CHAPITRE I
LE ROLE DE COORDINATEUR DU HCR ET LA QUESTION DE
LA COOPERATION LORS DES SITUATIONS HUMANITAIRES COMPLEXES
Le HCR , ainsi que différentes ONG ou autres
organisations internationales, interviennent dans les conflits lorsque ceux-ci
créent des déplacements de populations. Leur rôle est de
gérer les secours, ce qui veut dire assister les réfugiés
dans cette situation délicate et les protéger, ce qui est
regroupé sous le terme anglais de « relief management». Mais
ces interventions ont des limites et des défaillances, d'abord dues au
fait que leur rôle est comme je l'ai dit d'assister et de protéger
les réfugiés de manière neutre17, et non de
gérer le conflit dans son ensemble et de le résoudre. Cette
faiblesse de la communauté internationale dans son ensemble, et le
désintérêt particulier des grandes puissances, anciennes
puissances coloniales notamment, font que parfois les actions du HCR et des
autres agences internationales de soutien n'ont pas tous les moyens en leur
possession pour répondre à de telles situations complexes. Les
gouvernements occidentaux en général ne considèrent pas
ces conflits armés impliquant des réfugiés («
militarized refugee crisis »18) comme des menaces à la
sécurité régionale ou internationale, alors la seule prise
en charge de ces crises par des organisations humanitaires et par le HCR sans
aucune autre forme de réponse politique fait que parfois ces crises ont
des répercussions incontrôlées, et aboutissent à la
manipulation des réfugiés (comme nous le verrons plus tard, ou
comme expliquer en introduction).
En effet, en ce qui concerne la gestion des
réfugiés, il existe un lien fort entre la manière dont est
gérée leur prise en charge et la future reconstruction du pays.
La manière dont est abordée la crise humanitaire par les
différents acteurs qui en ont la charge peut avoir de profonds effets
sur la gestion du conflit (peace-making), et sur la reconstruction et le
développement futur de la région (peace-building). C'est pourquoi
il est nécessaire lors de ce type d'intervention soit
gérée de manière sérieuse et responsable, et donc
qu'un acteur ait un rôle de coordinateur, ayant alors une vision
d'ensemble, guidant les autres pour éviter les effets pervers de
l'action humanitaire. De plus, ce rôle de coordinateur est rendu
indispensable par la complexité des situations de conflit où la
réponse apportée implique différents types d'institutions,
de mandats, de règles d'engagement, de structures de décision, et
de ressources. Cette complexité peut devenir un facteur de succès
ou d'échec d'une intervention selon que ces différentes
organisations coopèrent ou non : c'est pourquoi le rôle de
coordinateur est un rôle fondamental.
Nous étudierons donc le rôle du HCR dans la
gestion des crises humanitaires, en tant que coordinateur, c'est à dire
dans ses relations avec les autres acteurs, notamment les ONG ainsi que les
militaires, lors des interventions humanitaires en faveur des
réfugiés. Nous tenterons de comprendre comment ce rôle de
coordinateur, et ses limites, peut expliquer les défaillances de
l'action envers les réfugiés, notamment en s'appuyant sur les
exemples du Rwanda et du Kosovo.
17 Selon la Convention de Genève de 1951
portant sur les réfugiés.
18 Lischer, « Dangerous Sanctuaries : Refugee
Camps, Civil War, and the Dilemnas of Humanitarian Aid", Ithaca, Cornell
University Press, 2005, 204 p.
I - LE ROLE DE COORDINATEUR DU HCR COMME REVELATEUR
DES DEFAILLANCES DE LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE
La coordination est un facteur clé de la
réussite d'une intervention humanitaire. En effet, il existe une
pléthore de différents types d'acteurs qui peuvent intervenir. Si
l'on s'intéresse par exemple seulement aux ONG, il en existe tellement
de différentes sortes, aux différents théâtres et
modes d'intervention, aux différentes structures et objectifs, (des
religieuses ou des laïques, certaines intervenant pour les droits de
l'Homme, d'autres pour aider à la résolution du conflit, et
d'autres dans le domaine strictement humanitaire), qu'il est impossible
d'entrevoir une unité d'objectifs et d'action. Même parmi les ONG
à but strictement humanitaire, certaines ont des politiques qui peuvent
radicalement s'opposer, en ce qui concerne la coopération avec les
autorités locales, avec les militaires, ou en ce qui concerne la
sécurité de leurs effectifs... Mais de manière
générale, la plupart des ONG reste très attachée
à leur indépendance vis-à-vis de toute autorité
quelle qu'elle soit, ainsi qu'à leur neutralité dans les
conflits.
Mais les ONG ne sont pas seules à intervenir
auprès des réfugiés dans des situations d'urgence
humanitaire, où de nombreux acteurs sont impliqués : forces de
maintien de la paix et leur état-major, représentants de l'ONU et
des différentes agences de l'ONU, réfugiés eux-mêmes
parfois, agences de développement, autorités locales... Toutes
ces personnes et institutions aux objectifs et aux moyens très
différents se doivent de travailler le plus possible main dans la main :
la coordination est un défi indispensable à la réussite
d'une opération. La coopération est alors aussi donc un gage de
la sécurité humaine des réfugiés.
- Le concept d'agence « chef de file » comme
réponse au besoin de coordination
Le principe d'une agence chef de file correspond au courrant
réaliste des relations internationales, pour lequel la coordination
nécessite forcément hiérarchie et contrôle. Pour
autant, l'absence, dans la plupart des interventions humanitaires, de
stratégie politique globale, fait que les différentes
décisions ont été prises par pragmatisme plus que par
stratégie politique cohérente, résultant des pressions du
terrain plus que d'une pression politique. Depuis plusieurs années, des
critiques concernant la réponse des Nations-Unies à ce genre de
situations humanitaires complexes19 (c'est à dire des
situations impliquant plusieurs niveaux de réponses : comme la
19 La notion de "situation humanitaire complexe"
est une situation dont les causes, multiples, conjuguent instabilité
politique, tensions ethniques, conflit armé, crise économique,
profondes inégalités socio-économiques, abus des droits de
l'Homme, désintégration de la société et des
structures étatiques, et qui aboutissent à des violences et des
déplacements de populations massifs. Certains la définissent
même comme une situation dans un pays, une région
gestion des réfugiés et déplacés,
la gestion des parties en conflit, la reconstruction, le
développement...) ont éclairé les rivalités qui
existent entre les 15 agences de l'ONU ainsi qu'entre ONG. La plupart de ces
agences sont en fait concurrentes entre elles dans leurs opérations de
« fund-raising », c'est à dire de collecte d'argent. Ces
rivalités constituent un obstacle majeur à la coordination.
·.. · Emergence du concept dans les
instances de l'ONU
Au niveau du pays en crise, le rôle de coordinateur
était auparavant habituellement donné aux responsables
résident locaux représentant le PNUD. Mais leurs analyses et
expertises sont ciblées sur le développement du pays, et non sur
la réponse à des situations d'urgence. De plus, ils n'ont pas
nécessairement les ressources pour accomplir cette tâche. Alors
beaucoup reposait sur les qualités individuelles de leadership et
d'énergie des individus responsables, ce qui amena à chercher
d'autres modes de coordination.
Au niveau stratégique, le principal mécanisme de
coordination au niveau des Nations- Unies jusqu'à la Guerre du Golfe
était le Bureau de coordination des secours lors des désastres.
