II - Quelle sécurité pour les
réfugiés à l'épreuve de la sortie de crise?
- La politique du HCR
Après avoir étudié les mécanismes
concourant à la propagation ou non d'un conflit lors des crises de
réfugiés, étudions maintenant la question du rapatriement
des réfugiés et son rôle dans le rétablissement de
la paix. Cette idée correspond au fait que le HCR est une agence de
l'ONU, instance multilatérale basée sur la
prépondérance des Etats. C'est pourquoi le rapatriement, c'est
à dire le retour à l'ordre initial des Etats, est envisagé
comme la seule politique durable et efficace par le HCR, qui y voit le seul
moyen d'assurer la paix à long terme. Au Rwanda, le HCR se retrouva
confronté à "l'insécurité humaine", et donc
à sa propre impuissance au milieu d'un conflit ouvert, ainsi qu'à
l'indifférence de la communauté internationale.
69 Kurt Mills et Richard J. Norton, "Refugees and
Security in the Great Lakes Region of Africa", in Civil Wars, Vol. 5, n°
1, (Spring 2002), p. 1-26.
70 S. Ogata, discours du 19 mai 1999 (disponible sur
le site du HCR), intitulé "Human Security : a Refugee Perspective"
·.. Les "4 R" : Réintégration,
Réconciliation, Réhabilitation, Reconstruction et la mise en
pratique de cette politique par le HCR
Alors que le rapatriement est au coeur des fonctions
traditionnelles du HCR, ses activités dans la reconstruction et la
réconciliation s'inscrivent dans cette nouvelle approche placée
par le Haut Commissaire sous le signe d'une promotion de la
sécurité humaine. Il déclara ainsi : "Je suis très
concerné par le décalage qui existe actuellement entre
l'intervention humanitaire et le démarrage des programmes de
développement à long terme. (...) Très souvent, les
réfugiés récemment rapatriés sont parmi ceux qui
pâtissent le plus du manque de ressources disponibles pour construire la
paix."70. Le HCR s'est donc décidé à s'attaquer
aux problèmes posés aux réfugiés dans les phases
post-conflit.
Après plusieurs années de guerre civile et un
génocide mené dans l'un des pays les plus pauvres d'Afrique,
vidé d'une grande partie de sa population, le défi de la
reconstruction au Rwanda était immense. Les infrastructures
économiques et institutionnelles étaient détruites. La
guerre avait eu des effets dévastateurs sur l'économie et
notamment l'agriculture. La justice, le système de santé,
l'éducation s'étaient effondrés. Les secteurs publics et
privés avaient subis vandalisme et pillage, tous les réseaux
d'eau ou de téléphone étaient hors d'usage... Et outre les
dégâts matériels, une bonne partie des personnels des
services publics ou privés avaient disparus. En comparaison de cette
ruine totale, la reconstruction de l'Europe après 1945 ne paraît
qu'une petite crise économique sans conséquences.
Le Rwanda devint alors après 1994 un laboratoire
international pour la gestion post- conflit, intégrant de manière
globale les questions de justice, de sécurité et de
réconciliation. Si les efforts de la communauté internationale
pour s'impliquer dans la reconstruction du pays furent considérables, il
n'y eut pas de plan global massif prévoyant toutes les étapes de
la reconstruction et qui aurait relié les problèmes humanitaires
et les problèmes de développement, et réuni les
gouvernements, les donneurs, les agences des Nations-Unies et les ONG dans une
stratégie globale et intégrée. Dans le but de lier les
activités de secours et celles de développement, et
d'améliorer la coordination, un "Memorandum of Understanding" fut
signé entre le HCR et le PNUD. Mais celui-ci ne fonctionna pas
correctement, les rivalités entre agences reprenant de plus belle,
démontrant s'il le fallait encore l'incapacité des Nations-Unies
à présenter une approche stratégique globale,
intégrée et coordonnée.
Pourtant, dans les situations post-conflits, le retour des
réfugiés complique souvent le processus de rétablissement
de la paix, et le HCR se retrouve confronté non plus à des crises
de réfugiés à des crises de "rapatriés". Pendant
cette phase de reconstruction, le HCR continua à assurer ses fonctions
traditionnelles : superviser le retour des populations déplacées,
les assister
dans leur réintégration économique et
sociale, veiller au respect des droits de l'Homme, assurer l'asile et la
protection tout en cherchant des solutions durables en négociant avec
les autorités locales. Ainsi, le HCR devait faire attention aux risques
de reprise du conflit à cause d'une mauvaise
ré-intégration et d'une mauvaise acceptation des Hutus de
retour.
