CHAPITRE II :
LES PERSONNAGES
2.1 La consistance et l'itinéraire des
personnages principaux
Comme nous l'avons vu le personnage occupe incontestablement
une place prépondérante dans n'importe quel récit. Dans
La rue Cases-Nègres de Zobel, les personnages sont bien plus
nombreux que dans le film de Palcy, qui a quelque peu simplifié
l'intrigue. Le film fait un tri parmi les personnages présentés
par le roman et semble privilégier les adultes, alors que le roman met
une emphase sur le monde des enfants. Ainsi, de tous les compagnons de
José tant à la rue Cases qu'à la Cour Fusil ou au
lycée Schoelcher, Palcy n'évoque que ceux qui avaient une
affinité très marquée avec le personnage principal. Dans
le livre, Zobel accorde une place beaucoup plus importante à ses
compagnons de bas- âge, « son plus émouvant souvenir
d'enfance ». D'autre part, les personnages n'ont pas toujours la
même psychologie. Ainsi, certains semblent plus humains, plus
émotionnels ou plus fragiles dans le roman que dans le film ou vice
versa. Nous allons essayer d'entrer dans leur fort intérieur pour
découvrir la force qui les anime.
2.1.1 José : approche
socio-historique
Personnage principal, José est omniprésent aussi
bien dans le roman que dans le film. Tout le récit est écrit
à la première personne et le narrateur n'est autre que le
personnage principal. Cependant, aucune description minutieuse qui pourrait se
comparer à un gros plan n'existe dans le roman, d'où certaines
spéculations sur sa morphologie. Cependant, on sait que c'est un
garçon de cinq ans au début du récit, et de dix-sept
à la fin (cf. la référence temporelle : LRCN, p.204).
L'idée générale qu'on se fait sur le personnage du
José du roman c'est qu'il est un garçon beau, intelligent,
bavard, qui grandit de l'enfance à l'adolescence (de cinq à
dix-sept ans).
Dans le film, ce personnage est interprété par
un garçon de onze ans et qui ne grandit pas, ce qui diminue l'effet du
temps qui s'écoule, un thème pourtant très prisé
dans le roman. Ce manque de croissance du personnage principal ôte un
caractère autobiographique à l'oeuvre filmique, tandis que dans
le roman beaucoup d'indices conduisent sur le terrain de l'autobiographie
surtout dans la première édition de La rue
Cases-Nègres, celle sortie en 1950. Elle met l'emphase sur la vie
de l'auteur et sur celle des siens. Les éléments paratextuels
renforcent les liens entre l'auteur, le narrateur et le personnage comme
l'atteste la dédicace :
A MA MERE,
Domestique chez les Blancs.
A MA GRAND'MERE,
Travailleuse de plantation,
Et qui ne sait lire. (LRCN, 1950)
Les allusions généalogiques à la
lignée maternelle de l'auteur correspondent de façon allusive
à celle du protagoniste José dans le récit. Outre les
éléments paratextuels, un certain nombre de rapprochements entre
le contexte et le texte, entre le vécu de l'auteur et celui du
protagoniste dans La rue Cases-Nègres sont à
considérer. D'abord, les repères spatio-temporels à la fin
du texte, « Fontainebleau, le 17 juin 1950 (LRCN 240) » se
rapporteraient non au temps de l'histoire mais au temps de l'écriture.
Ces indications temporelles jurent avec l'ancrage temporel du récit qui
relate une enfance de l'entre-deux-guerres. Dans le récit, le
système de plantation, même en voie de transition, demeure
toujours intact. Si on considère la chronologie de l'auteur (né
en 1915), l'ancrage spatio-temporel de l'histoire de José correspond au
pan de vie de l'auteur. La proximité des prénoms, Joseph (auteur)
/ José (protagoniste) ainsi que l'expérience rurale dans cet
univers de plantation ajoutent un autre élément à la
relation autobiographique. Somme toute, la première édition
invite à une lecture autobiographique de La rue
Cases-Nègres. Par ailleurs, le changement du nom du Lycée
Thoraille à Rivière-Salée en celui de Lycée
Joseph Zobel en dit long à ce propos.
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