Ce bureau, créé en 1971, se montra incapable de gérer
certaines crises et fut « censuré » par un rapport
d'inspection commun en 1980. C'est alors qu'apparue l'idée de
désigner au niveau international une entité leader, capable
à la fois de « chapeauter » toutes les agences
impliquées, et d'être présente concrètement sur le
terrain dans les opérations de secours. Pourtant, ce concept d'agence
chef de file est tout de suite apparut comme étant un concept par
défaut, émergeant en l'absence d'autorité
compétente. Pour autant, aucun autre concept ni aucune autre solution
n'émergea. Le Bureau de coordination des secours lors des
désastres connut finalement quelques succès au Tchad et au Liban,
mais cela n'empêcha pas sa disparition quelques années plus tard,
son manque de ressources éclatant au grand jour pendant la crise du
Golfe. Mais c'est en fait le système tout entier qui faillit à
cette époque puisque personne ne vu venir l'exode massif d'irakiens
entre 1989 et 1991. C'est alors que les Etats-Unis demandèrent au HCR de
« coordonner » les opérations répondant aux besoins des
kurdes irakiens dans les « zones sûres » crées par la
coalition militaire victorieuse. Ce fut la première fois que le HCR se
vit confier une mission de coordination.
La Première Guerre du Golfe obligea les Nations-Unies
à revoir entièrement son système de réponse aux
crises humanitaires, tant le nombre d'acteurs sur place avait augmenté
mais s'était surtout diversifié. L'Assemblée
Générale créa alors un nouveau haut niveau de coordination
(de
ou une société où l'autorité est
totalement ou presque totalement détruite , anéantie, en raison
d'un conflit interne ou externe, et qui nécessite une réponse
internationale allant au-delà du mandat ou des capacités d'une
seule agence ou programme des Nations-Unies.
secours et d'urgence) ayant un lien institutionnel direct avec
le Secrétariat Général, et disposant d'un
secrétariat renforcé basé en réalité sur les
anciens bureaux déjà existants. Ces officiels furent aussi
habilités à travailler de concert avec le nouveau comité
inter-agence incluant les agences de l'ONU et certaines ONG triées sur
le volet. Cependant, cette nouvelle entité créée ne
disposa pas du pouvoir nécessaire pour diriger et contrôler
directement ces agences et institutions.
Par la suite, le mandat d'agence coordinatrice fut
donné à une agence spécialisée, le HCR, d'abord
lors de l'éclatement de la guerre en Ex-Yougoslavie. En effet, un demi
million de réfugiés fuirent les combats, et le gouvernement
yougoslave demanda lui-même l'assistance du HCR. Alors, l'ONU, à
défaut d'une réponse correspondant à un plan
stratégique pour gérer cette situation politique et militaire
inextricable, donna mandat de coordination des activités humanitaires
dans la région au HCR. A défaut d'une autre autorité, le
HCR semblait l'agence spécialisée la plus appropriée pour
la coordination, étant donnée qu'elle est la seule à
disposer des structures bureaucratiques et des capacités
opérationnelles appropriées à une crise dont une des
principales caractéristiques était un mouvement massif de
population. Le HCR reçut ce mandat de coordinateur des opérations
humanitaires dans de nombreuses crises par la suite. Depuis 15 ans qu'il est
utilisé ce concept n'a toujours pas été défini
précisément par le Secrétariat Général de
l'ONU. Cependant, il est possible d'en dégager les principaux tenants,
puisque ce concept s'est quelque peu constitué « ad hoc
»20 . Il s'agit d'abord d'éviter les duplications (de
personnel, de matériel...) et de combler les vides qui peuvent exister.
Le HCR se doit donc de collecter et de partager l'information avec tous les
acteurs concernés, de planifier la répartition des tâches
entre agences de l'ONU, de coordonner les activités de secours (avec les
ONG, les militaires et autres institutions locales...), d'évaluer les
besoins sur place et d'attribuer les différentes responsabilités,
ainsi que de représenter le système onusien dans son ensemble. En
théorie ce concept d'agence chef de file devrait fonctionner à
merveille. Mais en pratique, il a très vite montré ses faiblesses
lors de plusieurs opérations, par exemple au Rwanda ou au Kosovo, comme
nous le verrons.
·.. Le HCR, agence coordinatrice dans les pays
limitrophes du Rwanda
Dans les Grands Lacs, contrairement à ce qui se passa
en Ex-Yougoslavie, le HCR n'eut pas le rôle d'agence chef de file durant
toute la crise, car plusieurs mécanismes de coopération furent
mis en place. Le mandat de coordination du HCR se limita en effet à
l'assistance humanitaire des réfugiés, et non des
déplacés internes, et s'exerça par conséquent dans
les pays limitrophes du Rwanda : Ouganda, Zaïre, Tanzanie et Burundi. A
l'intérieur du Rwanda, la responsabilité de la coordination fut
répartie, au risque de la dispersion, entre plusieurs agences de l'ONU
(PNUD, Département des Affaires Humanitaires (DHA), le Fonds Central
d'Urgence
20 Michael Pugh et Alex Cunliffe, «The Lead
Agency Concept in Humanitarian Assistance, the Case of UNHCR», in Security
Dialogue, 1997, vol 28(1), 17- 30 p.
(CERF), et le Bureau des Nations-Unies d'Assistance d'Urgence au
Rwanda (UNREO)).
Ce cloisonnement territorial et sectoriel de la réponse
humanitaire, rapporté au nombre important d'intervenants, est pour
beaucoup dans la faiblesse de la coordination globale. Différencier
« l'intérieur » et « l'extérieur » du Rwanda
empêcha de considérer cette crise dans sa dimension
régionale. Mais la volonté de la communauté internationale
de ne voir cette crise que sous l'angle humanitaire est à ce prix.
Cependant, compte tenu de la faible coordination concernant les
déplacés internes au Rwanda, le HCR considéra ses propres
réticences à prendre directement en charge ce problème
avant le génocide comme une « opportunité manquée
»21.
Ce cloisonnement illustre également l'insuffisante
coordination entre les différentes agences de l'ONU, ce qui illustre les
défaillances d'un système multilatéral cloisonné et
enchevêtré. Deux phénomènes, qui existent dans tout
système et organisation, se combinent ici : il y a prolifération
d'organisations spécifiques et spécialisées, ainsi que la
tentation pour chacune d'augmenter sa légitimité en augmentant
son champ de compétence22. En effet, dans les situations
d'urgence, chaque agence travaille avec son propre mandat, sa propre structure,
ses propres objectifs (même s'ils sont souvent similaires), et chacune sa
propre stratégie. L'exemple des relations entre le HCR et le Programme
Alimentaire Mondial (PAM) est significatif : ces deux agences au rôle
fondamental dans la crise entretinrent des relations extrêmement tendues
autour des activités concernant la chaîne de fourniture et de
distribution de nourriture. Ces tensions résultant pour beaucoup du
chevauchement de leurs mandats et de la difficile division des
responsabilités mirent à mal un des aspects les plus importants
du secours aux réfugiés.
De cette manière, la coordination fut compromise par
les rivalités entre agences, chacune gardant jalousement son autonomie,
et minées également par une certaine défiance les unes
envers les autres. Chaque agence a l'impression que coordination rime avec
contrôle, et donc avec perte d'indépendance. Un débat agite
d'ailleurs au sein des Nations-Unies les défenseurs d'une «
coordination souple » aux défenseurs d'une « coordination
directive ». Le HCR, défenseur lui d'une coordination souple,
limita lui-même sa propre coordination avec les organismes chargés
de la coopération à l'intérieur du Rwanda,
renforçant ainsi le cloisonnement opérationnel.
C'est ce que semble confirmer le Conseil International des
Agences Volontaires de l'ONU, regroupant des agences de l'ONU ainsi que des
ONG, qui ne fait pas tout à fait la même analyse que le HCR de la
raison pour laquelle aucune coopération à dimension
régionale n'eut lieu. Selon cette agence, en juillet 1994 le
Département des Affaires Humanitaires produit une série de points
d'actions à concrétiser pour guider la réponse à
l'urgence humanitaire au Rwanda. Le DAH définit alors plusieurs
objectifs et mesures à mettre en place, l'objectif principal
étant de stabiliser la situation dans le pays, d'apporter aide et
soutien aux réfugiés à l'extérieur tout en
encourageant un
21 UNHCR, « Lessons Learned from the Rwanda and
Burundi Emergencies », Evaluation Reports, Dec. 1996.
22 Marie-Claude Smouts, « Les Organisations
internationales », Paris, 1996
rapatriement rapide des réfugiés. Pour cela le
DAH recommanda concrètement d'utiliser Entebbe et Kigali comme
aéroports, et non Goma (où se situait le plus grand camp de
réfugiés de la région), ce dispositif permettant
d'approvisionner les réfugiés par la route et donc de les
accompagner sur le chemin du retour. Cependant, les recommandations du DAH
furent ignorées par la communauté internationale. Le Conseil
International des Agences Volontaires rejette la faute sur le HCR, qui aurait
volontairement appuyé sur le fait qu'il dispose d'un mandat
spécifique pour les réfugiés afin de s'assurer de son
utilité sur le terrain. Ceci empêcha alors toute
possibilité de coordination régionale23. La
manière dont les responsables des différentes agences repoussent
la faute les uns sur les autres témoigne bien de ces rivalités
destructrices entre agences.
Malgré ces problèmes, l'efficacité,
notamment technique, du rôle du HCR dans ce rôle précis de
coordinateur dans les opérations relatives aux réfugiés
est largement reconnue. Il est significatif quand on regarde le drame rwandais
dans son ensemble de constater que le nombre de personnes qui sont mortes en
raison de causes « qui auraient pues être évitées
», est sensiblement plus bas que le nombre de personnes qui sont mortes en
raison du génocide24. Ceci prouve donc en partie
l'efficacité de la réponse humanitaire donnée. Mais cela
ne témoigne en aucun cas de l'efficacité de l'organisation de la
réponse, qui témoigne elle plutôt de l'inefficacité
de la réponse politique donnée. Si la communauté
internationale avait politiquement réagi, peut-être même que
cette aide massive et toute cette expédition n'aurait pas
été nécessaire, ou peut-être dans une moindre
intensité.
Si le régime de coordination onusien mis en place au
Rwanda fut un échec, l'efficacité technique de la réponse
du HCR peut être expliquée par la prédominance des logiques
multilatérales qui marquèrent ses relations avec les autres
intervenants. En effet, le HCR reçut le soutien de pays d'accueil,
notamment la Tanzanie, et disposa d'un mandat clair d'agence chef de file dans
les pays d'accueil qui lui assura d'une autorité auprès de ses
partenaires, autorité largement renforcée par le contrôle
d'une large partie des fonds disponibles pour les agences et ONG
chargées du problème des réfugiés. Ce
contrôle financier donna de fait le pouvoir au HCR. Ainsi, sur 1,29
milliards de Dollars alloués par la communauté internationale
entre avril et décembre 1994, 50% furent canalisés par le
système des Nations-Unies, dont 85% par le HCR et le PAM réunis
et 49% par le HCR25. Cette allocation particulière des fonds
correspond à la décision du l'Union Européenne, à
travers son programme ECHO, d'allouer au HCR tous ses financements concernant
les réfugiés.
Le HCR n'est pas à proprement parlé une agence
d'éxécution, la fourniture de l'assistance matérielle et
les services dans les camps furent déléguées aux ONG,
selon une division du travail où le HCR supervisait et les ONG
exécutaient. Le très grand nombre d'ONG
23 Rudolph Van Bernuth, «The Voluntary Agency
Response and the Challenge of Coordination», Journal Refugee Studies, vol.
9, n°3, 1996.
24 Rudolph Van Bernuth, Op. Cit.
25 Laura Lohéac, Op. Cit.
ainsi que l'inadéquation de certaines d'entre elles aux
standards professionnels rendirent la coordination difficile, au
détriment d'une certaine efficacité.
A Ngara la coordination assurée par le HCR fut une
réussite, selon un modèe cette fois de « coopération
directive » et de collaboration étroite entre partenaires. C'est en
fait le gouvernement tanzanien qui poussa à ce type de coordination, car
il craignait l'afflux massif d'ONG. En effet, en étant ainsi investi
d'un mandat clair, disposant du contrôle d'une part importante des
ressources financières, le HCR put limiter le nombre d'ONG à une
vingtaine d'agences très performantes.
A Goma la situation fut beaucoup plus chaotique, et la
coordination plus aléatoire. Il ne fut pas question pour le HCR de
limiter le nombre d'ONG, étant donnée la force d'attraction de la
couverture médiatique. Sur 200 ONG environ présentes dans la
région, la moitié était à Goma, pour
répondre à la fuite extrêmement médiatisée de
500 000 à 800 000 réfugiés. Cette présence massive
d'ONG devait aussi palier la faiblesse de la réponse des
autorités zaïroises. Cette conjoncture particulière attira
de nombreuses ONG venues glaner des fonds et de la notoriété dans
l'enfer de Goma. Cette couverture médiatique entraîna alors le
fait que les donateurs fournirent de l'argent de manière éparse
à tous les acteurs présents, et n'ont pas concentré les
fonds dans les mains du HCR comme ce fut le cas à Ngara. La faible
proportion de fonds alloués directement au HCR à Goma ne lui
permit donc d'exercer un contrôle sur les ONG, la coordination fut donc
« souple », c'est à dire lâche et laborieuse. Mais le
déploiement du contingent zaïrois en mars 199526 permit
une meilleure collaboration entre le HCR et les autorités, ce qui lui
assura une plus grande autorité auprès des autres acteurs.
·.. Un mandat de chef de file restreint au
Kosovo
Au Kosovo, le HCR s'attendait à remplir le rôle
de coordinateur entre tous les acteurs - gouvernements, agences
multilatérales et ONG - engagés dans l'opération
humanitaire, comme il l'avait fait dans les précédentes crises
des Balkans, mais en réalité il n'eut pas de mandat clair pour
coordonner les acteurs autres que les agences onusiennes. Désigné
agence chef de file pour l'Ex-Yougoslavie en 1991, le HCR avait conservé
ce statut pour les déplacés internes au Kosovo en 1998.
L'extension de ce statut à la crise des réfugiés de mars
1999 ne fut pas contestée par les autres agences, et le Bureau de
Coordination des Affaires Humanitaires (BCAH) donna son accord pour le seconder
dans cette tâche. Cependant, la confusion des rôles et du statut
entre les membres du BCAH et ceux du HCR ont contribué à saper la
crédibilité du HCR comme agence chef de file, notamment en
Albanie. Par contre, la coopération avec les autres agences onusiennes,
fondée sur le Memorandum of Understanding (MOU) établi entre 1996
et 1997 entre le HCR, l'UNICEF, le PAM, fonctionna bien. Les tensions entre le
HCR et le PAM constatées au Rwanda diminuèrent au Kosovo
grâce au MOU.
26 Se référer à ce sujet au
Chapitre II
D'une manière générale, le HCR eut
beaucoup plus de difficultés au Kosovo qu'il n'en a eu au Rwanda
à assurer et à faire reconnaître son statut d'agence chef
de file. En effet, à l'exception des ONG partenaires qu'il finance
directement, l'autorité formelle impliquée par le concept ne
s'étendait ni aux ONG , ni aux donneurs, ni à l'OTAN.
L'autorité du HCR en matière de coordination reposait donc
essentiellement sur une reconnaissance volontaire et sur un consensus,
fondés en grande partie sur une crédibilité qui
pâtit gravement de son impréparation à la réponse
d'urgence. Ce problème est d'ailleurs intrinsèque au statut du
HCR : son mandat est renouvelé tous les cinq ans et son budget ne repose
que sur des contributions volontaires, selon le bon vouloir des donateurs. Mais
lorsque l'on prétend être l'agence coordinatrice, il faut
être prêt à réagir à n'importe quelle
situation pour ne surtout pas perdre sa crédibilité et son
rôle de leader dans les situations d'urgence. C'est justement là
que le HCR pêche parfois dans certaines situations, par manque de moyens
et de personnels.
