-- Les questions de rapatriement et d'intégration au
coeur des enjeux de sécurité
Le rapatriement des réfugiés constitue le
dernier enjeu de sécurité dans les crises de
réfugiés. Réussir à rapatrier des
réfugiés n'est pas chose aisée. Il ne suffit pas que les
réfugiés retournent là d'où ils viennent, car entre
le moment où ils sont partis et le moment où ils reviennent,
beaucoup de choses ont en général eu le temps de changer. Un
rapatriement massif mal organisé peut dégénérer, et
selon la nature du conflit qui a poussé les réfugiés
à fuir, le conflit
initial peut même reprendre, ce qui était le
risque majeur au Rwanda. Ainsi, l'intégration des réfugiés
dans leurs communautés d'accueil est un enjeu sécuritaire majeur.
De cette réintégration dépend l'issue du conflit de
départ, et si possible sa fin. Comme on l'a vu, la politique du HCR
prend ces nouveaux enjeux en compte en intégrant la
réintégration des réfugiés dans sa politique des "4
R", afin d'avoir une approche globale, puisque la paix n'est jamais
définitive si des réfugiés se trouvent encore dans des
camps.
Ainsi dans les années 1990, le thème du
rapatriement des réfugiés devint un thème central dans les
études sur les réfugiés. Les problèmes logistiques
liés au rapatriements de masse, ainsi que les facteurs
précipitant le retour des réfugiés chez eux furent ainsi
étudiés. Dans le même temps, plusieurs crises de
réfugiés, ou plutôt leurs suites, soulignèrent
l'importance de la question de la réintégration des anciens
réfugiés dans leurs communautés d'accueil. Ce nouvel
attrait pour cet question est lié au développement du concept de
sécurité humaine à partir du moment où est reconnu
le lien entre déplacement et développement. Il est vrai à
ce propos que 90% des personnes déplacées le sont dans des pays
en développement. Réussir la réintégration des
réfugiés dans leurs communautés est la clé de la
réussite pour parachever une réconciliation locale, nationale et
globale, et donc pour assurer la sécurité définitive des
réfugiés et des États concernés. Aujourd'hui, dans
des sociétés déchirées par la guerre, le HCR ne se
contente donc plus exclusivement de s'occuper des opérations de
rapatriement, mais il s'occupe aussi de l'intégration ou de la
réintégration des réfugiés dans leurs
communautés d'accueil. C'est ainsi que les réfugiés sont
devenus des acteurs centraux dans les actions permettant la transition entre le
conflit ouvert et la paix stabilisée.
Quand de nombreux réfugiés sont
réinstallés dans une région, la compétition pour
les meilleures terres augmente en effet énormément. De plus,
cette arrivée massive affecte les équilibres
démographiques de la région, ce qui peut poser problème si
les ressources naturelles sont insuffisantes pour tous. Les questions de
propriété sont aussi sources de conflits quand des
rapatriés réclament les terres (ou les maisons) qu'ils ont
laissé derrière eux et qui ont pu être données
à d'autres, voire disparaître. Il est vrai que parfois les
conflits sont tels que les violences peuvent aller jusqu'à la
dégradation de biens, pour empêcher les rapatriés de
s'installer et d'augmenter la pression sur les ressources. Le succès de
la réintégration des anciens réfugiés dépend
donc énormément de du degré de coopération entre
les deux populations pour le partage des terres. Et ce d'autant plus
qu'énormément de crises de réfugiés surviennent
dans des régions arides et peu productives comme le Sahel ou comme dans
la corne de l'Afrique, et donc où le pastoralisme (qui nécessite
beaucoup de terres) est le principal mode de production72. Quel que
soit le climat dans lequel les réfugiés rentrent dans leur pays,
tout comme dans la gestion d'urgence des crises de réfugiés,
l'important pour réussir la réintégration des
rapatriés est la politique de l'Etat d'accueil. Il en va de même
pour les réfugiés qui s'en vont s'installer dans un
72 Jon D Unruh, "Refugee Resettlement on the Horn of
Africa", in Land Use Policy, January 1993.
pays tiers : la politique de l'Etat d'accueil est fondamental
pour la réussite ou non de leur installation.
