II - LA COORDINATION DES OPERATIONS AVEC LES
MILITAIRES
La coopération entre agences et entre ONG est un
défi à relever pour l'efficacité de l'action de la
communauté internationale et pour le bien de l'approche
multilatérale. Cependant, apparu dans les crises post-Guerre Froide des
années 90, le défi à relever aujourd'hui en matière
de coordination est l'épineux problème de la coopération
entre ONG, OI et agences de l'ONU avec les forces militaires intervenant dans
ces situations humanitaires complexes. Cette mutation, justifiée par la
sécurité humaine, n'est pas sans poser certains
problèmes.
- La coordination des ONG avec les militaires
Traditionnellement, les ONG agissent de manière
très indépendante. Même si financièrement elles sont
soutenues par certains donateurs, qui alors peuvent leur poser quelques
conditions d'action, elles restent en général extrêmement
attachées à leur autonomie notamment par rapport aux
gouvernements. Par conséquent elles ont rarement travaillé en
coopérant et en coordonnant leurs actions avec d'autres ONG, les OI ou
les forces militaires. Elles restent très attachées à leur
neutralité, et surtout à cette sorte de
vulnérabilité, de fragilité, qui au lieu de les exposer
les protège de toute attaque. Mais même si cela peut ne pas leur
plaire, les ONG, ainsi que les OI et les agences de l'ONU, ont compris qu'elles
devaient coopérer avec les militaires pour assurer l'efficacité
de leur action. En effet, les conflits aujourd'hui diffèrent des grands
conflits de la Guerre Froide, et les opérations militaires ont
changé de nature. Aujourd'hui les forces militaires s'engagent dans ces
guerres pour stopper le conflit mais aussi pour rétablir la paix, et ont
donc besoin d'ajouter à leur stratégie un volet humanitaire. Dans
les situations humanitaires complexes,
les militaires ont donc besoin des civils, et vice-versa.
Dans des opérations comme en Irak ou en Somalie,
l'établissement de relations de travail privilégiées entre
militaires et ONG permit le succès de l'assistance humanitaire dans un
environnement très dangereux et volatile33. Ces mêmes
opérations, cependant, soulignent également l'importance
d'établir une meilleure et plus rapide communication parmi tous les
acteurs agissant de la communauté internationale, pour une meilleure
compréhension des objectifs globaux de l'opération. Il est vrai
que même si la coopération fut un succès en Somalie, les
ONG et les militaires avaient des objectifs bien différents. Les
militaires, eux, voulaient éviter l'enlisement dans une situation
complexe. Ils voulaient donc entrer dans le pays, réparer ce qui
n'allait pas, et repartir. Les humanitaires, eux, n'avaient évidemment
pas du tout la même vision de leur engagement. Leurs actions s'inscrivent
en effet su le long terme, s'adressant aux causes profondes du problème
et prolongeant l'assistance humanitaire au delà de la simple offensive
militaire. Ces analyses et objectifs différents sot autant d'obstacles
à la coopération, mais ils ne sont pas les seuls. Il faut noter
que la culture humanitaire et la culture militaire sont diamétralement
opposées. La plupart des ONG par exemple prennent leurs décisions
de manière collégiale, et non de manière
hiérarchique, comme les militaires. La culture des humanitaires va
également souvent à l'encontre de la culture sécuritaire
des militaires. De plus, les militaires sont extrêmement
entraînés à affronter toutes sortes de situation, la
structure et les objectifs de la mission ainsi que les règles
d'engagement sont définis à l'avance, et rien ne peut les faire
déroger à la règle établie, qu'il s'agisse d'un
soldat première classe ou d'un général trois
étoiles. Mais parfois l'approche décentralisée et flexible
des ONG peut aussi être un atout dans des situations difficiles,
où il faut savoir changer soudain de stratégie. Ces deux mondes,
humanitaires et militaires ont donc parfois beaucoup de mal à se
comprendre, et parfois se méprisent même.
Mais ces deux mondes ont eu plusieurs occasions de se
rapprocher et de mieux se comprendre, comme récemment au Kosovo, au
Timor Oriental ou en Sierra Leone. Aujourd'hui de plus en plus d'acteurs
humanitaires commencent à penser qu'ils ont parfois besoin des
imposantes capacités logistiques des armées, et de plus en plus
de militaires apprécient le dévouement ainsi que l'innovation
apportées par les humanitaires. Parfois même les militaires se
sont plaints que les ONG, et derrière elles le HCR, n'avaient pas les
capacités ni le personnel suffisants pour répondre aux demandes
des militaires.