·.. La mise en application de politiques de
sécurité humaine par le HCR
Ainsi le HCR s'impliqua aussi dans la reconstruction et la
réhabilitation à travers des programmes menés en
partenariat avec les ONG locales ou d'autres agences des Nations-Unies, visant
à la construction d'abris, de centres de santé, d'écoles,
de systèmes d'eau... Des conflits sur la possession des biens
éclatèrent entre les anciens et les nouveaux
réfugiés, les survivants du génocide et les
déplacés internes... Le HCR soutint notamment le gouvernement
rwandais dans sa politique de construction d'abris. Cet engagement dans des
activités de développement a suscité des débats,
étant donné l'inexpérience de l'agence dans ce domaine.
Cet engagement nouveau entre dans une logique d'extension de ses
activités, comme connaissent de nombreuses organisations, quelles
qu'elles soient. La prétention du HCR à contrôler toutes
les activités liées aux situations de conflits impliquant des
mouvements de réfugiés a beaucoup grandi quand il s'est vu
confié son rôle d'agence chef de file. Mais l'évaluation du
programme de construction d'abris conclut à son échec, dû
à un manque de moyens tout autant qu'à un changement
d'orientation dans le programme en cours de route.
S'il est des situations où la réconciliation des
communautés est aussi difficile que primordiale, c'est bien le cas du
Rwanda après le traumatisme du génocide. Dans la ligne de sa
recherche de solutions durables, le HCR s'est donc impliqué, au
delà de l'assistance matérielle, dans des programmes
destinés à promouvoir la justice et la réconciliation
entre les réfugiés et les autres membres des communautés,
et à tenter de recréer un climat de confiance. Ces programmes
étaient fondés sur les principes de la sécurité
humaine, pour tenter une "impossible réconciliation" dans le long terme.
Le programme phare du HCR au Rwanda fut lancé en 1996 et témoigne
bien d'une approche nouvelle de la situation par le HCR. Le "Rwandan Women's
Initiative" (RWI) est une approche basée sur une optique de
sécurité humaine. Les femmes dans les conflits étant
souvent les plus vulnérables et les plus touchées, c'est à
elles que doit s'adresser en premier lieu l'aide humanitaire. De plus, donner
plus de pouvoir aux femmes en les choisissant comme interlocutrices
privilégiées permet de ne pas s'adresser aux hommes, souvent
armés, qui contrôlent les camps71. Ce programme,
lancé en 1996, avait pour but d'assurer l'émancipation des femmes
tout en favorisant le dialogue inter-ethnique. Le programme finançait
donc des micro- projets au niveau communautaire en matière
d'éducation, de formation, de soutien social...Le programme touchait en
1996 4 communes, 42 en 1999. Mais son financement fut alors réduit de
71 Jennifer Fosten ,Destiny Micklin, Brenda Newell and
Charles Kemp, in "Refugee Women"
manière drastique (le programme subit en effet la grave
crise que subit le HCR en 1997-98).
Le HCR fut également responsable d'un projet de
micro-développement appelé "Imagine Coexistence", consistant
à financer des activités productives autour desquelles furent
développées tout un ensemble d'activités
socio-culturelles. La condition pour participer au programme était
d'employer des personnes d'origines ethniques et sociales très
différentes. La philosophie de ce programme, basée encore sur des
principes de sécurité humaine, était donc la coexistence
pacifique de ces participants, et que celle-ci soit
générée par la population elle-même et non
imposée par l'extérieur, ce qui l'aurait vouée à
l'échec.
Les phases de gestion post-conflits apparaissent comme des
situations favorables pour l'éclosion de nouvelles approches
basées sur la sécurité humaine. Ces micro programmes
constituent en effet des tentatives d'incarnation d'un concept qui a encore du
mal à trouver une application concrète.
Mais il ne faut pas occulter le fait que si la reconstruction,
au sens large du terme, fait partie d'un nouvel agenda international, ce
dernier reste tributaire de la volonté politique de la communauté
internationale et donc de sa sélectivité. En outre, il pose des
dilemmes éthiques dont un en particulier : la communauté
internationale, en légitimant cet interventionnisme, n'est-elle pas en
train de soutenir une nouvelle sorte de colonialisme ?
Cette critique doit pourtant être nuancée. En
effet, de nombreux observateurs soulignent l'écart entre les moyens
consacrés à la phase d'urgence, sous les projecteurs, et ceux
consacrés à la reconstruction, qui retournent dans l'ombre. Au
Rwanda, l'écart entre l'assistance humanitaire d'urgence et la
reconstruction se reflète dans l'allocation des financements. Ceux-ci
furent en fait massivement alloués aux pays limitrophes où
étaient concentrés les réfugiés, et non au Rwanda
lui même, pour sa reconstruction et pour ses personnes
déplacées. L'écart se creuse encore si l'on prend en
compte les délais mis dans l'allocation des financements, lorsque
ceux-ci, au-delà des effets d'annonce, sont honorés. Les
modalités de l'intervention humanitaire témoignent en effet des
risques de sélectivité des crises et d'instrumentalisation de la
sécurité humaine par la communauté internationale.
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