Ceci nous amène à un autre aspect des
mécanismes de rapatriement et de réintégration : les
rapatriés sont souvent plus aidés par les organisations
humanitaires que les populations locales, ce qui peut être un motif de
grief de la part des populations locales envers les rapatriés. Les
organisations humanitaires de secours d'urgence, qui aident les
réfugiés, sont souvent confrontées à ce
problème. N'étant pas impliquées dans des
opérations de développement à long terme, elles ont
tendance à se focaliser sur l'aide et l'assistance aux
réfugiés. L'effet pervers est que cette aide aveugle, qui ne
tient pas compte de l'intégration du problème dans un
environnement local, peut faire dégénérer les relations
entre les réfugiés rapatriés et les communautés
d'accueil. C'est en ce sens que l'intégration des opérations de
soutien au rapatriement des réfugiés dans des opérations
plus globales de développement et de réconciliation nationale
peut prendre tout son intérêt, permettant ainsi d'intégrer
les populations locales dans les projets de développement concernant les
réfugiés rapatriés. Le dernier exemple en date de cette
réalité locale à prendre en compte a été
démontré par l'exemple de Lokichokio73. Cette ville
artificille a émergé il y a quelques années dans le Nord
du Kenya (à coté de la frontière soudanaise), quand l'ONU
décida d'y installer une base arrière pour pouvoir venir en aide
aux populations soudanaises du sud-Soudan (Le Soudan ne voulait pas de bases de
l'ONU sur son propre territoire). Au fil des années, plus de 80 ONG s'y
installèrent, attirant des milliers de kenyans à la recherche
d'un emploi (chauffeur, manutentionnaire, cuisinier...). Le village de 300
habitants devint vite une ville de 25 000 âmes. Mais des accords de paix
furent signés en janvier 2005, mettant fin à 30 ans de guerre au
sud-soudan. La ville va donc devenir fantôme, laissant des milliers de
kenyans en colère. Au sein des ONG, le malaise aussi est palpable. Des
millions ont été octroyés pour aider le sud-Soudan, et non
pas pour améliorer les conditions de vie des habitants de la
région de Lokichokio. Ce qui conduit à des situations absurdes.
M. Zumstein, un photographe présent sur place, raconte : "Les Turkanas,
les habitants de la région, n'avaient pas accès à
l'hôpital. Ils ont kidnappé du personnel de la Croix-Rouge et
réclamé que leurs femmes soient autorisées à
accoucher dans l'hôpital. Ils ont fini par obtenir gain de cause, et une
maternité a été créée". Cet exemple montre
s'il le fallait encore les absurdités et les effets pervers de l'action
humanitaire.
·.. Le rapatriement des réfugiés
rwandais à Butare-Ville comme exemple des mécanismes de
réintégration
D'une manière générale, dans le district
de Butare-Ville, il n'y eut pas de contentieux majeurs sur les questions de
propriété foncière, hormis le fait que tout le monde se
plaint de leur exiguïté. Lorsque des Hutus s'étaient
emparés des maisons des génocidés, ils les rendirent
dans
73 "Lokichokio, eldorado humanitaire", in Courrier
International, n° 814, du 8 au 14 juin 2006.
la plupart des cas à leurs ayants droit sans
accrochages. Quant aux rescapés du génocide, leurs maisons ayant
souvent été pillées ou détruites, ils
préférèrent souvent s'installer dans les villages
construits pour accueillir les "anciens réfugiés", c'est à
dire les Tutsis qui avaient fui avant les années 90. Cependant, la crise
alimentaire et l'insuffisance de nourriture sont des phénomènes
chroniques à Butare-Ville, où la population est trop nombreuse
pour les ressources disponibles. Mais si le rapatriement s'est en
général bien déroulé, le conflit et le
génocide au Rwanda, sur fond de pénurie économique et de
surcharge démographique ont fortement détérioré le
tissu social rwandais. Le besoin de reconstituer des solidarités
sociales et culturelles était donc un enjeu majeur pour permettre
l'intégration des rapatriés. Ce fut tout l'enjeu de la
reconstruction du pays et de son unité nationale.
