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Le refus de la linéarité dans l'adaptation cinématographique de la Rue Cases-Nègre de Joseph Zobel

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par Théophile Muhire
Université Natinale du Rwanda - Licence en Lettres 2004
  

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1.2.1 Différence d'ensemble

La différence organisationnelle n'est pas très remarquable dans ces deux récits, du moins pour l'oeil d'un spectateur / lecteur ordinaire. Cependant, malgré toutes les ressemblances observées dans la structure d'ensemble des deux récits, rien n'empêche qu'on puisse déceler un bon nombre de divergences, pour peu qu'on utilise son discernement.

Les trois parties du roman ont été reprises avec une certaine différence par la cinéaste. Ces parties sont ainsi réparties :

- Première partie : pp. 7-80

- Deuxième partie : pp. 80-164

- Troisième partie : pp. 165-240

La première partie correspond à l'enfance de José lorsqu'il n'avait pas encore l'âge de commencer l'école (sept ans). Il a pour compagnons Gesner, Romane, Tortilla et Médouze. L'intrigue se déroule à la rue Cases-Nègres et dans la plantation de cannes. La deuxième partie se rapporte à la vie scolaire de José. Il étudie à Petit-Bourg et vit avec M'man Tine à la Cour Fusil. Ses compagnons sont notamment Jojo, Raphaël, Camille et Vireil. La troisième partie commence avec le départ de José pour Fort-de-France. L'intrigue se joue au lycée Schoelcher et aux quartiers Sainte-Thérèse et Route Didier. Il vit avec sa mère M'man Délia et ses compagnons sont Carmen, Jojo et Bussi.

Le film, lui, se présente sous forme d'un amalgame des trois parties précédées d'un prologue et suivies d'un épilogue. Le prologue n'est qu'un exposé des contrastes entre les trois composantes de la population martiniquaise. Le premier acte du film semble condenser les deux premières parties du roman. José enseigne déjà l'alphabet à Carmen avant qu'il ne commence l'école. A moins que la position de cette séquence ne relève d'une erreur de montage, elle n'a pas de sens et ne fait que brouiller la trame du récit. Au troisième acte du film, José vit toujours avec sa grand-mère puisque sa mère ne figure nulle part dans le film qui est finalement structuré, agencé et découpé de manière tout à fait différente, indépendamment du roman. La différence de structure entre les deux récits, ainsi que le rapport nombre de pages / durée du film seront développés au chapitre IV entièrement consacré à l'analyse temporelle du film par rapport au roman.

De manière générale, le film est moins rigoureusement construit et répond à une logique quelque peu différente de celle du roman. On constate que les événements sont moins contrastés, les drames moins violents, les joies moins intenses. Le film tend vers un nivellement, le roman, au contraire, vers un écartement maximal de l' « amplitude émotionnelle ». A ce sujet, on ne peut pas comparer par exemple la tristesse, l'émotion, la tension, et la révolte avec lesquelles José prononce ces phrases lorsqu'il était au lycée Schoelcher ainsi que leur mise en scène :

« personne ne me ressemble. Personne n'a d'ailleurs fait attention à moi. Serais-je repoussant à ce point quant à ma tenue ? » (LRCN, P. 171).

Dans le film, José est certes montré solitaire, mais aucune trace de tristesse ne se lit sur son visage.

Inversement (mais rarement), certaines séquences filmiques deviennent plus éloquentes que les pages du roman. Par exemple la rencontre avec Médouze devient plus émotionnelle dans le film que dans le roman, notamment lorsqu'il lui raconte la révolte des « esclaves » contre les békés. Médouze parle d'Afrique pour donner plus de force à l'idée de Zobel qui parle plutôt de Guinée dans son livre. Le vieil homme joue davantage un rôle de guide spirituel pour José et ses interventions deviennent plus longues dans le film que dans le roman.

Sur le plan rythmique, la structure dramatique du roman épouse exactement celle du déroulement narratif ; c'est-à-dire que les bouleversements émotionnels se confondent avec les pivots narratifs du roman (misère des nègres, travail éreintant, solitude à l'école etc.). Les deux rythmes, dramatique et narratif, se superposent parfaitement, ce qui rehaussent les tensions. Le film, lui, joue davantage sur des effets de syncope, tout en maintenant la tension (même amoindrie). Palcy et ses scénaristes ont su rythmer même les passages du roman les plus dénués de rythme avec l'insertion des chants et des danses créoles, simplement évoqués dans le roman.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld