Section2) En France, comment sortir de la toute puissance
de la norme:
Les développements de Bertrand Badie à propos de
la fin des territoires et de l'effritement des institutions traditionnelles ne
s'applique pas uniquement aux relations internationales. Elles trouvent une
illustration en droit interne également avec l'existence d'une
volonté d'institutionnaliser les formes de solidarités (type
solidarités familiales) qui existent déjà dans les faits,
et leur donner un fondement légal (§1).
§1) La nécessité d'institutionnaliser
les solidarités déjà existantes.
L'analyse des lois de finances de la Sécurité
Sociale, de même que les différentes mesures qui ont
été prises pour réformer le système de couverture
du risque maladie, montrent combien la norme est pensée comme seule et
unique source pour tous les problèmes touchant à la politique de
santé en France. Cependant, il apparaît que le remède soit
pire que le mal, car malgré cette omniprésence de la Loi cette
dernière semble inadaptée aux problèmes qui se posent
quant à la gestion du risque social.
En effet, la conception française accorde à la
norme une place de premier choix. Celle-ci est élaborée sur le
même schéma: un seul objectif, celui de réduire coûte
que coûte les dépenses publiques. Des légions de tableaux
représentants des objectifs à atteindre, d'autres à ne pas
dépasser sont chaque année présentés
accompagnés de masses de documents comptables et fiscaux. La norme est
pensée, votée de manière totalement hermétique, ne
laissant aucune place pour l'individu et les formes alternatives de
solidarités, telle que la solidarité familiale. Celle-ci
constitue parfois une alternative pour la personne démunie de toute
protection en cas de maladie. Et cela se vérifie avec plus de force
encore lorsque la personne visée n'appartient à aucune
catégorie socio professionnelle. Il peut sembler étrange que l'on
choisisse d'axer la question de la prise en charge du risque maladie vers une
conception moins normative et plus humaine. Mais n'est-ce pas tout aussi
étrange que dans un pays qui se trouve siéger parmi les 8
puissances économiques mondiales, il y ait une dualisation aussi
fortement accentuée quant à l'accès aux soins en cas de
survenance de la maladie? La « fracture sociale », pour
reprendre un thème cher au Chef de l'Etat, ne se réduit pas elle
continue de se creuser à en croire les prévisions de l'exercice
2005 de la Sécurité Sociale. La réponse purement
législative s'est à chaque fois révélée
inadapté comme réponse. Et il n'existe à l'heure actuelle
aucune volonté de regarder ailleurs, vers d'autres modes de rapports
sociaux, d'autres façons de penser le risque maladie. Certains auteurs
avaient préconisé de se tourner vers l'instauration d'une
allocation universelle. Cette idée est fondée sur la disparition
de toute condition de ressources et/ou de rattachement à l'obligation de
travailler. Elle consiste dans le versement d'une allocation universelle de
base, dont l'impôt sur le revenu reprendrait une fraction à mesure
que les revenus dans le foyer augmentent et donc que l'allocation perdrait
ainsi toute utilité.
La protection sociale est en constante évolution et son
orientation future dépend souvent de son histoire passée. L'un
des buts premier de la protection du risque maladie ne consiste pas en la
simple survie de l'assuré par l'octroi d'une somme le plus souvent
insuffisante pour vivre dignement, mais bien dans l'insertion de l'individu qui
en bénéficie dans la société civile et au respect
de sa condition d'être humain. C'est pourquoi, à l'heure où
l'exercice de la Sécurité Sociale sont une fois de plus
déficitaires malgré les innombrables « plans de
redressements » et autre orientations financières, il incombe
au Législateur d'accepter de regarder dans d'autres directions pour
assurer une couverture maladie viable et vraiment
généralisée. Il serait intéressant que la donne
s'inverse, et que ce soit la France qui s'inspire du système marocain,
du moins de la philosophie de certaines de ses sources pour repenser son
architecture du risque maladie.
Similitudes, différences d'approches, fondements
religieux et constitutionnels... Nous avons pu constater que ces derniers se
rejoignaient sur le fait qu'ils faisaient tous deux appel à la fois aux
acteurs de la sphère publique comme ceux du secteur privé pour
gérer le risque maladie. Similitudes aussi dans le fait que ce sont les
acteurs économiques les plus pauvres qui ne bénéficient
pas d'une protection adéquate en cas de risque maladie. Ce qui frappe
également, c'est le manque d'interaction développée entre
les différentes branches de la protection sociale. Celle-ci (une
coopération poussée) permettrait de compenser les aléas
financiers de l'une ou l'autre branche. Le développement à propos
de l'AMO au Maroc et qui a montré la fragilité financière
de ce système, nous permet d'appuyer cette affirmation.
Il est toujours difficile de tenter de résumer sa
pensée en quelques lignes surtout lorsque le sujet étudié
est aussi vaste et vivant que la couverture du risque maladie dans le droit
comparé entre la France et le Maroc. Difficile car au fond c'est un
débat qui n'est jamais terminé eut égard à la
grande fluctuation des orientations politiques, mais surtout de la notion
même de « risque social » qui ne couvre plus le
même champ qu'il y a quelques années. Si au XIXème
siècle le risque social était celui qui était acceptable
car indemnisable, la notion a mue vers le milieu du XXème siècle
pour reconnaître au risque social l'idée qu'il serait pris en
charge dès lors qu'il est imputable. Et les grands drames de
santé publique tels que la crise dite de « la vache
folle » ou du « sang contaminé » illustre
bien ce propos, car il y avait là l'idée d'identifier l'auteur de
la production de ce risque, d'assurer un suivi et de procéder à
la prise en charge.
Aujourd'hui, la sécurité sociale ne se contente
plus de soulager les misères de notre époque à partir de
règles qu'on lui aura édicté. Elle doit élaborer
des mesures propres à maintenir la santé et la protection sociale
et économique des administrés, et elle y parvient tant bien que
mal à partir du jeu des dispositifs de la sécurité sociale
et surtout de son volet assurantiel. Ces choix en faveur d'une politique
plutôt qu'une autre se trouvent guidés par des facteurs non plus
seulement juridiques, mais aussi par des facteurs relevant de la
médecine, de la psychologie ou de la sociologie. C'est donc un domaine
à la croisée de plusieurs disciplines, qui de par son
évolution et les questions qu'il soulève, entre de plein pied
dans le cadre de la recherche universitaire. C'est souvent dans ses lieux que
est élaborées ce qui sera le début de la réponse
recherchée par le politique. Toutefois, la réflexion dans le
domaine de la Sécurité Sociale présente
l'inconvénient de s'exercer dans de modestes limites par rapport
à d'autres sphères du droit. Et cela est encore plus vrai lorsque
la réflexion implique une acception comparative. Mais la force cette
branche du droit social réside dans son caractère vivant et dans
le réseau qu'elle a su tisser avec les praticiens de l'administration de
la Sécurité Sociale. L'avenir nous dira si à long terme,
ce mariage entre le savant et le politique s'est révélé
fructueux ou tout simplement un mariage de raison.
|