De nombreux facteurs rentrent donc en ligne de compte lors du
rapatriement des réfugiés : les destructions liées
à la guerre, le temps de l'exil (30 ans pour certains), la
redistribution des terres et des biens des ceux qui ont quitté le pays
à ceux qui sont restés, le fait que de nombreux rapatriés
étaient même nés en exil... S. Ogata déclara que les
années 1990 devaient être celles du rapatriement. Faire rentrer
les réfugiés "chez eux" devait devenir une priorité du
HCR. Cet objectif était lié au nombre important de
réfugiés mais aussi à des considérations
financières, puisqu'une fois chez eux les réfugiés cessent
d'être une charge financière pour le HCR. Ainsi, le HCR a
augmenté dans les années 1990 la pression sur les Etats sources,
afin de forcer un peu l'organisation des rapatriements. Mais pour les Etats
sources, le retour des réfugiés signifie le début d'un
processus national de reconstruction, afin d'assurer aux rapatriés, et
aux populations du pays, un système économique stable et capable
d'absorber un afflux massif de populations. Il faut également que les
populations locales soient disposées à accueillir les
rapatriés, ce qui dans certains pays suppose un long travail de
persuasion de la part des autorités politiques et parfois même
comme on l'a vu avec le HCR, des agences internationales.
Tout comme une opération de secours aux
réfugiés, une opération de rapatriement de
réfugié ne peut réussir que si sont prises en compte les
conditions politiques du rapatriement, et si ce dernier s'inscrit bien dans une
logique constructive pour le pays dans son ensemble.
·.. Les réfugiés burundais dans
l'ouest tanzanien comme exemple de l'enjeu stratégique du
rapatriement
Le Burundi connu exactement la même crise
politico-ethnique que le Rwanda. Le génocide rwandais fut exporté
par les réfugiés dans ce pays qui connaît lui aussi la
même construction sociale, politique et ethnique que le Rwanda. La
situation des réfugiés burundais exilés dans les pays
voisins était donc très proche de celle des
réfugiés rwandais. Dans cette crise qui dura dix ans, le
règlement de la question du sort des réfugiés est
également fondamentale, car déterminante pour la sortie de crise.
La politique envers les réfugiés devient donc centrale, se
référant au même cercle vertueux que celui
prôné par le HCR, à savoir que "le Retour des
réfugiés facilitera la Réconciliation, la sortie
de crise et la Reconstruction d'une frontière garante de la
stabilité politique, du développement économique et des
souverainetés nationales"74.
Cette politique, qui est vitale pour le pays d'accueil, en
l'occurrence le Burundi, l'est tout autant pour la stabilité de toute la
région, étant donné les dynamiques aux frontières
provoquées par les mouvements de réfugiés et les mauvaises
relations diplomatiques qui en découlent. Elle l'est aussi pour la
communauté internationale, plus ou moins engagée sur le terrain,
et qui souhaite avant tout la sortie de crise en ayant le moins possible
à intervenir. La question des réfugiés pèse donc
largement sur le règlement du conflit en cours, en permettant de se
pencher sur les questions et conflits politico-ethniques. Le traitement durable
de la question des réfugiés apparaît comme un
préalable à la construction d'une stabilité des Etats de
la région et à tout espoir de développement
économique. La construction de la paix nécessite ainsi un triple
processus complexe à réussir : un processus de
réconciliation nationale et de recompositions politiques
(l'intégration des élites burundaises réfugiées et
des rébellions armées préalable à la
démobilisation / démilitarisation) et ce selon un calendrier
défini ; un processus de reconstruction d'une citoyenneté et des
liens sociaux distendus ; et enfin un processus quasi psychologique de
rétablissement de la confiance, et de reconstruction de l'unité
nationale.
