'exode massif de réfugiés albanais et les appels directs de
l'Albanie et de la Macédoine aux moyens de l'OTAN confirmèrent
d'ailleurs la pertinence de cette analyse.
En effet, malgré sa présence avant les
événements, le HCR, dans une situation financière
très difficile, ne disposait pas des ressources suffisantes en
personnels et en matériels, et ne tenait pas la comparaison avec les
militaires : le HCR disposait d'un ration de 1 employé pour 3500
réfugiés, contre 2pour 40 du côté de l'OTAN. Un tel
écart tient au fait que les institutions
intergouvernementales reflètent évidemment les
choix politiques de leurs membres (que l'on peut en quelque sorte
considérer comme des actionnaires), et qu'en l'occurrence les
gouvernements des pays membres de l'OTAN, qui sont aussi membres de l'ONU, ont
arbitré l'allocation des ressources et l'appui politique en faveur de
l'Alliance Atlantique, moins soumise que le HCR aux contraintes du
multilatéralisme et laissant ainsi un espace à des interventions
« nationales » visibles.
C'est pourquoi finalement la coopération était
la seule alternative possible pour le HCR car il fut largement contourné
par ses partenaires, la réponse humanitaire relevant d'enjeux qui le
dépassaient. Il est significatif à ce propos que l'Albanie et la
Macédoine aient fait appel à l'OTAN plutôt qu'au HCR pour
établir les camps de réfugiés alors que ce dernier avait
établi des relations de travail régulières avec ces
gouvernements. Mais cet appel relevait de considérations
stratégiques dépassant le HCR, l'occasion permettant aux
gouvernements macédoniens et albanais de renforcer leurs relations avec
l'Alliance et d'assurer leur sécurité. Même si le HCR avait
voulu s'imposer, le gouvernement macédonien par exemple décida de
ne traiter qu'avec un acteur « étatique » comme l'OTAN. Alors
le gouvernement allemand servit d'interlocuteur, tout en travaillant
étroitement avec le HCR. Cet exemple montre que si l'egagement des
militaires n'était pas forcément nécessaire sur le plan
technique, cette alternative était meilleure et plus simple sur le plan
politique. Les relations entre militaires et humanitaires dans la crise furent
ainsi largement définies par l'OTAN, au point que certains, comme M.
Pugh qualifient « d'hégémonique » le relation des
militaires avec les agences humanitaires présentes au Kosovo. La
coopération fut sensiblement différente selon les pays
hôtes, mais le HCR fut rarement consulté sur les problèmes
essentiels, les plans et les accords ayant été largement
initiés sans le HCR.
C'est ainsi que le HCR, en partie en raison de son
impréparation, mais surtout en raison de choix politiques des
Etats-membres, n'eut d'autre choix que d'accepter une situation sur laquelle il
n'avait qu'une emprise limitée.
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