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Le refus de la linéarité dans l'adaptation cinématographique de la Rue Cases-Nègre de Joseph Zobel

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par Théophile Muhire
Université Natinale du Rwanda - Licence en Lettres 2004
  

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1.2.3 Différence des temps forts

L'analyse comparée d'un roman et de sa mise en scène cinématographique ne peut se faire sans se baser sur la distribution des temps forts et des pauses. Si le roman et son adaptation filmique ont en commun la narrativité et l'énonciation, l'organisation et la structure, ils peuvent rester irréductibles quant à l'agencement de leurs diégèses.

Certes, dans le passage de La rue Cases-Nègres à Rue Cases-Nègres, quelque chose se retrouve : le thème principal. Ces deux récits retracent le parcours de José Hassam, petit-fils d'une travailleuse agricole qui se sacrifie corps et âme pour qu'il puisse fréquenter l'école et améliorer son niveau de vie. Le protagoniste José appartient à la classe la plus défavorisée de la société martiniquaise d'antan, celle des ouvriers agricoles démunis et dévalorisés par le système de plantation. Cependant, le fil conducteur change du roman au film. Il n'y a pas davantage d'équivalence, en dépit de la persistance de cette idée, entre le plan et le mot, la séquence et le paragraphe, le panoramique ou le travelling et tel passage descriptif. Il est vrai que le film s'est construit à partir de ces petites unités que sont les plans et qui, réunis, donnent des séquences de Rue Cases-Nègres. Et un regard rapide peut voir là quelques analogies avec les mots, phrases et paragraphes de La rue Cases-Nègres. Nous allons en examiner les convergences et les divergences à l'aide du tableau suivant :

Roman

Film

Il commence sur la description de la vie à la rue Cases « Quand la journée avait été sans incident ni malheur, le soir arrivait, souriant de tendresse » (LRCN31(*), p. 9). Cette description correspond à la situation initiale de l'histoire. Cette description s'étend jusqu'à la page 16.

Le film s'ouvre sur un avertissement selon lequel, il est strictement réservé à l'usage privé. L'exposition nous montre un enchaînement de photos fixes en plan d'ensemble qui se succèdent en fondu, faisant ressortir un contraste très remarquable entre les cases des nègres, les maisons des mulâtres et les grands domaines des békés. Une voix off de José nous donne des indications temporelles, de la situation initiale du récit : « C'était les vacances. Tous les enfants de la rue Cases-Nègres attendaient avec impatience que leurs parents partent travailler dans les cannes pour qu'ils seraient [sic] libres toute la journée ». L'exposition est entièrement ponctuée d' une musique instrumentale. Cette partie dure deux minutes et quarante-cinq secondes.

Le départ de ceux qui vont travailler dans les champs constitue le noeud du récit. Les premiers jeux des enfants sont décrits à la page 17 : « En attendant que la bande soit au complet, nous nous amusons sur place, et nos cris et nos rires battent le rappel de ceux qui manquent.»

Le combat du serpent et de la souris suit directement le départ des travailleurs agricoles vers les champs de cannes. Ce combat ne se trouve nulle part dans le roman. C'est une invention d'Euzhan Palcy et il n'est pas là par hasard. Il reflète celui auquel se livrent les nègres contre les békés (serpent). La mort de la souris présuppose la mort certaine des nègres de plantations tel Médouze et M'man Tine.

Les enfants se mettent à la recherche du sucre et cassent le bol dans lequel mange M'man Tine. (LRCN, p. 25)

Le metteur en scène a « donné cinématographiquement » l'idée du livre. L'adaptation réalisée correspond très bien à ce qui est narré à la page 25 de La rue Cases-Nègres.

Les recommandations de Tortilla à José : « Tu arracheras une poignée de cabouillat [...] tu laisses tomber le cabouillat derrière toi. » (LRCN, p. 29) sont administrées sous forme de dialogue. Elles seront exécutées à la page 32 : « Je laisse mollement tomber mes noeuds de cabouillat à mes pieds. »

Dans le film, cette recommandation est dictée par une voix off de Tortilla tandis que José s'exécute en même temps pour appliquer la leçon de sa « maîtresse ».

La première rencontre avec Médouze et sa description par José : « il est le plus vieux, le plus misérable, le plus abandonné de toute la plantation » (LRCN, P. 41) intervient lors des conversations avec ses compagnons. Les devinettes et les contes s'ensuivent (pp. 42-46). Il lui parle en même temps de la révolte d'esclaves et de leur pays d'origine : la Guinée.