La charge financière représentée par la
gestion des camps (les pénuries alimentaires crées des
phénomènes d'inflation, qui pèsent à la fois au
niveau local et national), leur impact environnemental (les camps sont souvent
nuisibles aux ressources naturelles), la surcharge démographique
supportée, et les risques de pérennisation de la situation sont
alors autant de freins au développement de la région.
La charge financière est ressentie à la fois au
niveau local et national. Au niveau local, ce sont les populations qui
ressentent le poids de l'arrivée des rapatriés car elle se
manifeste souvent par des restrictions d'accès aux ressources (eau, bois
de chauffe...) et aux services publics. Leur niveau de vie a donc tendance
à diminuer, alors que eux, contrairement aux rapatriés, ils ne
sont pas aidés, aiguisant ainsi un sentiment d'injustice. Ainsi, le
coût de l'aide aux réfugiés est souvent
présenté comme un manque pour le développement, un
détournement qui manquerait au financement de programmes de lutte contre
la pauvreté. Cette réalité est accentuée par la
réalité des camps, qui sont des espaces isolés et
fermés, et qui ne participent donc pas à l'enrichissement de la
communauté nationale.
Cette présence des réfugiés est donc
considérée comme économiquement inutile, et ce d'autant
plus qu'elle est nuisible sur le plan des ressources naturelles. Cette critique
s'appuie sur un fait, la destruction des zones forestières, pour les
besoins en bois de chauffage dans un
74 "Les 3 "R" (Retour, Réconciliation,
Reconstruction) et les réfugiés burundais de l'Ouest tanzanien",
Christian Thibon, in "Exilés, réfugiés,
déplacés en Afrique centrale et orientale", sous la direction
d'André Guichaoua.
périmètre de plus en plus éloigné
des camps, ainsi que des déboisements non sélectifs pour le
besoin en terres cultivables qui présentent un risque de
fragilité érosive. Mais cet impact environnemental semble
être de plus en plus être pris en compte par les pays hôtes
ainsi que par le HCR75.
Le risques de pérennisation de la situation est un
facteur de déstabilisation du pays. Dans le cas des
réfugiés burundais en Tanzanie, la peur d'une
déstabilisation sur le modèle du Kivu (Zaïre),
n'était que peu probable. Par contre, la présence
pérennisée de populations non tanzaniennes sur le territoire
tanzanien faisait craindre des manipulations politiques malsaines.
L'instrumentalisation de ces populations sur des bases ethniques, nationales ou
religieuses pourrait déstabiliser les fragiles équilibres
politiques tanzaniens. Ce fut le cas par exemple lorsque rwandais tutsis
renièrent leur citoyenneté tanzanienne au nom d'une
solidarité transfrontalière. L'expérience passée
des enjeux et problèmes pouvant survenir en raison de l'accueil de
réfugiés sur son territoire a donc pesé sur la politique
tanzanienne envers les réfugiés (comme évoqué plus
haut). La Tanzanie souffre de plus d'une faiblesse de son pouvoir central par
rapport à des régions périphériques puissantes.
Ainsi, la peur de la sécession par alliance ethnique avec des
populations réfugiées était forte. Le gouvernement
tanzanien a donc vu dans cet afflux de réfugiés le risque d'une
remise en cause du mythe fondateur de la citoyenneté tanzanienne,
à savoir l'idée d'une citoyenneté associative,
transcendant les clivages ethniques, territoriaux, tribaux, et la
définition d'un projet politique moral, basé sur la bonne
gouvernance. C'est au nom de ces principes que la présence des
réfugiés burundais fut de plus en plus contestée.
