Le « putsch des
conservateurs » :
C'est alors que tout va s'accélérer. Le passage
à l'économie de marché aboutit, les 25 et 26 juillet 1991,
lors du plénum du Comité central du PCUS, à l'abandon du
principe de lutte des classes, cher au socialisme soviétique. La
colère commence alors à monter dans le camp des conservateurs,
fervents opposants de Gorbatchev depuis son arrivée au pouvoir. Ayant
déjà mal accepté la perte d'influence de l'URSS en Europe
de l'Est et redoutant l'éclatement de l'Union soviétique, ils
tiennent Gorbatchev pour personnellement responsable de la décomposition
de l'Etat, de la faiblesse de l'économie et de la perte de l'empire. Ils
ne considèrent donc plus Gorbatchev digne d'être à la
tête de l'Etat et songent à se débarrasser de lui. Ceux-ci
auraient été poussés par la crainte de perdre leurs postes
dans les instances dirigeantes. En effet, l'instruction menée un an plus
tard par le procureur général Valentin Stepankov et les
témoignages de personnalités des deux camps (pro ou
anti-putschistes) arrivent à la conclusion que les dirigeants se sont
vus politiquement condamnés et c'est pourquoi ils auraient agis. C'est
ce qu'ils font le 19 août 1991, à la veille de la signature du
traité sur la nouvelle Union, en retenant Gorbatchev et sa femme
prisonniers dans leur résidence de vacances en Crimée et en le
déclarant « incapable d'assumer ses fonctions pour raisons de
santé ». Ils annoncent la formation d'un
« Comité pour l'état d'urgence » avec
à sa tête le vice-président de l'URSS, Ianaev, le Premier
ministre Pavlov, le vice-président du Conseil de défense
Baklanov, le président du KGB Krioutchkov, le ministre de
l'Intérieur Pugo, le ministre de la Défense Iazoyv, le
président de l'Association des entreprises d'Etat Tiziakov et le
président de l'Union des paysans Starodobtsev. Les artisans de ce putsch
sont donc les plus hauts dignitaires du régime.
Les putschistes, dans leur « Adresse au peuple
soviétique », déclarent leurs intentions. Ils font
occuper Moscou par l'armée, établissent la censure et interdisent
les activités politiques hostiles au parti communiste. Cependant, ce
putsch apparaît rapidement comme un « putsch idiot »,
selon les termes du journaliste Maxime Sokolov. En effet, l'armée ne
peut pas utiliser ses armes, aucune communication, nationale ou internationale,
n'est coupée, et les principaux opposants réformateurs, dont fait
partie Boris Eltsine, ne sont pas inquiétés ni
arrêtés. Toutefois, les conservateurs, alors enfermés dans
le Kremlin, n'avaient pas pris en compte l'évolution de la
société. Il est évident que celle-ci n'est plus aussi
passive qu'auparavant et le peuple a pris goût à la liberté
née avec Gorbatchev et la glasnost et ne compte pas la perdre.
C'est pourquoi il répond massivement à l'appel à la
résistance lancé depuis la « Maison
Blanche », le Parlement russe, par Boris Eltsine. Le
« Comité » commençant à sentir la
situation lui échapper, a planifié un assaut du Parlement par les
forces spéciales du KGB afin de déloger Eltsine. Cette entreprise
échoua car ces forces ont refusé d'obéir et se sont
ralliées au président de la Russie. Durant l'une des
manifestations, Eltsine se tint debout sur un tank pour condamner la "junte".
L'image, diffusée dans le monde entier à la
télévision, devint l'une des images les plus marquantes du coup
d'État et renforça très fortement la position de Eltsine.
Des confrontations eurent lieu dans les rues environnantes, dont l'une menant
à la mort de protestataires, écrasés sous un tank, mais
dans l'ensemble on dénombra un faible nombre de violence. Le 21
août 1991, une large majorité des troupes envoyées à
Moscou se rangea ouvertement au côté des manifestants. Le putsch
échoua après trois jours d'existence, les putschistes sont
arrêtés, à l'exception de Boris Pugo, le ministre de
l'Intérieur, qui se suicide, et Gorbatchev revint à Moscou, en
disant : « Nous volons vers un autre pays ».
Cet événement est donc l'un des souffles finaux
du colosse soviétique qui, à partir de là, vivra ses
dernières heures. A son retour, Gorbatchev tentera quelques ultimes
actions afin de sauver ce qui peut l'être du régime. Mais le
rôle de Boris Eltsine et celui du peuple soviétique, nouvellement
libre, dans la résistance au « putsch des
conservateurs » vont irrévocablement changer la donne.
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