CONTEXTUALISATION DE LA RECHERCHE
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PREMIÈRE PARTIE ~ CONTEXTUALISATION DE LA
RECHERCHE
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Ignorer le monde, ignorer l'humanité, est une
carence mentale fréquente chez nos intellectuels les plus
raffinés.
Hadj Garm'Orin
Mais pourquoi ne sommes-nous pas tous frères avec des
frères ?
FiodorMikhaïlovitch Dostoïevski
Brève notion d'autobiographie
référencée4
Dans cette quête du chemin qui mène à
l'élargissement de la compréhension de l'une des multiples
facettes du métier de la direction, "peut-on manier les modèles
forgés par les sciences exactes pour rendre intelligibles les
processus sociaux ?" (R. Chartier, 1983)5 Cette question, que
nous prenons à notre compte, semble s'imposer d'elle-même. Sembler
en effet, car autrement ce serait présumer qu'en recherche,
quelque chose puisse aller de soi. En réalité, il n'en
est rien. Certes, il ne peut y avoir de recherche sans des
contraintes de diverses natures mais, pour y faire face, le choix impose
aussi sa présence tout au long du parcours. Du choix du sujet
jusqu'à l'objectif en passant par la ou les méthodologies
adoptées. C'est pourquoi, explorer scientifiquement c'est
problématiser car "quoi qu'on en dise, dans la vie
scientifique, les problèmes ne se posent pas d'eux-mêmes. C'est
précisément ce sens du problème qui donne la
marque du véritable esprit scientifique..." G. Bachelard
(1938)6.
4 L'autobiographie référencée
est composée des dimensions autoréférentielles et
hétéroréférentielles. Nous suggérons une
synonymie entre autobiographie référencée et Enracinement
susceptibles d'être utilisés indifféremment dans cette
étude. Avant d'explorer le contexte socioprofessionnel et
épistémologique en effet, clarifier la signification
du terme autobiographie référencée, que nous avons
découvert et tant entendu (surtout le volet
autoréférentiel) durant la formation, constituera notre
incontournable pose des premières pierres.
5 Roger Chartier (1983), Avant propos, in Norbert
Elias, Engagement et distanciation, Coll. Pocket, Fayard, p. II
6 Gaston Bachelard (1938, 1982), La formation de
l'esprit scientifique, p.14 in J.-L. Le Moigne, (1999), La
modélisation
des systèmes complexes, Paris, Dunod, p. 23.
Avant même d'entamer telle ou telle partie "technique"
propre à la recherche
en sciences sociales ou la gestion en
général, prenons comme prédicat l'idée selon
laquelle s'appuyer sur des méthodes rigoureuses en vue de plus
d'objectivité caractérise toute démarche
qui se veut scientifique. Néanmoins, quel que soit le
sujet, les savoirs produits par les sciences en général sont
liés aux intérêts et engagements de ceux qui les
produisent. G. Bateson, comme H.
A. Simon, a nettement précisé qu'en
réalité, il ne peut qu'être illusoire de prétendre
décrire une réalité objective indépendamment de
l'observateur. Ce dernier, inscrit dans un projet (de vie personnelle,
de recherche, de carrière), positionne son regard depuis un angle de
vue, dans une finalité donnée et par rapport à
certains paramètres contextuels relativement subjectifs ou
contraignants. Ce qui signifie que, nos intentions participent de
manière prépondérante à la construction de
notre vision de la réalité. D'autant plus que la
réalité ne peut qu'être l'interprétation, par
nos multiples filtres, de l'insaisissable réel. Par conséquent,
"c'est seulement
en objectivant sa propre position [d'abord] que le
chercheur peut instituer une distance par rapport aux dépendances
qui le contraignent sans qu'il le sache, et, pratiquer le
"désenchantement émotionnel" qui sépare le savoir
"scientifique" des représentations immédiates, des
préjugés spontanés" (R. Chartier, 1983)7. Une
telle idée se situe aux antipodes
de celle de croyance populaire ou de certains scientifiques
soutenant l'existence d'une objectivité absolue épurée
de toute part subjective, auréolée d'une illusoire
neutralité absolue. Nous soutenons pourtant cette position de R.