La communauté internationale supporte de facto et par
principe le scénario des "3 R", (ou des "4 R" selon quel acteur en
parle) comme des réponses croisées à des questions
hautement interdépendantes. Concernant les camps burundais en Tanzanie,
le scénario résulterait de leur pérennisation. Cela
signifierait une marginalisation de leurs populations, une radicalisation des
rébellions armées qu'ils abritent, et un coût en termes
d'aide internationale. La conscience du piège humanitaire, tel qu'il eut
lieu au Zaïre, aurait donc encore accru le sentiment de culpabilité
des acteurs humanitaires dans la région. Mais cet attentisme des acteurs
humanitaires, dû en partie à l'attentisme de la communauté
internationale, était renforcé par la complexité de la
situation régionale et les difficultés de mise en route d'un
programme de réconciliation et de reconstruction post-conflit au
Burundi. Ce constat n'est pas nouveau : l'absence de politique pour les pays de
la région amène à un attentisme humanitaire coupable.
75 "L'impact des réfugiés sur
l'environnement écologique des pays d'accueil (Afrique subsaharienne)",
Richard Black, in Autrepart, 1998, n° 7, p. 23-42
·.. La politique à l'oeuvre : rapatriement et
reconstruction, un bilan en demi-teinte
La première manifestation de cette politique fut la
signature d'un "Tripartite Agreement" le 8 mai 2001 entre la Tanzanie, le
Burundi et le HCR, organisant un mécanisme de rapatriement et de
réinstallation des réfugiés. La réussite de cette
politique et de ce mécanisme tripartite repose sur deux volets : en
amont, le retour des réfugiés, ce qui suppose de gagner au
préalable leur adhésion au projet, et, en aval, leur
installation, ce qui nécessite la mise en chantier de deux
politiques.
La première politique, réalisable dans des
délais relativement courts, est imposante compte tenu du nombre massif
de réfugiés. Elle prévoit l'organisation du rapatriement
dans des conditions fixées par les standards humanitaires (volontariat,
assistance, sécurité...) tout en évitant les
dérives d'un refoulement forçé. Si ces mesures logistiques
sont relativement faciles à appliquer sur le territoire tanzanien, il
n'en va pas de même pour l'application sur le territoire burundais. Il
est en effet plus difficile, voire irréalisable au Burundi d'organiser
le transport et l'acheminement des réfugiés volontaires dans
leurs communes d'origine, acheminement qui en plus doit répondre
à des normes sécuritaires, et d'assurer leur accès foncier
à l'habitat. En réalité, un tel objectif est
réalisable selon les conditions locales et suivant les situations
personnelles des réfugiés.
La seconde politique est plus complexe à mener car il
s'agit de s'appuyer sur les structures d'accueil et d'encadrement souvent
inexistantes dans un pays comme le Burundi qui a connu dix années de
guerre. Le Burundi ne disposait en effet pas ou peu de capacités
d'accueil , permettant d'absorber des réfugiés, chacun ayant son
histoire et ses besoins (qualifications professionnelles,
récupération des propriétés
foncières...).
De plus, si le premier objectif correspond à une
opération supposant des financements et des actions conjoncturelles
gérables dans le court terme, ce n'est pas le cas du second objectif
dont les délais d'exécution dépassent de loin le cadre
classique des actions du HCR (mais le HCR a tendance à vouloir
étendre ses compétences, comme évoqué plus haut) et
s'apparente plus à un projet de développement durable qui tarde
à trouver des financements durables eux aussi. Pour ces raisons, les
acteurs du rapatriement ont tendance à ne voir que le premier objectif,
supposant que les réfugiés se réintégreront
naturellement. Ainsi, la version courte l'emporte, risquant de provoquer des
tensions entre les deux Etats et le HCR. Ce dernier prévoyait d'ailleurs
le retour d'environ 150 000 réfugiés , mais seulement 80 000
s'inscrivirent sur les listes, et ce malgré les risques encourus dans
certaines provinces instables du Burundi. Cette dynamique reste donc fragile,
principalement en raison de la dégradation des conditions de
sécurité au Burundi.
