Deux quartiers marginalisés, face à des
contraintes et des caractéristiques différentes. - Contraintes
géographiques
-Lomas de Carabayllo :
Lomas de Carabayllo appartient au district de Carabayllo.
Comme son nom l'indique (Lomas signifiant collines), ce village se situe sur
les hauteurs du district, dans un bosquet sec et aride. Le district de
Carabayllo appartient à la province de Lima. Il fait partie du
cône Nord d'urbanisation de la ville, et son expansion est
récente. Carabayllo se situe à une altitude de 238 mètres
au-dessus du niveau de la mer et s'étend approximativement sur 345 88
km2.
Lomas de Carabayllo est un secteur très aride,
situé sur un sol sablonneux et à flanc de cerros, dans une zone
à risque de tremblement de terres et d'éboulement de terrain.
Il existe des ressources souterraines en eau potable mais les
plus accessibles se trouvent dans d'autres quartiers de Carabayllo, la
situation de Lomas sur les hauteurs, rendant la nappe phréatique bien
trop profonde à cet endroit pour le forage de puits à moindre
coût.
Photo 24 : Lomas de Carabayllo :
Source : Auteur.
-Huachipa :
La municipalité de Huachipa se situe dans le
cône Est d'urbanisation de la capitale, dans le district de Ate-Vitarte.
A une altitude variant autour des milles mètres, cet «
asentamientos humanos» bénéficie d'un climat un peu
différent de celui du centre de Lima. En effet, contrairement au reste
de la ville, il dispose d'un ciel découvert et d'un climat
légèrement plus frais en raison de l'altitude. De plus, ce
secteur peut être considéré comme semi-urbain car on y
retrouve de nombreux jardins et d'immenses ladrillas (fabriques de briques en
terre). Dans ces ladrillas, sont souvent employés des enfants en dessous
de la limite légale d'âge pour travailler, en raison de leur poids
léger qui leur permet de se déplacer sur les briques encore
molles sans les abîmer. Ce travail juvénile illégal a
initialement entraîné le choix de ce quartier pour lancer un
programme d'éducation et de formation par l'ONG CESAL.
Photo 25 : Quartier de San Francisco à Huachipa :
Source : Auteur.
Dans la recherche de solutions pour l'accès à
l'eau potable, ce qui différencie grandement ces deux quartiers, c'est
la ressource aquifère sous-terraine. En effet, à Huachipa, les
ressources se
trouvent environ en moyenne de 50 à 80 mètres
sous la surface du sol, alors qu'à Lomas de Carabayllo la profondeur
atteint parfois 150 mètres.
- Du quartier spontané à la planification, deux
« asentamientos humanos » historiques :
Le schéma le plus classique de la création des
« asentamientos humanos » est celui des invasions massives autour de
Lima à la fin des années 40 et au début des années
50 et c'est celui de la constitution de Huachipa et Lomas de Carabayllo. Ces
invasions étaient soigneusement préparées, presque
planifiées, avec parfois la complicité d'étudiants et
ingénieurs pour établir la taille des parcelles, l'alignement des
rues et l'esquisse sommaire d'un plan masse. Une zone particulière
était choisie à l'avance parmi les terrains publics puis
l'invasion se produisait durant la nuit puisque le jour les forces de l'ordre
s'y seraient opposées. Le lendemain, les autorités ne peuvent que
constater le fait accompli, l'éviction ne pouvant se faire que dans un
bain de sang.
Le lot commun de toutes les zones d'habitats spontanés
est la pauvreté, le manque d'hygiène, un toit fragile, une
surpopulation, bref des conditions de vie extrêmement difficiles.
Néanmoins il me semble que l'on peut distinguer deux types de
regroupement d'habitats précaires. Le premier que l'on nommera taudis
est un lieu de décrépitude où les désoeuvrés
s'entassent sans une réelle conscience de groupe et sans beaucoup
d'espoir. La misère y est d'autant plus grande qu'un laisser-aller
règne partout.
Le deuxième type d'habitat précaire est
habité par une population qui a une conscience de groupe, qui a la
volonté de vivre et d'améliorer son quotidien. L'homme du
bidonville s'insère dans une certaine dynamique sociale, avec la
conscience d'appartenir à une culture, à un mouvement. Il sera
par conséquent bien plus facile d'intervenir dans un bidonville
plutôt que dans un taudis car la population peut fournir un engagement
bien plus important.
Ce qui différencie beaucoup les quartiers d'habitat
spontané de la ville, c'est qu'ils ne sont pas, ou peu, dotés
d'équipements et services urbains qui permettent à la ville
d'être un lieu confortable. Pas d'égout, pas de raccordement
à l'eau, pas d'électricité, pas de voie carrossable, pas
de ramassage d'ordures, pas de police, pas d'équipements sanitaires, pas
d'équipement éducatif, etc.... Ce sont pourtant des
équipements élémentaires.
L'eau est un des éléments les plus importants et
est évoqué dans tous les bidonvilles du monde. L'eau,
c'est la
corvée de tous, femmes, hommes, enfants. Il faut souvent aller la
chercher à plusieurs
centaines de mètres à une fontaine où il
faut ensuite faire la queue. Ou bien dans certains endroits les habitants des
bidonvilles doivent payer leur eau et elle revient parfois deux fois plus
chère que pour les gens habitants les quartiers riches.
D'autre part, l'absence de mobilier urbain peut paraître
un détail mais c'est un signe très marquant du statut de
non-ville.
Ces carences font du bidonville un lieu inconfortable au
quotidien, et le rendent de jour en jour, de plus en plus insalubre. Les
barrières qui séparent le bidonville de la ville sont de
plusieurs types mais toutes participent à l'isolement des habitants des
bidonvilles.