Les militaires ont eux-mêmes vocation à
améliorer les relations ONG-OI / militaires en créant des Centres
des Opérations Civiles-Militaires afin de rapprocher les objectifs et
stratégies des deux « camps ». Ces centres cependant ne
servent pas de mécanismes de coordination. Et même quand acteurs
humanitaires et militaires veulent coopérer étroitement, certains
facteurs peuvent les en empêcher. Par exemple, en Bosnie, leurs
règles d'engagement empêchaient les
33 Cependant en Somalie la défaite militaire
des forces américaines en 1992 compromit la délivrance de cette
aide huamanitaire.
militaires américains de voyager dans des convois de
moins de quatre véhicules, pour des questions de sécurité.
Ils ne pouvaient donc pas se déplacer de manière rapide dans le
pays. Par conséquent, le personnel des ONG et des autres agences
présentes voyagèrent souvent par eux- mêmes, sans attendre
qu'un convoi militaire soit formé. Mais malgré ce genre de
problèmes, militaires comme humanitaires reconnaissent en
général aujourd'hui que même s'ils s'engagent dans ces
conflits pour des raisons complètement différentes, le
succès des uns est indispensable au succès des autres. Les ONG et
les acteurs humanitaires en général dépendent fortement
des conditions de sécurité assurées par les forces
militaires pour protéger leur personnels, leur équipements, mais
aussi par exemple les réfugiés34. Les forces de
maintien de la paix elles ne peuvent en général se retirer que
lorsque les agences civiles ont fini leur travail de consolidation de la paix
et commencent la phase de reconstruction et de réconciliation. Les uns
ont besoin des autres, et le départ précipité de l'un des
deux acteurs peut précipiter l'échec de l'autre. C'est ce qu'il
se passe en ce moment même au Timor Oriental, où les forces de
maintien de la paix se sont retirées trop tôt. Les Etats donateurs
ont fait pression sur l'ONU pour renvoyer les soldats dans leurs casernes et ce
notamment pour des raisons financières, le coût de leur maintien
étant relativement élevé. Malgré les appels au
maintien d'une force, même un peu réduite, au Timor Oriental, de
la part des membres du gouvernement et des observateurs internationaux sur
place , les soldats se retirèrent alors que la situation politique
était encore trop fragile. Il y a peu, des conflits armés ont
ré-éclaté dans la capitale, obligeant l'Australie
(mandatée par l'ONU), à redéployer ces soldats.
L'opération de maintien de la paix au Timor Oriental, qui était
présenté comme un modèle du genre par l'ONU, a donc
été entaché par un retrait trop précoce des forces
de maintien de la paix. Le risque est que le conflit qui reprenne aujourd'hui
et ruine le travail entamé par les humanitaires.
La cohérence entre le travail des acteurs humanitaires
et les forces militaires est donc primordiale. A travers des ateliers de
travail, des consultations... les ONG et tous les acteurs humanitaires peuvent
élargir et soutenir les négociations officielles, par exemple en
faisant la promotion d'idées qui peuvent nourrir le processus officiel
de résolution du conflit. Mais pour cela, la collaboration doit implique
plus que de simplement garder les autres parties informées. Cela
nécessite de s'accorder sur les méthodes, sur les objectifs, et
de rester discipliner pour laisser l'autre, quand il est plus à
même de remplir une tâche, prendre le relais. Il est ici question
de responsabilité. Les ONG et autres agences doivent prendre conscience
de la répercussion de leurs actes, puisque ceux-ci sont susceptibles
d'avoir des incidences fortes sur la situation. Surtout que les agences
internationales spécialisées et les ONG ont tendance à
prendre des responsabilités qui dépassent de loin leur mandat
initial. Par exemple au Rwanda les agences ont dû avancer dans le noir le
plus total, dû à l'effondrement de l'autorité centrale.
Surtout, les ONG et les autres agences de secours ont tendance à devoir
se substituer à une communauté internationale qui ne veut pas
s'engager politiquement ; elles doivent donc se substituer à
l'échec
34 Comme nous le verrons plus en détail dans la
seconde partie.
du multilatéralisme. Mais elles doivent par
conséquent faire très attention aux conséquences
inattendues de leurs actes, et aux effets pervers de leur présence
massive dans un pays.
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