I-3 Croissance démographique et évolution de
la demande face au déficit des ressources
L'agglomération de Lima est un cas particulier au
Pérou. Elle en est la plus grande ville et dépasse de dix fois
Arequipa, deuxième ville du pays. Cette hypertrophie est due
principalement à une évolution démographique et urbaine
spontanée, déséquilibrée et surprenante que les
pouvoirs publics n'ont pas pu contrôler. La ville s'est donc
développée de manière anarchique sans aucune
planification, menaçant la qualité de vie de ses habitants.
En 1993, Lima contait 6 221 000 habitants. Aujourd'hui, avec
plus de 7 200 000 habitants, soit près d'un tiers de la population
nationale (29% de la population totale du Pérou) elle est la proue des
politiques démographiques péruviennes.
- Historique et profil de la croissance ; un site
marqué par son passé et sa vocation ortuaire
La ville s'est développée près des
contreforts des Andes, sur les anciens cônes alluviaux du Rímac,
petit cours d'eau torrentueux qui se précipite des montagnes
environnantes. Récemment, la banlieue nord s'est étendue
jusqu'aux cônes alluviaux d'un autre cours d'eau ayant les mêmes
caractéristiques, le Chillón (Cf. Carte 2).
Photo 2, 3 ,H et 5 : Entre bidonvilles, centre-ville colonial
et quartiers internationaux, une
ville aux multiples visages :
Source : Auteur.
L'agglomération a été fondée par
les Espagnols en tant que port destiné principalement à servir
pour l'exportation des métaux précieux du Pérou
supérieur (par exemple, Cuzco et Potosí). La ville portuaire
elle-même était en fait El Callao; quant à la ville
coloniale (Cf. Photo 2) de Lima, elle a été
installée à une distance prudente, soit à 10
km de la côte. Lorsque le Pérou a déclaré son
indépendance au début du XIXe siècle, Lima est
devenue la capitale du pays.
Sa croissance s'est faite lentement jusqu'aux années
1940, lorsque la population a atteint 300 000 personnes. Depuis lors, elle
s'est accélérée et, aujourd'hui, la population du Lima
métropolitain est bien près d'atteindre les 8 millions
d'habitants. Selon Olivera (1991), Lima abrite à présent 28 % de
la population du Pérou (45 % de la population urbaine), elle compte pour
69 % de la production industrielle interne, 70 % des entreprises industrielles
y sont situées, 87 % des ressources fiscales de l'État en
proviennent et on y retrouve 83 % des dépôts bancaires et 98 % des
investissements privés.
Carte 3 : Processus d'expansion de la ville de Lima entre 1981
et 2000 :
Source : Auteur, d'après l'Atlas Environnemental de
Lima.
Cette croissance persistante est la raison d'un ensemble de
déficiences, et avant tout dans le Secteur des services vitaux. La
migration interne est continue, principalement en provenance des Andes. 64% de
la population de Lima Métropolitaine bénéficie de
l'accès à l'eau potable personnel et seulement 60%, de services
hygiéniques basiques.
-Une évolution urbaine et démographique
incontrôlable
La ville et le mode de vie urbain de la capitale
séduisent les populations rurales, le plus souvent issues de la
région andine, en situation de paupérisation. En milieu tout
parait plus simple (santé, emploi, logement, éducation). Les
difficiles conditions de vie des campagnes refoulent une multitude de ruraux
à l'abandon vers la ville. Or, la tendance est avant tout à la
constitution de mégapoles fortement dualisées entre des quartiers
à fort pouvoir d'achat et des zones sous-intégrées aux
infrastructures publiques urbaines. De toute part des périphéries
urbaines dites « spontanées » surgissent du désert
souvent selon un processus invasif désordonné, comme on peut le
voir sur les photos 6 et 7.
Photo 6 et 7 : première étape d'invasion au
bord de la Panaméricaine Sud, abris d'esterasi et
de tôle:
Source : Auteur.
La plupart de ces périphéries ont pu être
qualifiées de « spontanées », car elles sont
construites sans planification de l'espace, ni aménagements (sans
viabilisation, sans infrastructures d'adduction d'eau ou
d'électricité, par exemple), parfois en toute
illégalité sur des terres périurbaines. Au Pérou,
les résultats de ces invasions donnent lieux à des quartiers
périphériques pauvres présentant des logements familiaux
allant du simple abris fait d' « esteras » (mur de palme
végétales tressés ,
1 Mur de palmes végétales
tressés.
comme sur la photo 6), à de minuscules maisons
individuelles de briques ou de parpaings, en dur, mais sans confort moderne.
D'abord qualifiés de Barriadas (quartiers) puis de Pueblos Jovenes
(quartiers jeunes) ces appellations ont étés abandonnées
par soucis de partialité et on les appelle aujourd'hui plus simplement
« Asentamientos Humanos » (littéralement :
établissements humains).
Ces villes non officielles dans la ville, installées
dans les espaces délaissés (notamment sur les cerros ceinturant
Lima, qui sont des collines sablonneuses à forte déclivité
et en perpétuelle érosion, rendant l'habitat précaire et
insécuritaire), parfois en une nuit, s'opposent au centre d'affaires et
les problèmes urbains y sont légions. Ils sont dus au
surpeuplement, au manque d'emplois et d'équipements, à
l'insalubrité, aux déficiences ou à l'inexistence des
réseaux d'eau, d'électricité et d'assainissement. Ces
défaillances se caractérisent par les problèmes sociaux,
la surmortalité, le sous" emploi.
Comme le souligne Florence Tourette : «
Promiscuité et grande pauvreté se mêlent à une
violence endémique dans des villes géantes qui ont du mal
à digérer ce trop plein de tout »1. En même
temps, les conditions de vie dans ces quartiers spontanés sont
supérieures à celles du milieu rural abandonné. On y
retrouve une prise d'assaut de chaque zone laissée pour compte par la
ville, pour s'installer et y tirer profit. Peu importe s'il s'agit d'un habitat
spontané et précaire qui finit par s'inscrire dans la
durée.
Marginalisés et rejetés aux
périphéries de la ville, ces habitats sont aussi des marqueurs
des ségrégations et des inégalités urbaines
à l'échelle de l'agglomération.
-Les « asentamientos humanos » : marqueurs des
inégalités
« La situation d'accès à l'eau et à
l'assainissement dans le pays continue à être une barrière
fondamentale à la réduction de la pauvreté et des
inégalités, même si les chiffres officiels indiquent une
couverture intégrale » (Agence Canadienne pour le
Développement International).
Comme nous venons de le voir dans l'étude de la
croissance urbaine liméenne, les « asentamientos humanos »
sont des espaces de promiscuité, de grande pauvreté et qui
manquent cruellement d'infrastructures pour leur développement.
Cependant, nous sommes venus à la conclusion que dans ces espaces le
manque d'eau potable et d'assainissement pouvait également être un
facteur aggravant des inégalités sociales. En effet, comme nous
en ferons la preuve plus loin, les
1 TOURETTE, Florence, 2005, Développement social urbain et
politique de la ville, Pour comprendre le malaise urbain et pour mieux
appréhender la politique de la ville, Paris : Gualino Editeur, 167
pages.
« asentamientos humanos » ne
bénéficient pas des mêmes conditions d'accès
à l'eau. Tout d'abord, d'un point de vue financier, l'eau potable est
parfois payée jusqu'`à 10 fois plus cher dans les
périphéries que dans les quartiers à fort pouvoir d'achat
du centre comme Miraflores ou Surco. De plus, la qualité de cette eau
est bien moindre puisqu'elle est tributaire bien souvent d'un réseau de
camions citernes qui ne respecte guère en pratique les contrôles
d'hygiène imposés pour le nettoiement des cuves.
Photo 8 et 9 : De la cuve du camion-citerne aux bidons
personnels de conservation, un
manque d'hygiène flagrant.
Source : Auteur.
De même, la situation à risque des asentamientos
humanos dans des lieux ne bénéficiant pas d'un système de
voierie adéquate et parfois même perchés à flanc de
cerros, implique un difficile acheminement de la ressource, donc un temps et
des efforts précieux nécessaires qui occupent une place
importante dans le quotidien des habitants. Enfin, la faible qualité de
l'eau et le manque de services d'hygiènes spécifiques sont
responsables de taux de maladies importants, stigmates des pays du sud comme le
choléra. A la fois cause et conséquence des
inégalités, la recherche en eau est donc un enjeu crucial dans la
lutte contre la pauvreté lancée par l'Etat péruvien.
-La demande actuelle des consommateurs en matière d'eau
potable
La consommation totale d'eau dans la zone
métropolitaine en 1986 était estimée à environ 21
m3/seconde, soit 11,35 m3/seconde provenant du
Rímac et 9,45 m3/seconde de sources souterraines. En 1990, la
demande était passée à environ 25 m3/seconde et
elle continuera à s'accroître à un rythme d'à peu
près 4 % par an pour atteindre 33 m3/seconde en l'an 2000 et
45 m3/seconde en 2010.
Le réseau de distribution principal dessert quelque 60
% de la population avec l'eau tirée du Rímac ainsi que de 106 (42
%) des 253 puits productifs. En 1985, on avait estimé qu'environ 70 % de
la population était légitimement raccordée au principal
système municipal, 16 % y était illégalement
raccordée et enfin 14 % devait s'approvisionner à des robinets
publics ou à des citernes. Avec la croissance récente, il est
probable que le pourcentage réel des personnes qui n'ont pas l'eau
courante ou qui sont illégalement raccordées au réseau
soit supérieur à 40 % (2,8 millions de personnes).
Les 147 puits qui restent sont reliés aux
réseaux de distribution locaux. C'est de ces puits que les industries,
entreprises commerciales et fermes qui recourant à l'irrigation
reçoivent la majeure partie de leur eau. Or nous avons vu dans
l'état des lieux des ressources aquifères souterraines que leur
utilisation n'est actuellement plus envisageable de manière durable, et
n'est donc pas une solution à terme à la recherche de la
ressource hydrique.
Ainsi aujourd'hui, face à cette croissance
démographique démesurée qui se heurte aux limites
physiques du site, il est important d'envisager des politiques de
développement, visant à anticiper les facteurs du problème
et à éviter les erreurs du passé.
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