On trouve tout d'abord des limites physiques telles qu'une
autoroute, une voie ferrée, une rivière ou même un mur.
Elles sont rendues d'autant plus pénalisantes par le fait qu'il n'existe
pas d'infrastructure permettant de les franchir. Il n'y a pas de ponts ni de
passerelles suffisamment nombreux pour permettre un lien entre bidonville et
ville. En fait, réseaux et infrastructures ne desservent pas le
bidonville, ce qui isole ce dernier de son environnement.
Les habitants des bidonvilles, qui doivent se rendre en ville
pour le travail, souffrent aussi d'un manque de transports en commun. En effet,
les zones d'habitat spontané sont toujours peu ou très mal
desservies, éloignant encore plus le bidonville des centres
d'activités. D'autre part, le bidonville est psychologiquement
écarté de la ville dans la mesure où il n'a pas du tout le
même langage qu'elle. Même s'il se situe contre la ville, il n'est
pas construit avec la même logique, le tissu urbain est extrêmement
différent, les équipements et le mobilier urbain sont
inexistants, il y a peu d'éclairage la nuit, etc. Le bidonville se
démarque visuellement, on sait immédiatement lorsqu'on s'y trouve
et ses frontières sont très nettes. La société qui
y vit ne peut donc que se sentir marginalisée, le bidonville
étant à la fois placé "loin" de la ville et
stigmatisé.
Selon Albert Camus, "la pauvreté devient une forteresse
sans pont-levis". Le bidonville, foyer de misère, est un exemple
frappant de cette forteresse repliée sur elle-même. Aux urbanistes
et architectes de savoir l'ouvrir en créant des ponts vers la ville, au
sens propre et au sens figuré. Comme beaucoup, il s'est tout d'abord
installé aux franges de la ville, sur des terrains vagues. Puis, il
s'est développé en suivant sa propre logique, c'est-à-dire
autour d'une voie piétonne centrale. De son côté la ville a
aussi grandi, elle a rejoint la zone d'habitat spontané et elle l'a
totalement cernée en
suivant elle aussi sa propre trame urbaine. Ni le bidonville,
ni la ville n'a tenu compte de l'autre. On a assisté à un
développement parallèle mais totalement séparé.
Les conséquences urbaines sont très nettes. Le
bidonville est devenu un îlot dans la ville et pourtant il semble
complètement hors de la ville. Le tissu urbain et le tissu du bidonville
se font face mais ne communiquent pas. La limite entre les deux est très
franche sur la photo et elle est totalement palpable sur le terrain. Le
bidonville est à l'image d'une île au coeur de la ville. Il ne
peut plus s'accroître, il est comme enkysté dans le tissu
urbain.
Le développement de cette ville est une caricature
d'une non intégration des zones d'habitats spontanés.
Plutôt que de tenter de faire participer les habitants des bidonvilles
à la ville et de leur faire profiter des équipements urbains, la
ville a grandi en niant le bidonville. Ce qui aurait pu être une richesse
urbaine, un quartier qui anime la ville (ainsi que sa trame), est resté
un ghetto de misère ostensiblement délaissé.
- Situation socio-économique actuelle
Ces deux quartiers souffrent de nombreuses difficultés
d'accès aux services d'eau et d'assainissement, de manque
d'infrastructures routières, de santé et d'éducation. Leur
position périphérique, parfois à plus de deux heures du
centre ville en combi, les isole de tout pôle de développement.
Sur le plan socio-économique, la population est en majorité sans
emploi et/ou exerce des emplois précaires et/ou informels. Cette
situation de sous-emploi et de chômage est cependant
atténuée à Huachipa grâce à l'existence de
l'exercice du maraîchage et de la fabrique des briques.
Le parc de logements est très dégradé,
situé sur des zones à haut risque (tsunamis, tremblement de
terre...). Les logements sont de type précaire, construits en bois et en
tôle.
Cette zone très défavorisée concentre une
grande part des problèmes que connaît l'agglomération de
Lima :
-Un manque cruel des services urbains de base :
Aucun accès aux services d'eau et d'assainissement,
les habitants ont recours au camion-citerne, service coûteux,
limité et de basse qualité. Il existe un commerce illégal
d'eau : les habitants achètent des bidons d'eau aux habitants de l'
« asentamiento humano » voisin doté de fontaines publiques.
Environnement:
-Manque d'attention aux problèmes de ramassage des
déchets (service de nettoyage déficitaire, manque de moyens
financiers de la population pour financer le service, faiblesse des
stratégies d'organisation et de participation sociale dans la gestion
des déchets, déficience dans la législation nationale,
provinciale, et du district au niveau opératoire comme de la gestion)
-Formation de points critiques d'amoncellement des ordures
-Manque de contrôle des établissements industriels
pour l'élimination des gaz toxiques -Absence de programmes massifs
d'éducation sanitaire
-Pollution de l'eau, l'air et du sol
Infrastructures:
-Déficience du réseau viaire: absence de routes
goudronnées, manque de contrôle dans l'usage du sol, peu de
transports publics
-Manque d'infrastructures concernant la santé: il
n'existe qu'un seul centre de santé dans tout le quartier.
-Manque d'infrastructures concernant l'éducation : peu
d'écoles
-Manque d'aires récréatives
-Manque d'infrastructures sportives
-Pas d'espaces verts
Logements:
-Déficience des normes de sécurité (zone
sismique) -Logements de type précaire: construction en bois et en
tôle -Occupation non-planifiée
-Absence de programmes de réhabilitation urbaine
Secteur économique:
-Manque de commerce
-Insalubrité du marché
-Manque d'activités économiques et de pôles
de développement -Fort taux de chômage
-Forte présence du secteur informel
Secteur social:
-Existence d'une grande pauvreté -Fort taux de
délinquance
-Présence de violence familiale