La formation à la prévention des risques professionnels dans un système complexe : le lien entre perception, prescription et représentation pour agir( Télécharger le fichier original )par Céline ZIMMERMANN Université Pierre mendès France - MASTER 2 Formation Emploi Compétence 2008 |
Comme l'indique Leplat,15(*)l'activité demande la mobilisation de ressources et implique par conséquent une charge qui est plus ou moins ressentie par l'opérateur. Ce dernier va donc régler son activité de façon à ce que celle-ci ne dépasse pas un seuil de charge acceptable, selon différents moyens : développer ses compétences ou transformer les conditions de la réalisation de la tâche comme des raccourcis dans l'exécution.La charge mentale dépend des exigences du travail mais aussi de la capacité du sujet à répondre à ces exigences. Elle dépend donc également de la manière dont ces capacités sont mises en oeuvre. Le choix des modes opératoires sont, dans notre cas, principalement négociés collectivement dans le cadre de réunions préalables à l'intervention de travail ( plan de prévention, pré job briefing, levée des préalables...) et basés sur des analyses de risques réalisées en amont. Par ailleurs, la précision des gammes opératoires peut réduire la charge mentale car le but n'est pas conditionné par la possibilité des méthodes différentes pour le réaliser. 1-3-2 Les Systèmes de Management de la Sécurité ( SMS) 1-3-2-1 La prise en compte des facteurs organisationnels dans la gestion des risques Comme nous l'avons vu, les défaillances techniques ou dues à l'erreur humaine ne sont pas les seuls facteurs du phénomène accidentel. Depuis les catastrophes de Three Miles Island (1979), Tchernobyl (1986) ou Challenger (1988), une approche plus globale de la sécurité a été engagée par la prise en compte de la dimension organisationnelle qui peut également conduire à l'accident. Cette gestion de la sécurité sera ainsi introduite dans un contexte législatif par diverses dispositions dont une des plus significatives concernent l'ensemble des installations dites «dangereuses» via la directive Seveso II de 1996 (article 9) qui impose la mise en place d'un système de gestion de la sécurité pour toutes les entreprises entrant dans le champ d'application de ce texte. Quelques années plus tôt, la loi du 31 décembre 1991 avait déjà rendu obligatoire, pour toutes les entreprises, l'évaluation des risques professionnels liés à leurs activités et la mise en oeuvre d'une démarche globale de prévention (article L.230-2 du Code du Travail). Les aspects organisationnels de la sécurité (formation, organisation du travail dans l'entreprise, relations avec les entreprises extérieures, etc.) s'imposent désormais comme un des principes de management incontournables de la Santé Sécurité au Travail (SST). Compatible avec les certifications ISO 9001 et environnement ISO 14001, l'OHSAS 18001 est le référentiel SMS le plus répandu. Cette norme donne pour objectif le renforcement du management des risques associés aux activités de l'entreprise relatif à la santé et à la sécurité au travail. Elle comprend l'organisation, les activités de planification, les responsabilités, les pratiques, les procédures, les processus et les moyens nécessaires pour développer, mettre en oeuvre, réaliser, revoir et tenir à jour la politique de l'organisme en matière de SST. L'adoption d'un tel système démontre la volonté de passer à une gestion traditionnelle de la sécurité (démarche réactive) vers un régime proactif de la sécurité afin de pouvoir anticiper les problèmes de sécurité et leurs conséquences. Il s'agit d'avoir une gestion a priori des risques. Par ailleurs, la mise en oeuvre d'un SMS suppose généralement la formalisation d'un système documentaire fourni de procédures, instructions, spécifications, enregistrements, programmes etc. La plupart des exigences du référentiel OHSAS 18001 tombent par exemple dans le cadre d'une procédure que l'entreprise doit rédiger. Cependant, il recommande de maintenir la documentation au niveau minimal pour permettre une mise en oeuvre du dispositif efficace et efficiente. 1-3-2-2 Une gestion participative des risques ..... . . 