L'identité et le spectacle vivant à La Réunion( Télécharger le fichier original )par Virginie Verbaere Université Aix-Marseille III - Administration des Institutions Culturelles 2004 |
C. Analyse approfondie du secteur musical1) Aperçu de la réalité musicale à La RéunionLe paysage musical de l'île de La Réunion offre une diversité étonnante. Non seulement on trouve dans tous les coins de l'île des formations composées de musiciens amateurs ou semi-professionnels, mais en plus ils pratiquent des styles musicaux allant de la chorale au rap, en passant obligatoirement par les formes spécifiques à l'île telles que le maloya ou le séga partagé avec les îles avoisinantes. On assiste à l'assimilation des courants de musique internationaux, tels que l'héritage classique, le rock, ou des rythmes dansants comme le reggae, aussi bien qu'aux mélanges insolites. Il est préférable d'abord d'identifier le champ de la production culturelle pour l'analyser : il s'agit bien sûr de l'île, du territoire du Département, et de l'activité musicale qui s'y manifeste. Mais cette activité n'est pas cloisonnée. Elle déborde sur d'autres activités culturelles des Réunionnais, telles que la danse, le théâtre, et même la littérature. Elle participe à la vie musicale de la métropole, en tant que département français et tout comme la métropole elle s'enrichit de la musique internationale, à dominante anglophone. Nous pouvons donc concevoir ce champ musical proprement dit comme étant enrichi de deux autres champs: celui de la culture créole réunionnaise, dont la particularité est l'utilisation de la langue créole et le champ de la vie musicale française, qui essaie tant bien que mal de protéger sa spécificité d'exception culturelle devant la mondialisation de la production musicale. Dans ces trois champs de production culturelle, les artistes et leurs associés - producteurs, techniciens, professionnels du spectacle - essaient de placer leurs produits afin d'assurer le meilleur rendement possible, que ce soit sur le plan purement commercial tels que les ventes de billets de concerts, de disques et de droits d'auteur mais également sur le plan du capital culturel, celui de la notoriété et du rayonnement en termes de statut social ou même de prestige politique. Cet investissement du capital culturel de la musique pourrait donc intervenir pour le cas réunionnais dans un, deux ou trois des champs que nous venons d'identifier, et avec des effets différents. Il est intéressant aussi de prendre en compte le terme « d'habitus » de Bourdieu.94(*) On peut définir l'habitus comme la façon dont les structures sociales s'impriment dans nos têtes et nos corps par intériorisation de l'extériorité. À cause de notre origine sociale et donc de nos premières expériences puis de notre trajectoire sociale, se forment, de façon le plus souvent inconsciente, des inclinaisons à penser, à percevoir, à faire d'une certaine manière. L'habitus renvoie à tout ce qu'un individu possède et qui le construit. Ajoutons que, si dans la même classe sociale, les habitus sont proches, ils ne sont néanmoins pas identiques car chaque individu est confronté à des expériences sociales plus ou moins diverses. C'est l'habitus qui explique la reproduction, à l'insu des acteurs eux-mêmes, des rapports sociaux. On pourrait presque affirmer que les genres musicaux tels que le séga, la musique classique ou le jazz constituent en eux-mêmes des formes d'habitus, tant ils influencent la forme musicale mais également la façon dont le public la saisit, et même l'endroit où elle se produit: théâtre, église, salle de concert, boîte de nuit, fête populaire, etc. La concurrence entre les différentes formes musicales peut également susciter des exemples de violence symbolique pratiquée à l'égard de tel style musical, en général quand il est perçu comme une menace à l'habitus culturel dominant : une illustration frappante serait celle de l'interdiction longtemps pratiquée à l'égard du maloya, « musique d'esclaves » censée troubler l'ordre public. * 94 BOURDIEU P., 1979, La Distinction. Critique sociale du jugement, cité par CHERUBINI B., 1996, Regards sur le champ musical, Travaux & Documents, Université de La Réunion |
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