Chartier puisque, non seulement, il est possible de la
démontrer, de l'illustrer mais aussi de la critiquer voire la
dépasser peut-être dans quelques siècles lorsque des
futures générations de chercheurs auront trouvé un autre
paradigme. Car, en effet, c'est cela aussi le savoir humain : toujours
provisoire, sous forme de petites strates qui s'accumulent au cours de
l'histoire.
Chaque être humain, dans toutes ses dimensions, est la
résultante vivante des multiples évènements
(répulsifs, douloureux, banals, matériels, idéologiques,
fastes, extraordinaires, biologiques, sensuels, etc.) qui ont traversé
sa vie et avec lesquels il se construit
par interactions, ou dont pour certains il est le
générateur. Alors, "le réseau des activités
humaines acquiert ainsi une plus grande complexité, une plus grande
extension et un maillage plus serré" (N. Elias, 1983)8 dont
l'intelligibilité plus fine suppose une approche globale plutôt
qu'un évitement ou une simplification stérilisante. Se projeter
exige une relecture de l'essentiel
du passé pour en dégager le sens parce
qu'ainsi le présent se comprend mieux et le futur se
conçoit plus aisément sur une base plus solide.
7 Roger Chartier, op. cit. p. IV
8 Norbert Elias (1983), Engagement et
distanciation, Paris, Fayard
Il est donc indispensable de restituer l'essentiel de
ces évènements dans leur contexte géographique,
sociologique et axiologique pour mieux comprendre les fondements de la position
qu'occupe le praticien-chercheur par rapport à son sujet/objet
d'étude. Il en va de même pour la définition de
certaines notions qu'il a pu confronter à son vécu,
à des réalités plus ou moins subjectives, voire
intimement enfouies pour qu'il puisse en être conscient. Ainsi, telle ou
telle perspective adoptée par le chercheur parviendra mieux à
faire sens pour les autres comme pour lui-même grâce à
ce travail d'élucidation et de réappropriation,
éclairé par des jalons théoriques. Aussi pour y
parvenir, "le point capital est que chaque sujet humain peut se
considérer à la fois comme sujet et comme objet, et de
même objectiver autrui tout en le reconnaissant comme sujet" (E.
Morin, 2001)9. Toutefois, avant d'objectiver autrui, il convient
de s'objectiver soi-même. Objectiver seulement ne
suffit pas. Objectiver tout en subjectivant revient à inscrire
l'acteur dans un projet. Appelons alors "projectivation" cette
concomitance d'objectivation avec la subjectivation puisque nous nous
inscrivons délibérément dans la posture
de modélisation-interprétation systémique
qui se veut projective, contrairement à la modélisation
analytique cartésienne qui se contente d'être objective. Ce
qui nous permet de reformuler la précédente proposition,
pour être plus complet, en disant qu'avant de
"projectiver"10 autrui, il convient de se "projectiver"
soi-même puisque l'acteur est relié à son action. Dans
cette action de "projectivation", il y a, pour être logique, une
part de "retroprojection"11 (à prendre au sens
étymologique) du regard. Définissons alors la
"projectivation" comme l'ensemble des mouvements de notre regard sur un
sujet/objet, englobant la "retroprojection" avec la projection.
Le schéma qui suit (cf. fig.1, p.12) se propose comme
illustration, en guise de complément à cette explicitation sur le
positionnement du chercheur par rapport à son sujet/objet
d'étude. Une telle posture est aussi appropriée pour toute
personne exerçant des responsabilités
dans une institution de prestation de services à
caractère social ou éducatif.