·.. Les motivations des réfugiés en
faveur du retour
Mais il faut pour pour bien analyser ce mouvement, prendre en
compte les motivations au retour de la part des réfugiés, car
quels que soient les enjeux régionaux et internationaux, l'attitude des
populations réfugiées et leur opinion envers le retour
apparaissent comme des déterminants incontournables.
On note dès 2002 un meilleur climat pour le retour des
réfugiés, du à la conjonction de plusieurs facteurs
d'attraction et de répulsion tant en Tanzanie qu'au Burundi. On
relève tout d'abord l'importance d'une communication incitative au
retour de la part des autorités étatiques. D'où
l'importance de détenir les capacités et canaux d'information
envers les réfugiés76. De plus, depuis 1999, les
autorités tanzaniennes ont durci leurs relations avec les
réfugiés et renforcé les réglementations en
vigueur. Ceci eut pour conséquence une dégradation des conditions
d'existence et de leur liberté de mouvement, ce qui attisa la
colère des réfugiés envers l'Etat tanzanien mais aussi et
surtout envers la communauté internationale et les agences humanitaires,
accusées d'abandonner les réfugiés. Mais l'idée que
les conditions de vie dans les camps seraient la principale raison pour
laquelle les réfugiés resteraient dans les camps mène
parfois à de fausses conclusions. L'exemple des réfugiés
érythréens au Soudan nous fournit un beau contre- exemple. Ces
réfugiés décidèrent de rentrer dans leur pays
à la fin de la guerre en 1991, et ce sans attendre l'organisation ni par
le HCR ni par l'Erythrée de leur retour. Ils trouvèrent dans leur
pays des conditions de vies beaucoup plus difficiles que dans les camps
où ils étaient installés depuis en moyenne 15 ans. Mais
cet appauvrissement relatif n'arrêta pas la détermination des
rapatriés : ils tentèrent de trouver des solutions durables
à leurs problèmes de revenu, sans s'appuyer trop sur l'assistance
internationale, source qui de toutes façons se tarit assez rapidement.
En effet, pour eux le retour au pays ne se calculait pas en termes de
bien-être matériel, mais plutôt en termes de retour à
la paix et à la sécurité. Un réfugiés
érythréen déclara ainsi : "Even if home is without food
and soil is infertile, we want to live in Eritrea... that gives us a
psychological satisfaction, the feeling of security. We prefer to be called
poor in our country rather than to be called refugee in abroad."77.
Ceci dément la critique souvent faite aux organisations humanitaires et
notamment au HCR, selon laquelle l'assistance fournie aux
réfugiés leur permettrait d'atteindre un meilleur niveau de vie,
leur ôtant alors toute envie de retourner chez eux, où les
conditions de vie seront moins bonnes. Une fois encore nous voyons comment les
considérations politiques et sécuritaires prévalent sur
toutes les explications socio-économiques des mouvements de
réfugiés. Il est donc significatif que dans le même temps
où les réfugiés burundais décidèrent de
rentrer, l'évolution politique au Burundi, et l'évolution de la
situation militaire, toutes deux plutôt positives, permettent d'envisager
l'idée du retour.
76 Lischer, "Dangerous Sactuaries: Refugee Camps...",
Op. Cit.
77 Interview réalisée par Jonathan
Bascom, citée dans "The long `last step'? Reintegration of Repatriates
in Eritrea", in Journal of Refugee Studies, 2005, Vol. 18, n° 2, p.
165-177
Ainsi, de nombreux réfugiés virent le retour
comme inéluctable et prochain, alors que les combattants qui
contrôlaient parfois les camps (mais de manière moins
prononcée que dans les camps du Zaïre), voulaient conditionner le
retour à un cessez-le-feu et à une réforme de
l'armée burundaise.