Le portrait de Médouze a été « porté à l'écran ». Il est aisément repérable grâce à ses haillons et à sa barbe blanche. Mais il apparaît dans le film pour la première fois au moment de la paye. Ils échangent quelques devinettes mais pas de contes. Dans le film il y aura trois scènes distinctes où va intervenir Médouze : dans la première scène, il échange quelques devinettes avec José. Dans la deuxième, il lui donne une leçon sur les mystères de la vie (cette séquence ne se trouve pas dans le roman). Dans la troisième scène, il lui raconte l'histoire de son peuple qui a son origine en Afrique (dans le roman on parle de Guinée).

L'incendie qui a ravagé le domaine de Monsieur Saint-Louis est évoqué de la page 54 à la page 58. José sera puni par M'man Tine.

Cet incendie a été repris intégralement dans le film avec des modifications dans les dialogues de Gesner, Orélie et Tortilla qui laissent penser à une recréation artistique ou à un réarrangement de l'histoire. Dans le film, tous les enfants seront punis par Monsieur Saint-Louis.

La mort de Médouze est décrite de la page 71 à la fin de la première partie dont la scène se déroule à Petit-Morne. C'est José qui a signalé l'absence de Médouze mais il n'est pas parti à la recherche de son corps.

C'est également José qui a signalé l'absence de Médouze mais il ne va pas rester au village pour attendre le cadavre avec les femmes et les autres enfants. Il accompagnera les grandes personnes dans les plantations de cannes et c'est lui qui découvrira le corps de Médouze. Durant la soirée, les villageois vont danser en guise de deuil. Dans le roman, les danses ne sont même pas décrites.

La deuxième partie s'ouvre sur les premiers jours de classe de José. Il était enseigné par une maîtresse.

Dans le film, la voix off de José annonce le début du deuxième acte. Cependant, les activités scolaires apparaissent même avant la mort de Médouze, lorsque José enseignait l'alphabet à Carmen. De toute façon, à Petit-Bourg, l'enseignant est un homme et non une femme.

Par malchance, la cruche de maman Léonce s'écrase dans les mains de José qui s'échappe vers la brousse.

Délibérément, José jette une pierre sur la vaisselle de maman Léonce et s'échappe vers l'école pour reprendre la punition qu'il avait abandonnée devant la classe. Il y a dans le film toute une invention de faits qui ne figurent pas dans le roman.

Dans le roman, Jojo s'évade pour fuir la dureté de son père et de sa marâtre (Jojo avait marronné : LRCN, p. 154) pour se retrouver avec José à Fort-de-France après douze ans. On ne parle pas de la mort de son père.

Dans le film, Jojo s'appelle Léopold et son père mourra suite à une crise de rein causée par un coup de pied de son cheval. Une histoire inventée de toutes pièces par Euzhan Palcy. José va le retrouver à son retour au village, attaché derrière un cheval en guise de punition pour avoir refusé d'obéir aux ordres des békés.

José dut continuer à Fort-de-France parmi les dix lauréats du certificat d'études, « les autres ayant dépassés l'âge requis » (LRCN, p. 160)

Dans le film, on ne trouve que deux lauréats, un garçon et une fille. La fille dut rester parce que son père ne voulait pas la laisser partir loin de ses yeux.

La troisième partie est dominée par un nouveau personnage, M'man Délia, la mère de José. C'est elle qui va désormais se charger de tous ses besoins.

M'man Délia ne figure pas dans le film et c'est M'man Tine qui se charge de José jusqu'à la fin du récit. M'man Tine évoque le nom de Délia pour dire aux spectateurs que celle-ci était morte il y a longtemps. C'est M'man Tine qui prononcera la célèbre phrase de M'man Délia : « Ils ne savent pas quelle femme de combat je suis ! » (LRCN, p. 168).

Le personnage de Carmen apparaît pour la première fois à la page 197. Il sera décrit par José comme suit : « C'etait un jeune homme, tout juste plus âgé que moi et d'une gaieté irrésistible ».

Dès le début du film, José enseignait déjà l'alphabet à Carmen. En outre, Carmen est un garçon beaucoup plus âgé que José.

Jojo raconte sa mésaventure à José lors de leur rencontre à Fort-de-France.

Orélie raconte la mésaventure de Léopold à José vers la fin du film, lors de son retour à Petit-Morne et celui-ci court voir lui-même l'affaire : Léopold était attaché derrière un cheval en guise de punition pour n'avoir pas obéi aux ordres des békés. Les paysans qui avaient formé un cercle autour de la place de punition chantaient un chant de tristesse et de souffrance, une chanson à faire pleurer même les spectateurs.

Le professeur accuse José d'avoir plagié son « plus émouvant souvenir d'enfance » tandis qu'il balbutiait des phrases pour se défendre : « Je vous jure que je n'ai pas... » (p.209)

Dans le film, José se rebelle et sort de la classe en disant à haute voix qu'il n'a pas copié. Son professeur reconnaît l'innocence de José et ira même jusqu'à lui demander pardon devant sa grand-mère, et par la même occasion l'inviter à reprendre ses études.