9 Edgar Morin (2001), La méthode 5.
L'humanité de l'humanité, Coll. Points, Seuil, p. 84
10 Projeter, même en tenant compte des
éléments du passé, suppose une perspective qui
s'étale vers l'avenir, qui se conjugue au futur avec la grande part de
l'hypothétique que cela recouvre. Or nous voulons exprimer à
travers ce néologisme "projectiver" l'inscription d'un
acteur objectivé et subjectivé à la fois, dans un
projet qui peut être totalement achevé, conjugué
à l'imparfait avec un plus grande par d'interprétation et
modélisation a posteriori (postjectivation)
possible. Pour autant, nous ne perdons pas de vues que tout peut s'inscrire en
un temps dans un continuum "passé-futur" de l'acteur de sa vie.
11 En tant qu'observateur présent, nous
proposons d'appeler retroprojection tout regard sur une vie de projet aboutie
dans le passé, contrairement à la projection qui suppose
un regard devant, vers l'avenir. Ainsi, une Projectivation peut
inclure une Retroprojection et une Projection.
Chercheur
Projectivation
=
(Subjectivation + Objectivation)
Retroprojection
(Rétrospective)
Projection
(Prospective)
Retro-projet Projet
Acteur
(Sujet / Objet)
Passé Présent
Futur
Figure 1 : La "Projectivation"
L'autre motif fondamental de la démarche
réflexive autoréférentielle, incluant tout ce que nous
venons de voir, se résume dans la prise de conscience du fait que
l'heuristique même de cette recherche-action en interaction avec
l'action-recherche s'enracine dans le "terreau expérientiel" (C.
Gérard, 1999)12. De là découle un nouveau
système d'actions résultant de la dialogie
engagement-dégagement. Ce système évolue dans un nouveau
contexte pour opérer une projection véhiculée par et
véhiculant l'hypothèse de C. Gérard (2006) selon laquelle
l'autonomie
de "l'élève" directeur procède de
l'action de se former en actionnant deux méta processus :
enracinement et fondement qui s'autoréfléchissent
dans leur rapport dialogique.
Sans contester la nécessité d'une
légitimation d'un ensemble de corpus scientifique dont des
chercheurs se sont fait la spécialité, tel n'est pas exactement
notre objectif
12 Christian Gérard (1999), Au bonheur des
maths. De la résolution à la construction des
problèmes, Paris, L'Harmattan.
ici puisque nous visons simplement à mieux partager
notre travail dans sa globalité ; mieux faire comprendre (voire,
com-prendre) les multiples nuances d'idées difficiles
à transmettre, dissimulées derrière les recoins de
nos perfectibles exposés. En résumé, cette partie
dite autoréférentielle s'inscrit dans une logique de la
démarche compréhensive caractérisée par le
binôme projet et son contexte, étant attendu que les deux
sont reliés par le chercheur. Comprendre le contexte, les
origines, les fondements et autres enracinements d'un projet de
recherche qui est en même temps un projet de professionnalisation,
éclaire certainement in fine
ses finalités.
Ainsi vient d'être explicitée, en quelques mots, la
pertinence méthodologique
de l'entrée en matière par une
autobiographie référencée afin d'élucider les
positions, les motivations et les valeurs qui portent et supportent ce
travail. Bref, les contextes axiologiques et socioprofessionnels qui
permettent d'identifier les enracinements - d'aucuns disent l'ancrage
(c'est plus dynamique)13 - de nos préoccupations. Mettons
alors en pratique la préconisation de
P. Ricoeur (1990)14 en commençant par nous
objectiver pour mieux objectiver. Nous veillerons,
par la suite, à garder cette idée en filigrane tout
au long de nos réflexions.
13 Toutefois, tout cela n'est que métaphore.
Chacun use de l'image qui convient mieux à sa sensibilité.
14 Paul Ricoeur (1990), Soi-même comme un
autre, Paris, Coll. Points, Seuil.
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