D'autres raisons ont néanmoins joué. Il semble
que suite à des pénuries alimentaires, les relations entre les
réfugiés et les populations tanzaniennes locales se soient
dégradées. Des tensions de voisinage
dégénérèrent en violences collectives. Il en va de
même au sein des camps entre réfugiés, à la suite
dedivisions politiques, générationnelles, voire
géographiques (commune d'origine). Enfin, d'autres motifs furent
évoqués par les réfugiés candidats au retour, comme
l'inquiétude concernant la propriété foncière,
surtout depuis que le gouvernement burundais a lancé une campagne de
recensement des terres disponibles dans toutes les communes du pays.
Mais la décision finale de retour est toujours prise en
fonction des conditions de sécurité une fois rentrés,
même si parfois les incitations au retour comme celles promettant des
petits emplois une fois sur place peuvent avoir accéléré
les décisions des réfugiés.
Toutefois, l'organisation du retour des réfugiés
burundais en Tanzanie n'est pas finie. Il faut dire que
l'échéancier politique et notamment électoral joue un
rôle pervers en poussant certains à accélérer ou
à retarder le mouvement.
D'autre part, les problèmes rencontrés par les
premiers rapatriés vont énormément déterminer la
suite du mouvement. Or, les problèmes sécuritaires et de gestion
de l'accueil varient selon zones et les capacités d'absorption des
communes (existence d'une marge foncière, état des services
publics, encadrement ou non...). Les provinces du sud du Burundi cumulent par
exemple les problèmes de sécurité, de gestion des sites de
déplacés, et de contentieux fonciers. Or la majorité des
populations des camps en Tanzanie est originaire de ces régions.
Le principal problème lors des opérations de
rapatriement, et quelles que soient les conditions sécuritaires, reste
l'installation et l'habitat. Aussi le succès repose-t-il sur un tissu
familial ou relationnel résident. L'habitat est à reconstruire,
il en va de même pour les biens et équipements collectifs,
auxquels les réfugiés ont été habitués
pendant leur séjour dans les camps et qu'ils ne retrouvent pas dans le
même état une fois de retour. Et ce détail a son
importance, car il permet le retour des gens lettrés, des jeunes ou des
personnes fragiles, soit toutes les personnes ne pouvant pas se contenter d'une
terre.
Par ailleurs, au-delà des parcours individuels, le
retour n'est jamais chose aisée, car les identités et les
relations sociales se sont transformées. On peut distinguer, chez les
réfugiés burundais comme ailleurs, la "génération
politique", composée de lettrés et de jeunes
déscolarisés. Elle est la plus ouverte aux changements de
conditions de vies (activités marchandes urbaines, contact avec les
ONG...) et est la plus politisée. C'est dans cette
génération, minoritaire, que l'on trouve les
leaders d'opinion qui s'investissent dans les activités sociales et
parfois la rébellion. Souvent ce sont eux qui conditionnent leur retour
à des réformes ou à un projet politique.
La génération des paysans, et leurs familles,
qui ont fui les combats semble elle en général majoritaire. Ces
familles ne fuient pas très loin, dans des régions
frontalières, pour rester au contact avec la situation dans le pays
d'origine. Elles reforment dans les camps leurs anciennes relations et veulent
en général retourner dans leur pays dès que la situation
sécuritaire, mais aussi foncière (assurance de retrouver des
terres), le permet.
Pour les réfugiés burundais, l'on peut partir du
principe que la réussite du rapatriement des réfugiés
reste conditionné à la résolution des problèmes et
conflits qui ont entraîné leurs départs, et que le retour
des réfugiés permettra la restauration d'une frontière qui
de part et d'autre sera contrôlée par les armées
nationales, au plus grand profit de l'économie et de la stabilité
régionales. Mais il ne faut pas oublier, comme le font malhaureusement
souvent les bailleurs de fonds de la communauté inernationale, que le
rapatriement ne doit pas être une fin en soi, mais le point de
départ pour sortir de la crise. Pour ce faire, il convient de remettre
à plat les problèmes sociaux et politiques du pays. Ce n'est
qu'à ce prix que le rapatriement peut réussir et mener à
la réconciliation nationale.
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