José avait sensiblement grandi puisqu'une douzaine d'années séparent sa vie à Petit-Morne et celle à Fort-de-France. Et lorsqu'il s'en était retourné au village, on le « félicitait d'avoir grandi » (LRCN, p. 205)

Dans le film, José ne grandit pas. Il reste un garçon de onze ans.

A la mort de M'man Tine, José était resté à Fort-de-France et sa mère s'était rendue à Petit-Morne après qu'une voisine avait envoyé un télégramme annonçant la maladie grave de la grand-mère. José apprit ce qui s'était passé à la vue de sa mère « coiffée d'un madras noir à petites rayures blanches » (LRCN, p. 238)

Dans le film, c'est la petite Gesner qui annonce à José que M'man Tine « ne respire plus ». C'est cette étape qui culmine en émotions et constitue donc le climax du film. Les scènes qui suivent sont une détente qui va jusqu'à l'épilogue et la musique qui clôturent le film.

Le dénouement se présente comme une fin ouverte puisqu'il laisse un projet non-accompli, celui de José de se charger enfin des besoins de M'man Tine, en guise de gratitude.

Le dénouement se présente comme l'achèvement d'un cycle pour rendre le spectateur davantage sensible à la souffrance de la population de rue Cases. La mort de M'man Tine vient clôturer le cycle. Le projet de José, de se charger enfin de sa Grand-Mère avait été en partie réalisé puisque dans les séquences précédentes, il lui avait dit : « c'est fini : Amantine ne repasse plus, Amantine ne lave plus ! » La bourse d'études va suffire pour la satisfaction de leurs besoins. Le film se ferme sur José entrain de laver les pieds de sa défunte grand-mère en fondu enchaîné sur le paysage martiniquais.

L'épilogue du film se présente sous forme d'une voix off de José qui annonce : « Amantine est allée dans l'Afrique de Monsieur Médouze. Demain, je vais partir à Fort-de-France en emportant avec moi ma rue Cases-Nègres ».

1.3 Parties du roman susceptibles d'être portées sur écran qui ne l'ont

pas été

Evaluer la distance qui sépare les deux textes et juger du « respect » ou de la « trahison » du texte filmique par rapport au texte littéraire nécessite de travailler sur les structures profondes et non seulement sur les éléments superficiels. Outre le degré de parenté entre les titres, les contextes, les organisations et les narratologies, il fallait effectuer un inventaire des scènes supprimées ou condensées ainsi que des rajouts éventuels et des scènes dilatées et observer les conséquences de ces modifications. Nous n'allons pas inventorier toutes les scènes supprimées. Ici, nous allons essayer d'adapter deux passages qui nous ont semblé très remarquables de par le suspense qu'ils créent. Nous allons chaque fois tâcher de proposer notre découpage technique. Nous utiliseront la terminologie de Tudor32(*) en ce qui concerne le langage du découpage.

Le langage technique du découpage selon Eliad Tudor

LES PLANS

DESCRIPTION

CINEMA

TELEVISION

 

AMERICAIN

FRANÇAIS

 
 

1 Extreme close up (ECU)

Très gros plan (TGP)

Très gros plan (TGP)

Les yeux, la bouche, l'oreille...

2 Close up (CU)

Gros plan (GP)

Gros plan (GP)

Coupe personnage au noeud de cravate

3 Insert

Insert

Insert

GP d'un objet : cigarette, lunettes, photo...

4 Medium Close shot (MCS)

Plan américain (PA)

Plan rapproché taille (PRT)

Plan rapproché poitrine (PRP)

Coupe personnage au génou avec une partie du décor

Coupe personnage à la taille

Coupe personnage à la poitrine

5 Medium shot (MS)

Plan moyen (PM)

Plan moyen serré (PMS)

Plan américain large (PAL)

Plan américain (PA)

Plan américain serré (PAS)

Coupe personnage aux pieds

Coupe personnage au dessus du génou

Coupe personnage au dessus à mi-cuisse

Coupe personnage aux hanches

6 Medium long shot (MLS)

Plan d'ensemble (PE)

 

Personnage entier plus partie du décor

7 Full shot (FS)

Plan général (PG)

Plan général (PG)

Plan grand ensemlbe (PGE)

Plan ensemble (PE)

Plan demi ensemble (PDE)

Personnage dans le décor entier

Personnage dans l'ensemble d'un décor particulièrement vaste

Personnage dans une importante partie du décor

Personnage dans une partie du décor.

* 31 La rue Cases-Nègres

* 32 Tudor, E., Comment écrire et vendre son scénario, Paris, Henri Veyrier, 1980, p.127

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo