CONCLUSION
L'engagement humanitaire massif dans les crises de
réfugiés comme celles liées au drame rwandais
témoigne de l'inscription du problème des réfugiés
au centre de la politique internationale. Et ce au point que certains
considèrent que - sous les effets conjugués de la fin de la
Guerre Froide, de la multiplication des conflits internes et transnationaux, de
la diffusion mondiale des images des crises humanitaires, de la remise en cause
croissante de la souveraineté des Etats - l'intervention internationale
comme réponse aux flux de réfugiés est en train de devenir
une norme dans les déclarations et les pratiques des Etats. Pourtant,
l'engagement de la communauté internationale est loin d'être aussi
fort, et les modalités de l'intervention humanitaire attestent de sa
sélectivité et de l'instrumentalisation de la
sécurité humaine. La crise actuelle au Soudan illustre bien ce
constat. Les experts de l'ONU débattent pour savoir si les massacres au
Darfour constituent ou non un génocide, au lieu de se mettre d'accord
sur les modalités d'une intervention dans une région ou les
risques de propagation du conflit sont majeurs. La sélectivité de
l'ingérence humanitaire se manifeste d'abord dans la différence
de traitements entre « grandes urgences » telle que l'a
été à un moment donné le Rwanda, et à propos
desquelles se constituent parfois une ébauche d'espace public
international, et les « urgences silencieuses », comme en Sierra
Leone, au Burundi, ou aujourd'hui au Soudan. Cette sélectivité
géographique se double d'une sélectivité temporelle,
liée aux phases de la crise et à leur visibilité, comme le
montre l'exemple du Rwanda où le degré de financement des ONG fut
totalement modulé selon le degré de couverture des
événements. L'assistance se porta ainsi massivement sur les
réfugiés, au détriment des déplacés
internes.
Si la prise en compte de ce type de crise, le
développement de l'ingérence humanitaire, constitue en soi une
avancée de la sécurité humaine, cette doctrine reste tout
de même tributaire des des intérêts et motivations des
multiples acteurs, et ne s'applique que quand ceux-ci convergent. Le concept ne
s'applique donc que de façon ponctuelle, sur des problèmes
précis, et ne répond pas à son ambition universalisante et
égalitaire. Le HCR n'a que peu de pouvoir sur ce
phénomène, les crispations du multilatéralisme s'exprimant
également dans les aléas de la coordination. Ces derniers
témoignent de l'absence au niveau international d'une politique de
coordination entre les sphères politiques, militaires et humanitaires. A
travers son action, le HCR paraît en définitive ne pas constituer
le bras armé de la communauté internationale, mais plutôt
son alibi.
C'est ainsi que la communauté internationale, le plus
souvent par désintérêt stratégique, laisse des
conflits survenir, et les laisse se propager même lorsqu'elle intervient.
Dans ce type de crise de réfugiés impliquant des combattants
armés, apporter une simple assistance humanitaire comme cela a
été fait au Rwanda peut avoir des effets dévastateurs sur
la stabilité de la région. Traiter la situation sur le plan
strictement humanitaire en évitant bien de s'impliquer militairement
et/ou
politiquement est le meilleur moyen de soutenir les
combattants extrémistes. Les organisations humanitaires, par leur
politique de neutralité et d'impartialité, croient pouvoir venir
en aide aux populations. Mais elles ne font parfois que leur donner un petit
sursis : en venant en aide aussi aux combattants, elles mettent en danger la
vie de nombreuses autres personnes puisque le conflit risque alors de
contaminer la région toute entière, comme ce fut le cas avec les
réfugiés rwandais au Zaïre. Il est maintenant clair que le
travail humanitaire ne peut rester neutre étant donné ses
conséquences politiques. C'est pourquoi les travailleurs humanitaires
devraient être plus sensibilisés au contexte et aux
conséquences politiques de leur intervention, et ce aussi pour leur
propre sécurité. La priorité doit être la lutte
contre la militarisation des camps, véritable fléau qui menace la
sécurité des Etats hôtes et des frontières. Les
procédures prises par le HCR dans le cadre de "l'échelle
d'option"78 ne suffiront pas à contrecarrer ces
phénomènes. Le déploiement de forces de
sécurité zaïroises dans les camps de réfugiés
rwandais fut un échec, étant donné d'une part
l'incompétence de ces troupes dites "d'élite", et d'autre part
étant donné le soutien donné par le président
zaïrois aux réfugiés combattants des camps. Ainsi, la
séparation dans les camps entre les réfugiés civils et les
combattants réfugiés paraît la seule solution pour
éviter que ces crises ne dégénèrent. Pour
éviter la propagation du conflit, l'intervention de l'Etat hôte
paraît primordiale, puisque c'est lui qui en premier lieu peut
créer des conditions de sécurité dans les camps.
L'important également est de garder le contrôle des flux
d'information dans les camps, afin que les combattants réfugiés,
dont le but est de poursuivre la guerre et qui pour cela ont besoin du soutien
des réfugiés, ne puissent les empêcher de rentrer
pacifiquement dans leur pays. Il faut noter à ce propos que c'est bien
souvent le prolongement des crises, quand les réfugiés ne peuvent
rentrer chez eux rapidement, qui favorise la prise de pouvoir dans les camps
par de telles bandes armées. La prolongation des crises empêche le
travail de rapatriement et de réinstallation des réfugiés,
seul moyen de mettre fin au risque de propagation du conflit, et souvent partie
intégrante d'un processus de paix. Mais atteindre ces objectifs
nécessite d'y mettre les moyens financiers et matériels afin
d'assumer une responsabilité politique, ce qui n'est pas à
l'ordre du jour de la communauté internationale à l'heure
actuelle.
78 Adoptée après l'évaluation de
l'échec rwandais, l'échelle d'option est un ensemble de mesurent
qui peuvent être prises graduellement par le HCR pour assurer la
sécurité des réfugiés, des camps, et des personnels
humanitaires. Ces mesures peuvent de la coopération préventive
avec l'Etat hôte, au déploiement de forces de
sécurité nationales ou privées, jusqu'à
l'intervention d'une force de maintien de la paix internationale.
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