III-2 L'exemple de la révolution hydraulique en
Espagne : un exemple à suivre ?
L'Espagne a longtemps été
considérée comme un extrême Sud dans l'imaginaire
européen, fréquemment comparée à un " morceau
d'Afrique " et en tant que telle en proie à des difficultés
économiques spécifiques que l'on analyse, au cours du XIXe
siècle, comme la conséquence de l'ingratitude de la
géographie espagnole. La représentation dominante du territoire
espagnol est alors celle d'un " mauvais pays " caractérisé par
des sols globalement peu fertiles et un climat semi-aride. La réflexion
sur les causes de la crise espagnole débouche sur la formulation d'une
série de solutions qui toutes s'accordent à considérer la
maîtrise de la nature comme une priorité et font de l'État
le promoteur d'une politique active de mise en valeur des ressources
nationales1.
Géologue et paléontologue, l'ingénieur
des mines Lucas Mallada, dans un livre devenu célèbre Les maux de
la patrie et la future révolution espagnole (1890)2, est l'un
des premiers à envisager des mesures en faveur de la " renaissance " de
son pays. Il attribue la responsabilité de l'intense vague
d'émigration que connaît l'Espagne à la pauvreté des
sols ibériques et à l'inégale distribution des ressources
en eau. Cette émigration tant intérieure (vers les foyers
catalans et basques) qu'extérieure (vers la France, l'Amérique
latine ou l'Afrique du nord) d'une partie de la population rurale contrainte
à l'exode par la misère faute de pouvoir tirer de l'agriculture
sa subsistance est clairement associée à l'indigence des
ressources du milieu.
À la suite de ce constat particulièrement
négatif, Lucas Mallada propose quelques lignes d'action en faveur de la
" régénération " d'une agriculture handicapée par
des conditions naturelles extrêmement défavorables
(pauvreté des sols accentuée par le " déboisement des
montagnes ", sécheresse et autres " fléaux naturels "). Ses
propositions se veulent générales, applicables à
l'ensemble du territoire national et centrées principalement sur une
réorientation administrative (une " réorganisation
générale de tous les services de l'État ") assortie d'une
réduction de la fiscalité.
Plus tard, au début du 2Oème siècle,
d'autres géographes et politiques commence à défendre la
mise
1 CLARIMONT, Sylvie, 2001, L'aménagement hydraulique au
service de l'Espagne (XIXe -XXe siècle), intervention lors du
126ème Congrès national des sociétés
historiques et scientifiques, Terres et Hommes du Sud, Thème 1 :
Paysages, peuplement et habitat, Milieu naturel, Toulouse.
2 MALLADA, Lucas, 1890, Les maux de la patrie et la
future révolution espagnole, Paris : bibliothèque nationale.
en oeuvre par l'État d'une politique hydraulique
destinée à rééquilibrer, moderniser et
démocratiser l'agriculture et, à travers elle, l'ensemble de la
nation. Soucieux de " refaire rapidement la géographie de la patrie
1" grâce à la maîtrise de l'eau, on jette alors les
bases d'une géographie volontariste qui ne se cantonne pas à
l'observation des phénomènes mais s'oriente résolument
vers l'action.
Sont alors formulés les fondements d'une politique
hydraulique volontariste, prise en charge par l'État et d'une
remarquable continuité en dépit des changements de régime
parfois brutaux que connaît l'Espagne contemporaine. La
réalisation des infrastructures hydrauliques s'inscrit désormais
dans un schéma de pensée qui associe étroitement
maîtrise de l'eau et développement économique.
« Longtemps consensuelle, une telle façon de
concevoir l'aménagement hydraulique est désormais au centre d'une
vive polémique relative au devenir des espaces irrigués dans une
Europe "surproductrice "que nous présenterons succinctement, l'objet de
notre propos étant surtout de souligner l'originalité de
l'interventionnisme étatique dans le domaine hydraulique en Espagne et
son caractère précurseur par rapport à la France voisine.
De fréquentes comparaisons seront établies entre Espagne et
France où existe également une longue tradition dans le domaine
hydraulique mais où l'intervention de l'État en faveur de
l'irrigation a semble-t-il été moindre, plus ponctuelle, plus
tardive aussi. »2
La gestion de la demande suppose également des
innovations tarifaires qui, d'ailleurs, servent également à la
politique de l'offre. En effet, l'absence de tarifs clairement établis,
ne facilite pas le financement de l'entretien des anciennes installations et
des nouvelles, qui ne peut pas pour autant être déserté par
les systèmes d'aide publique internationaux. La tarification peut
apporter des ressources supplémentaires pour financer ces travaux tout
en induisant des comportements économes chez les utilisateurs.
Cependant se pose là la question fondamentale du droit
d'accès à l'eau qui oblige à tenir compte d'objectifs
sociaux dans les calculs tarifaires. Dans le secteur agricole, pour lequel le
gisement d'économie d'eau est le plus évident, la politique de
tarification ne peut s'exonérer du fait que nombre de paysans pauvres du
Sud et de l'Est de la Méditerranée, voient leur salut dans
l'agriculture irriguée. Quant à l'eau potable, elle est
évidemment un bien vital dont la tarification ne peut pas empêcher
l'accès. Toutefois, des systèmes de tarification par paliers de
consommation peuvent être une réponse.
1 CLARIMONT, Sylvie, 2001, L'aménagement hydraulique au
service de l'Espagne (XIXe-XXe siècle), intervention lors du
126ème Congrès national des sociétés
historiques et scientifiques, Terres et Hommes du Sud, Thème 1 :
Paysages, peuplement et habitat, Milieu naturel, Toulouse.
2
Idem.
Outre les évolutions politiques, techniques et
tarifaires, si on continue à explorer le modèle espagnol, la
nouvelle révolution hydraulique doit être également
sous-tendue par des changements institutionnels et juridiques. A ce propos, il
apparaît évident que les réglementations souvent venues de
très loin dans l'histoire doivent être mises à jour afin de
préserver une ressource menacée.
Du point de vue institutionnel, la réorganisation du
« pouvoir hydraulique » est également au coeur de la gestion
de la demande. Les solutions globales tant en terme de gestion de l'offre que
de la demande ne semblent plus permettre une durabilité des
systèmes. Ainsi à l'heure actuelle, une certain
ré-échelonnage du pouvoir décisionnel tend à se
mettre en place, avec la mise en place d'unités de gestion à
l'échelle d'un bassin ou d'une nappe, ainsi qu'avec la promotion des
associations d'usagers.
Ainsi, la prise de conscience et la mise en oeuvre de
pratiques de régulation locale par les acteurs de terrain semble une
voie à privilégier tant les situations peuvent être
diverses.
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