1.2.1 Différence
d'ensemble
La différence organisationnelle n'est pas très
remarquable dans ces deux récits, du moins pour l'oeil d'un spectateur /
lecteur ordinaire. Cependant, malgré toutes les ressemblances
observées dans la structure d'ensemble des deux récits, rien
n'empêche qu'on puisse déceler un bon nombre de divergences, pour
peu qu'on utilise son discernement.
Les trois parties du roman ont été reprises avec
une certaine différence par la cinéaste. Ces parties sont ainsi
réparties :
- Première partie : pp. 7-80
- Deuxième partie : pp. 80-164
- Troisième partie : pp. 165-240
La première partie correspond à l'enfance de
José lorsqu'il n'avait pas encore l'âge de commencer
l'école (sept ans). Il a pour compagnons Gesner, Romane, Tortilla et
Médouze. L'intrigue se déroule à la rue
Cases-Nègres et dans la plantation de cannes. La deuxième partie
se rapporte à la vie scolaire de José. Il étudie à
Petit-Bourg et vit avec M'man Tine à la Cour Fusil. Ses compagnons sont
notamment Jojo, Raphaël, Camille et Vireil. La troisième partie
commence avec le départ de José pour Fort-de-France. L'intrigue
se joue au lycée Schoelcher et aux quartiers
Sainte-Thérèse et Route Didier. Il vit avec sa mère M'man
Délia et ses compagnons sont Carmen, Jojo et Bussi.
Le film, lui, se présente sous forme d'un amalgame des
trois parties précédées d'un prologue et suivies d'un
épilogue. Le prologue n'est qu'un exposé des contrastes entre les
trois composantes de la population martiniquaise. Le premier acte du film
semble condenser les deux premières parties du roman. José
enseigne déjà l'alphabet à Carmen avant qu'il ne commence
l'école. A moins que la position de cette séquence ne
relève d'une erreur de montage, elle n'a pas de sens et ne fait que
brouiller la trame du récit. Au troisième acte du film,
José vit toujours avec sa grand-mère puisque sa mère ne
figure nulle part dans le film qui est finalement structuré,
agencé et découpé de manière tout à fait
différente, indépendamment du roman. La différence de
structure entre les deux récits, ainsi que le rapport nombre de pages /
durée du film seront développés au chapitre IV
entièrement consacré à l'analyse temporelle du film par
rapport au roman.
De manière générale, le film est moins
rigoureusement construit et répond à une logique quelque peu
différente de celle du roman. On constate que les
événements sont moins contrastés, les drames moins
violents, les joies moins intenses. Le film tend vers un nivellement, le roman,
au contraire, vers un écartement maximal de
l' « amplitude émotionnelle ». A ce sujet, on
ne peut pas comparer par exemple la tristesse, l'émotion, la tension, et
la révolte avec lesquelles José prononce ces phrases lorsqu'il
était au lycée Schoelcher ainsi que leur mise en
scène :
« personne ne me ressemble. Personne n'a d'ailleurs
fait attention à moi. Serais-je repoussant à ce point quant
à ma tenue ? » (LRCN, P. 171).
Dans le film, José est certes montré solitaire,
mais aucune trace de tristesse ne se lit sur son visage.
Inversement (mais rarement), certaines séquences
filmiques deviennent plus éloquentes que les pages du roman. Par exemple
la rencontre avec Médouze devient plus émotionnelle dans le film
que dans le roman, notamment lorsqu'il lui raconte la révolte des
« esclaves » contre les békés. Médouze
parle d'Afrique pour donner plus de force à l'idée de Zobel qui
parle plutôt de Guinée dans son livre. Le vieil homme joue
davantage un rôle de guide spirituel pour José et ses
interventions deviennent plus longues dans le film que dans le roman.
Sur le plan rythmique, la structure dramatique du roman
épouse exactement celle du déroulement narratif ;
c'est-à-dire que les bouleversements émotionnels se confondent
avec les pivots narratifs du roman (misère des nègres, travail
éreintant, solitude à l'école etc.). Les deux rythmes,
dramatique et narratif, se superposent parfaitement, ce qui rehaussent les
tensions. Le film, lui, joue davantage sur des effets de syncope, tout en
maintenant la tension (même amoindrie). Palcy et ses scénaristes
ont su rythmer même les passages du roman les plus dénués
de rythme avec l'insertion des chants et des danses créoles, simplement
évoqués dans le roman.
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