Au Kosovo, en pratique, son autorité reposait plus sur
des relations de pouvoir liées à la reconnaissance de son
rôle et de son action humanitaire que sur une autorité
légale. Dans ces conditions le HCR ne put assurer la coordination, au
moins dans le premier mois de l'urgence, où la sphère
humanitaire, intensément politisée et donc très
compétitive, fut marquée par des logiques bilatérales.
Cette logique compétitive l'emporta à tel point que l'idée
de camps de réfugiés « nationaux » fut même
envisagée. Les logiques bilatérales se manifestèrent en
particulier dans l'allocation des ressources. L'Union Européenne par
exemple, principal bailleur de fonds, n'octroya que 3,5% de ses ressources
directement au HCR. Pourtant, l'idée de multilatéralisme implique
de d'orienter les fonds vers des agences multilatérales, comme celles de
l'ONU, ici donc le HCR, qui s'occupe lui de redistribuer ensuite les fonds aux
différentes ONG les plus compétentes selon lui. Mais au Kosovo,
opération dirigée non pas par l'ONU mais par l'OTAN, les
ressources furent attribuées par d'autres canaux bilatéraux,
militaires ou humanitaires, chaque donateur, et derrière lui chaque
Etat, choisissant de financer son agence ou son armé. Les contributions
aux agences multilatérales furent elles marquées par de lourdes
pression et conditionnalités politiques. Peter Morris, de MSF,
déclara plus tard : « de nombreux gouvernements financèrent
les ONG de manière bilatérale, ce qui réduisit beaucoup la
possibilité du HCR d'établir une priorité selon les
programmes ou de contrôler leur efficacité »27. De
fait, de nombreuses ONG financées par leur propre gouvernement
montèrent des projets sans même en référer au HCR,
ni au gouvernement d'accueil, et nombreuses sont celles qui agirent selon leurs
propres critères et priorités, sans contrôle.
Le HCR put financer au Kosovo environ 20% des ONG
présentes. Il intéressant de constater que lors de la crise
humanitaire de Goma, le nombre d'ONG financées par le HCR était
le même. Mais à Goma les ONG entre elles réussirent
à se coordonner quelque peu, malgré la ferveur médiatique.
Au Kosovo, les logiques bilatérales de financement firent que les
projets des
27 Peter Morris, tiré de « The Economist
», Jan. 2000
différentes ONG partirent dans tous les sens, sans
vraiment de logique. En matière de coordination, le HCR ne peut pas tout
faire à lui tout seul : il a besoin en premier lieu de la
coopération des ONG, mais il a également besoin que les ONG se
coordonnent entre elles. La différence porte également sur le
déroulement temporel de la crise, et sur la crédibilité du
HCR dans sa réponse à la crise. En effet, à Goma, les ONG
furent très dépendantes du HCR au tout début de la crise.
Lorsqu'elles acquirent plus d'indépendance, le HCR avait
déjà pu mettre en place des mécanismes de coordination,
qu'il put maintenir grâce à sa crédibilité.
L'inverse arriva en Macédoine et en Albanie, où au début
de la crise les ONG ne recherchèrent pas le financement du HCR.
Le HCR ne put donc ni jouer son rôle de coordination, ni
contrôler la qualité et l'expérience des ONG : la
réponse à la situation d'urgence fut donc chaotique, sans
véritable identifiication préalable des besoins. Les faiblesses
de la coordination se traduisirent par une duplication des activités et
par une forte variation en matière de couverture de l'assistance ce qui
va à l'encontre du principe d'équité régissant
l'aide humanitaire, ce qui est aussi un principe d'action du HCR. Les
conséquences de cette mauvaise coordination furent pourtant moins graves
qu'elles n'auraient pu l'être, en particulier si la crise avait
duré.
Le HCR fut par conséquent très critiqué,
en tant qu'agence chef de file, pour ses déficiences en matière
de coordination. L'environnement à dominante bilatérale ainsi que
la multiplicité des acteurs ne sont pas pour autant les seuls
responsables, le HCR ayant ses propres faiblesses liées en partie au
manque de personnel et au rôle mineur qu'il joua dans l'assistance.
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