3.2.1 Hiérarchie
topographique de La rue Cases-Nègres
Dans la première partie du roman, le récit se
déroule au Petit-Morne (à la rue Cases), dont la topographie
spatiale est disposée selon une configuration triangulaire, le
Petit-Morne reflétant la structure pyramidale du régime de
plantation (LRCN, p.17). La typologie hiérarchique est
déjà précisée par le narrateur :
« La rue Cases-Nègres se compose d'environ
trois douzaines de baraques en bois couvertes en tôles ondulées et
alignées à intervalles réguliers, au flanc d'une colline.
Au sommet, trône, coiffée de tuiles, la maison du géreur,
dont la femme tient boutique. Entre la « maison » et la rue
Cases, la maisonnette de l'économe, le parc à mulets, le
dépôt d'engrais. Au dessous de la rue Cases et tout autour, des
champs de cannes, immenses, au bout desquels apparaît l'usine. Le tout
s'appelle ici Petit-Morne »(LRCN, p. 17)
Cette description permet de donner des détails certes
difficiles à porter sur écran, mais on se rend compte que la
caméra, sans s'écarter radicalement du texte romanesque,
tâtonne quant à la différenciation de la
« maison » et de autres baraques avoisinantes. D'ailleurs
aucune maison, parmi celles montrées par la caméra, n'est
couverte de tuiles.
Quoique l'esclavage soit aboli depuis 1848, Zobel nous
présente un univers où le travail agricole s'inscrit dans un
système économique à base servile. Au début du
roman, l'enfant a une vision idyllique des champs de cannes. Sa perspective
d'enfant nous offre un regard innocent et parfois bucolique sur les
travailleurs et les travailleuses agricoles. Cette vision idyllique de
José fait place à une vision tragique de l'existence de ses
mêmes travailleurs, par suite des expériences q'il a
vécues. Comme c'est difficile à porter sur écran, l'image
des champs de cannes ne change pas dans le film.
Dans le roman, la technique de la juxtaposition apparaît
dès le début : l'enfant s'étourdit dans la
description d'une journée de bonheur (LRCN, pp. 9-17) et d'une
journée de malheur (LRCN, pp. 17-39). Et encore nous avoue-t-il que
l'une est une occasion rare tandis que l'autre résume plutôt
l'existence quotidienne. Dans le film, cette précision est rendue par la
voix off de José sur laquelle s'ouvre le premier acte.
La juxtaposition de l'image du paradis tropical et de celle de
l'enfer des plantations témoigne de la logique binaire qui règle
les conduites et les relations sociales. Le glissement d'une image
« paradisiaque » de l'île à une image
« infernale » invite le lecteur à prendre conscience
des passions économiques et des expressions diverses des travailleurs
agricoles devant la souffrance. Ce glissement se veut vraisemblable, naturel,
d'autant plus qu'il coïncide avec le développement du protagoniste,
José Hassam, à travers ses diverses expériences de la vie.
La juxtaposition entre le narrateur adulte et l'enfant-personnage n'est pas
accentuée dans le roman afin de renforcer la liaison entre le
protagoniste et le lecteur. Zobel crée cette liaison afin de
développer sa présentation de l'île d'une manière
qui ne choque pas le lecteur, à en juger par la première
description du roman :
« il y a de grands arbres, des huppes de cocotiers,
des allées de palmiers, une rivière musant dans l'herbe d'une
savane. Tout cela est beau » (LRNC, p. 17).
On comprend très vite qu'il s'agit là d'un
regard naïf et innocent. Dans le film, ni ces arbres, ni ces huppes de
cocotiers, ni ces allées de palmiers, rien de tout cela n'est visible.
Seule la rivière muse dans l'herbe d'une savane.
La symbolique du soleil nous fournit aussi un cas
intéressant :
« Je pense que le soleil est une excellente chose
parce qu'il conduit nos parents au travail et nous laisse jouer en toute
liberté » (LRCN, p.13).
Pour les enfants, l'absence des adultes en vient à
signifier la liberté (LRCN, p. 39). Les relations de pouvoir que vivent
les parents trouvent leurs expressions, tantôt positives tantôt
négatives, dans leurs relations avec leurs enfants. La peur des grandes
personnes est certes beaucoup plus avouée dans le roman. Quelques
séquences du film y font explicitement allusion : lorsque
José avait barré le chemin à ses camarades qui voulaient
entrer dans la maison de M'man Tine, il a suffi que l'on aperçoive
l'économe pour que tout le monde se faufile à l'intérieur
de la maison, avec le consentement de José qui, lui aussi, avait pris
peur.
En somme, trois lieux méritent une attention
particulière, du fait qu'ils remplissent un rôle de
décor-héros dans La rue Cases-Nègres. Ces lieux
sont les champs de cannes, l'école et la ville.
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