L'identité et le spectacle vivant à La Réunion( Télécharger le fichier original )par Virginie Verbaere Université Aix-Marseille III - Administration des Institutions Culturelles 2004 |
Le théâtre et L'expression corporelleDans le domaine théâtral les rares tentatives de représentation liée à l'identité échouent et on doit attendre 1982 pour que des thèmes tels que l'esclavage ou le colonialisme puissent être présentés en public. On sait depuis les travaux de Clifford Geertz79(*) que la communauté aime se montrer et se raconter. Il nous montre comment une collectivité utilise ses contes, légendes, anecdotes, dictons, croyances, mythes et rites, pour identifier les situations qu'elle vit et expliquer comment les gérer. Les troupes théâtrales et de danse font des choix en fonction de leur environnement social, de leur projet de création culturelle, et des contraintes qu'ils subissent vis-à-vis du secteur artistique les entourant. Il est intéressant de voir que, comme les héros des pièces du théâtre Talipot, les troupes réunionnaises se positionnent entre « l'appel du grand large » et « les limites du lagon »80(*). Leur lieu d'implantation est octroyé par une municipalité acquis quelquefois après plusieurs années d'errance et de nomadisme comme le théâtre d'Azur à Saint-Pierre (troupe créée en 1987), Acte III à Saint-Benoît, Talipot à Saint-Louis (depuis fin 1993) et Vollard à Saint-Denis.81(*) L'appropriation d'un espace par une troupe ne doit pas nier la façon dont son public se le réapproprie. Évoluer « dans les limites du lagon » pour une troupe théâtrale, cela signifie-t-il que l'on prenne en compte les instances administratives de l'île ou bien que la population locale se sente concernée par la pratique théâtrale et intègre cet espace dans son « monde de vie » comme étant le sien. Sur ce territoire la concurrence est rude entre les troupes et elle ne peut être comprise que dans « une interaction globale ». On rejoint ici « l'appel du grand large » qui fait évoluer les troupes dans l'espace régional de l'océan Indien, en métropole, en Europe, voire au Canada, ainsi bien sûr qu'au rendez-vous annuel d'Avignon. Il y a une tendance à hiérarchiser l'appartenance des troupes selon deux grands types d'espace, une sorte « d'extra-territorialité » réelle ou artificielle (créolité, réunionnité, francité, européanité, citoyenneté mondiale, africanité, etc.) et des territoires de proximité (villages, quartiers, voisinages, etc.). On ne peut pas comprendre le sens de la production artistique réunionnaise (théâtrale, chorégraphique, musicale, etc.) sans comprendre cet aspect hiérarchique et les interactions avec les individus. C'est d'ailleurs par la relation entre systèmes, entre sociétés, que l'on peut faire apparaître les identités de la communauté, des groupes et des individus, la hiérarchie des valeurs de chaque système. Le rêve d'universalité de la créolité, de la réunionnité, est aussi le rêve d'universalité de la production théâtrale. « L'appel du grand large » de la troupe est souvent celui des personnages de leurs pièces ce qui prouve que cette problématique identitaire se retrouve dans les créations théâtrales. On a aussi de plus en plus tendance à faire venir « le grand large » à La Réunion. Certains festivals se proposent d'interroger la mémoire et de devenir une quête identitaire. Dans le même temps, « l'art métis est aussi la chance d'une ouverture sur l'Universel, chance de découvrir l'autre comme le prolongement de soi-même »82(*). Il s'agit alors d'inviter des artistes de La Réunion, de Madagascar, d'Afrique, de l'Inde, du Sri Lanka, de Métropole, des Comores, pour « tisser des liens, les reconnaître, tisser une toile de fraternité, qui au-delà des formes différentes fait apparaître une unité de destin ». Ce discours rejoint celui de la créolité antillo-guyanaise et du « métissage comme énoncé prophétique »83(*) qui a pour but de sublimer l'hérédité, de promouvoir l'interculturalité, et qui repose beaucoup sur la participation de l'artiste. * 79 GEERTZ C., 1988, Ici et là-bas, cité par CHERUBINI B., 1996, Regards sur le champ musical, Travaux & Documents, Université de La Réunion * 80 Idem * 81 Cf Annexe 3 : Les équipements culturels à La Réunion. * 82 CHANE-KUNE S., 1993, Aux origines de l'identité réunionnaise, l'Harmattan, Paris, 206p. * 83 CHAUDENSON R., 1995, Les Créoles, Que-sais je ?, Presses Universitaires De France, Paris, 127p. |
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