3.2.3 L'école, lieu de
désillusion
Dans le film, l'activité scolaire avait
déjà commencé à la quatrième
séquence, lorsque José corrigeait l'alphabet de Carmen.
Cependant, on peut affirmer sans risque de se tromper que cette intervention
précoce de l'école découle d'une erreur de montage, car il
serait insensé que José enseigne à quelqu'un l'alphabet
qu'il ne connaît pas encore lui-même. L'école proprement
dite commence avec le deuxième acte comme dans le roman.
D'une manière générale, le film revient
sur le bien-fondé de l'éducation :
« Sans le certificat d'études, nous
tomberions tous dans les petites-bandes et tous les sacrifices de nos parents
auraient été vains » (LRCN, p. 156).
Ces paroles de M. Roc, reprises par José, font
écho à la vie personnelle des jeunes en milieu
défavorisé. Quand il reçoit son éducation, il
apprend les différences entre sa culture et celle qu'on lui enseigne
à l'école. L'étude des pièces de Molière, de
Corneille, de Racine, classiques de la littérature française au
programme, aussi bien dans le roman que dans le film, ne correspond pas
à la réalité de José : ces pièces n'ont
pas été revues, ni adaptées à son milieu. Ces
textes dont dépend pourtant sa réussite, mettent en position
supérieure la culture française, tout en lui
révélant le monde extérieur, un monde extrêmement
aisé, contrairement à sa prison insulaire où il n'avait
côtoyé que misère et humiliation.
Zobel poursuit son analyse en insistant sur l'éducation
coloniale qui porte la lourde responsabilité d'inculquer et de
générer ces ambiguïtés verbales chez les jeunes
écoliers. Le roman, et non le film, montre comment, avec un changement
de repère, ce milieu scolaire pousse José à prendre
conscience de sa classe sociale mais aussi de son appartenance raciale. Il est
aussi ironique de constater que c'est à l'école, lieu de
promotion, qu'il devient conscient de sa mise en infériorité.
C'est pendant sa scolarisation qu'il apprend qu'il est différent des
autres étudiants : « personne ne me ressemble [...] je
suis le seul de mon espèce » (LRCN, p. 171). Il en vient
à avoir honte de lui-même et des siens, tout comme Adam et Eve,
une fois chassés du paradis, avaient honte de leurs corps.
Là où le texte littéraire décrit
le protagoniste désillusionné, le film opère une sorte de
nuance et le spectateur a l'impression de voir le contraire. Une scène
de film est particulièrement éloquente : José se
rebelle contre son professeur qui l'avait accusé de plagiat et celui-ci
se rend chez son élève pour demander pardon et reconnaître
sa faute pour l'avoir chargé d'allégations dépourvues de
tout fondement. Le lecteur du roman qui voit le film peut, à juste
titre, supposer qu'il a mal compris, soit le roman, soit le film. Dans le
roman, nous avons un José tout le temps humilié mais, dans le
film, le même José devient un garçon très sûr
de lui-même, voire fier de sa condition de petit-fils de
« cultivatrice ».
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