1-4 La formation à la prévention des risques 1-4-1 Objectifs et caractéristiques principalesEn France, la réglementation en matière de prévention des risques professionnels est importante. La protection du travailleur passe par l'information continue (orale et visuelle) et la réalisation d'actions de formation le plus souvent sorties de leur contexte. Cet aspect est lié au respect minimal des obligations qui fixent effectivement un cadre d'intervention ou d'animation sans pour autant préciser la nécessité d'une approche préalable du terrain afin de décliner les objectifs spécifiques. Un engagement de renouvellement des actions16(*) est souvent prescrit dans des temps préétablis ou laissé à la discrétion de l'employeur, dans les hypothèses de changements organisationnels ou techniques. L'imputabilité des actions de prévention est conditionnée par des accords paritaires issus des branches professionnelles. Ces négociations aboutissent où non aux financements des formations. Certaines branches refusent le financement d'actions rendues obligatoires par les textes réglementaires. Face à une obligation légale de contribution des entreprises à la formation professionnelle qui se situe à 1.5 % de la masse salariale, certains secteurs d'activité évoluent entre 4 et 7 %. Cet engagement supplémentaire représente la traduction réglementaire des obligations de formation à la prévention des risques professionnels dans certains secteurs comme le nucléaire ou la chimie. Les formations à la prévention des risques professionnels ont des contenus centrés sur les dangers et les règles de sécurité efficaces pour gérer les risques. Cependant, nous rejoignons Vidal Gomel17(*) lorsqu'elle précise que d'autres moyens sont mis en oeuvre par les opérateurs pour gérer les risques comme les savoirs faire de prudence transmis par la communauté de métiers, sur lesquels nous reviendrons plus loin. Aujourd'hui, plusieurs dispositifs de formation sont envisageables et pratiqués. Des mises en situation sont proposées aux opérateurs, et les formations peuvent prendre appui sur les communautés professionnelles par des débats organisés au sein de la communauté de travail avec comme support un film de l'activité. A titre d'exemple, Mhamdi et Ouni18(*) se sont intéressés à une pratique mise en oeuvre sur certaines Unités de Production Nucléaire. Une opération difficile est filmée en situation réelle. Le film est ensuite projeté à un groupe d'opérateurs en présence des managers et donne lieu à des échanges entre les professionnels présents. Cette méthode intitulée ARCAV favorise la prise de conscience des spécificités de chacun, à travers ses expériences personnelles. Le travail devient un objet de réflexion et d'analyse. Selon eux, les ARCAV permettent une construction collective «de pratiques, de savoir-faire, de savoir-faire de prudence» en favorisant la transformation de la représentation des participants. Dans ce cadre, la vidéo joue un rôle médiateur entre les agents, entre leurs expériences respectives. Cet outil de «mise à distance» de l'activité de travail favorise l'explicitation de l'activité, la discussion et la production de représentations partagées. Ces méthodes n'excluent pas les formations technico-règlementaires et les complètent : connaître les règles de sécurité est une nécessité ainsi qu'une obligation légale. De plus, ces règles de sécurité sont les premiers « instruments » pouvant s'adresser à des opérateurs novices. Ce rôle actif des opérateurs dans cette gestion de la sécurité constitue une rupture avec une vision de l'opérateur comme appliquant des règles de sécurité et conforte l'idée selon laquelle l'aspect participatif de la maîtrise des risques constitue une des clés de la réussite de la prévention des risques. Dans le domaine de la formation et des habilitations du personnel, chaque site de production nucléaire met en oeuvre son propre système de développement des compétences. Le rôle du management est renforcé dans cette gestion en vue d'assurer la pérennité des compétences sensibles lors du départ massif à la retraite des agents dès 2008. Depuis 2004, chaque centrale dispose pour la formation des équipes de conduite de simulateurs pleine échelle susceptibles d'intéresser d'autres métiers comme le service Automatisme et Essais. Quand l'apprentissage pratique ne peut pas s'effectuer «sur le tas» pour des questions de sécurité ou de coût, ces simulateurs se substituent au réel. On apprend la pratique par la pratique, en imitant et en reproduisant. Une autre approche est celle de l'apprentissage par résolution de problème : quand un opérateur rencontre une situation pour laquelle il ne connaît pas la procédure qui permet d'atteindre la solution à coup sûr, il doit en faire un diagnostic pour pouvoir ajuster son action à la situation. Son apprentissage consiste alors à inventer une solution, une méthode à partir de ses connaissances. Nos différents échanges avec les formateurs ont pu révéler une difficulté à mesurer l'impact de leurs animations. La métaphore est d'un usage courant et l'utilisation de l'anecdote donne du poids aux apports des formateurs en illustrant le savoir, notamment en réalisant un parallèle avec la vie quotidienne. Le personnel administratif, par exemple, ne perçoit souvent pas le danger puisque leur environnement de travail se rapproche de celui du domaine privé. L'objectif est de leur donner la possibilité d'avoir un oeil critique de la situation pour ne pas « tomber dans la banalité » en encourageant l'auto questionnement. Dans ce cadre, l'animateur interpelle les stagiaires sur des situations « à risques » présentes dans leur vie privée ( bricolage, nettoyage...). En effet, les accidents ne sont souvent pas la où on les attend. Or, le même produit chimique peut être utilisé autant à la maison qu'au travail, les conditions de rangement de l'atelier du domicile se rapprochent de celles qui concernent le repli d'un chantier. Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que les accidents de la vie courante dépassent largement ceux qui concernent le travail. Si l'on considère les accidents ayant nécessité des soins à l'hôpital ou ailleurs, 72 % sont des accidents de la vie courante, 24 % des accidents de travail et 4 % sont des accidents de la circulation19(*). Pour notre part, nous considérons que la conception d'une action de formation doit prendre en compte la situation de travail de l'individu évoluant dans un environnement donné. 1-4-2 Une méthode de conception pour le développement des compétences : l'approche ergonomique Pastré et Samurcay 20(*) distinguent deux modalités principales d'interaction entre l'ergonomie et la formation dont le noyau commun est l'analyse du travail : § La formation est un moyen d'action pour l'ergonomie (formation qui accompagne les changements technologique et organisationnels qui nécessitent le développement de compétences nouvelles) § L'analyse du travail est un outil pour la formation (construction de référentiel, de contenu de formation continue) Parallèlement, ils identifient trois grands types de situations favorisant le développement des compétences : 1) l'exercice direct de l'activité comme dans le cadre de l'apprentissage « sur le tas » ou du compagnonnage, 2) l'alternance, c'est à dire par juxtaposition de formations théoriques et pratiques, 3) l'utilisation de situations de travail transposées à des fins didactiques, dont les formations sur simulateurs. 1-4-2-1 Le développement des compétences et la conceptualisationLes auteurs définissent les compétences comme «un ensemble organisé de représentations (conceptuelles, sociales et organisationnelles) et d'organisateurs d'activité (schèmes, procédures, raisonnements, prise de décision, coordination) disponibles en vue de la réalisation d'un but ou de l'exécution d'une tâche.». Ils posent alors les hypothèses suivantes : «1) les compétences sont relatives à des situations et classes de situations, et 2) le développement des compétences est le produit d'un double processus : apport de connaissances opérationnelles socialisées et/ou antérieurement constituées et construction de compétences par l'activité propre du sujet.» Dans la lignée de Vergnaud ( 1990) qui postule qu'il existe, pour réaliser l'action, des concepts qui autorisent le prélèvement d'informations appropriées à la situation, nous adhérons au modèle dynamique de développement des compétences décliné en plusieurs plans par les auteurs : 1) Les compétences commencent à se construire autour des situations «modèles» où la conceptualisation est presque confondue avec les règles d'action. 2) Elles continuent à se développer par la construction des classes de situations avec des schèmes s'organisant à l'aide de concepts pragmatiques et qui servent alors comme bases d'organisateurs d'activité incluant des critères de choix d'actions adaptées à la situation. 3) La prise de distance avec les situations concrètes, les représentations circonstancielles et le répertoire d'actions : on sait faire et on comprend pourquoi on ne fait pas autrement. 4) l'opérateur peut faire face à des situations imprévues ou très rares. Selon eux, la notion de conceptualisation renvoie à un réseau de concepts pour organiser et coordonner l'action. Le développement des compétences consiste à conceptualiser des situations, en transformant certaines connaissances acquises en des organisateurs de l'activité. En renforçant la construction des invariants de l'action à des niveaux supérieurs, la conceptualisation permet au sujet de construire des classes de situations de plus en plus riches et ainsi de traiter la variabilité des situations. Pour cela, Vidal Gomel21(*)avance que pour identifier des compétences critiques, c'est-à-dire ce qui caractérise l'expertise de l'opérateur, il y a nécessairement une analyse du travail préalable. L'analyse de la tâche est tributaire de celle de l'environnement. Elle ne retient pas seulement les savoirs techniques, mais également les connaissances sur l'organisation du travail. Il convient d'identifier les savoirs de référence c'est-à-dire les invariants situationnels et conceptuels inscrits dans une activité organisée22(*). A ce titre, Vergnaud (2007) indique «qu'un champ professionnel, nourri d'une variété de situations, peut être transformé, au moins partiellement, en champ conceptuel, c'est-à-dire en un ensemble