3.2.4 La ville, lieu de
ségrégation raciale
L'espace lié à la grande ville dans La rue
Cases-Nègres se réfère à Fort-de-France. C'est
le lieu où se côtoient des milliers d'individus de toute race,
âge, profession ou condition. Elle cumule un double statut surtout dans
le roman plus que dans le film : Fort-de-France reste
définitivement le lieu de référence malgré tous les
conflits raciaux et toutes sortes d'humiliation dont les Nègres sont
victimes.
Tout d'abord, les personnages de couleur que Zobel crée
pour son roman occupent tous, sans exception aucune, non pas des places de
subalternes mais plutôt des postes humiliants : bonnes, plantons,
lavandières, etc. Le roman décrit ainsi les travailleurs du
port :
« débardeurs manipulant avec une
étonnante rapidité les lourdes caisses, les sacs massifs, les
énormes tonneaux que les gabarres mues au moyen de vergues, venaient de
décharger sur le rivage [...] et dans cette rade où il n'y
avait pas un quai, pas une grue, c'étaient ces Nègres
herculéens, vêtus de pagnes de sac ou d'une vieille culotte
ruisselants et fumants de sueur, qui, par leur seule ardeur, engendraient ces
bruits, effectuaient ce travail, dégageaient ce souffle chaud,
déclenchaient cette trépidation titanesque, communiquant à
tout le quartier une rumeur mécanique entretenue par des pulsations de
coeurs humains » (LRCN, pp. 190-191).
Le film, on l'aura vu, ne montre pas les débardeurs
acharnés au travail tel que le décrit le roman lorsque la
caméra fait un plan d'ensemble sur le quai. Seul un colporteur de
journaux est filmé entrain de vanter, à haute voix, les articles
à la une dans ses journaux. Ce marchant ambulant n'est même pas
évoqué dans le roman. Et là, le film met en scène
ce qui n'est même pas suggéré dans le roman.
Par contre, le film plus que le roman, fait ressortir la
richesse des békés, renforçant ainsi dans le récit
la vision manichéenne déjà abordée par Zobel. D'un
côté, il y a des Noirs et tout ce qui est lié à leur
champ sémantique : misère, chômage, prostitution, vol,
etc. et les Blancs de l'autre côté, avec les belles villas, les
belles voitures, des postes bien rémunérés... Ce n'est pas
pour rien que l'intervention de la jeune femme criant au voleur a
été portée sur écran, alors que, en soi, il
n'était pas susceptible d'offrir un beau spectacle à voir. A en
croire cette femme, un Nègre donnerait tout ce qu'il possède pour
devenir Blanc.
José demeure toujours dans un monde manichéen et
il en souffre jusqu'à la mort de sa grand-mère. Il est
intéressant d'observer combien la mort de M'man Tine ne renforce pas la
tendance manichéenne qui imprègne son quotidien. Son intuition
est, dans le texte romanesque, nuancée par le fait que :
« ... les habitants du pays se divisent bien en
trois catégories : Nègres, Mulâtres, Blancs ; que
les premiers sont dépréciés, tels des fruits sauvages
savoureux, mais se passant trop volontiers de soins ; les seconds pouvant
être considérés comme des espèces obtenues par
greffage ; et les autres, bien qu'ignares ou incultes en majeure partie,
constituant l'espèce rare, précieuse » LRCN, pp.
202-203).
En somme, l'espace lié à la grande ville,
à Fort-de-France dans le roman comme dans le film, apparaît
à la fois comme un lieu de départ et de destination de toute
action. Rien ne peut s'accomplir sans l'intervention de cette ville bien qu'
« immonde ».
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