organisé de concepts, objets et relations, qui transforment cette variété en un système de variations coordonnées.». Pour ce faire, il incite à une analyse macroscopique, que nous avons réalisé pour ce qui concerne la caractérisation des écarts, pour étudier ensuite les aspects plus spécifiques d'une activité et de ses situations variées. Pastré et Samurcay23(*) distinguent trois moments d'apprentissage en référence aux activités professionnelles : avant, pendant et après l'activité. Cette dernière phase de débriefing (instaurant des mécanismes de prise de conscience) apparaît être comme la plus importante au sens de Vygotsky et la théorie sur la zone proximale de développement qui montre l'écart positif entre les capacités d'un sujet pouvant s'appuyer sur autrui et sur ses capacités autonomes de conceptualisation. Par l'intermédiaire du formateur, Il doit pouvoir, dans ce cadre, se remettre dans le contexte de l'action et se distancer de celle-ci. 1-4-2-2 L'activité de simulation La didactique professionnelle est l'analyse du travail en vue de la formation professionnelle. On utilise les situations de travail comme instrument d'apprentissage par l'intermédiaire de simulation. Il s'agit de pouvoir choisir les situations cibles du développement des compétences pour les convertir en situations de simulation.. Selon Rogalski et Samurcay24(*), ces classes de situation de travail doivent être «transposées» dans des contextes de simulation, en les décomposant pour cheminer vers un apprentissage progressif. Il s'agit soit de n'aborder qu'un sous système, soit de se concentrer uniquement sur certaines dimensions des situations de référence (les tâches, les rôles des acteurs...), ou de se focaliser sur une dimension particulière de la relation Sujet / Situation, dans le cadre de multi activités ou d'interférences dans la situation de travail. Ils complètent ces critères en rappelant Pastré (1997) et les bonnes conditions permettant une transposition pertinente vers l'activité de simulation : une sélection appropriée des traits de la tâche et de l'activité, leurs degrés élevés de réalisme, une possible modulation de la réalité. Ainsi, la situation d'apprentissage donnera la possibilité de « rejouer » la situation, de se tromper, d'analyser les erreurs, de ralentir la situation, de créer des situations inhabituelles, de construire des paliers d'apprentissage, d'apprendre par résolution de problème ou s'entraîner pour développer des habiletés. Elle présente des similitudes avec la situation réelle car l'aspect temporel et le contexte de l'activité sont respectés, et renvoie à une multiplicité de situations à niveau de stress variable. En décomposant le réel, la simulation permet alors un apprentissage progressif. Elle offre la possibilité de réaliser des « actes risqués », et de tester ses limites (au sens du compromis cognitif d'Amalberti) ce qui est impossible en situation réelle particulièrement dans les systèmes dynamiques et complexes. La capacité de réversibilité jouera pleinement son rôle dans un contexte où le conflit entre l'apprentissage et la production n'existe pas. Il parait alors essentiel que la conception de situations de formation comportant des risques professionnels doit prendre en compte la compétence du formateur de pouvoir identifier un risque à temps pour la mise en oeuvre d'une activité de récupération par exemple. Après avoir présenter les principaux auteurs sur lesquels nous nous appuierons pour une partie de notre étude, la seconde partie du document aura pour objet d'éclairer le lecteur sur les principales caractéristiques du contexte ainsi que les points d'ancrage pertinents que nous avons choisis pour nourrir notre réflexion. * 15 Leplat, J. (1997). Regards sur l'activité de travail : Contribution à la psychologie ergonomique. Paris : Presses Universitaires de France. * 16 On utilise souvent le terme de « recyclage », terme qui concerne communément les objets * 17 Vidal-Gomel, C. (2002). Systèmes d'instruments des opérateurs. Un point de vue pour analyser le rapport aux règles de sécurité. Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé, 4(2) * 18 Mhamdi, A., Ouni, R. (2001). Apports et contraintes des technologies de l'information sur les activités : le cas du travail en temps partagé et des ARCAV. [version électronique]. Comptes rendus du congrès SELF-ACE, 2, 1-7. * 19 Cepr.tm.fr /fr /risqdome/index.htm * 20 Samurçay, R., Pastré P. (1998). L'ergonomie et la Didactique, L'émergence d'un nouveau champ de recherche : Didactique professionnelle. Actes du colloque «Recherche et Ergonomie», 119-127. * 21 Ibid 16 * 22 Nous reviendrons plus tard sur ce point * 23 Ibid 24 * 24 Samurcay, R., Rogalski, J. (1998). Exploitation didactique des situations de simulations Travail Humain, 61(4), 333-359. |
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