SECTION II : LE CONTENU DU MAINTIEN DE LA PAIX.
Le concept de maintien de la paix relève
essentiellement de la problématique de la sécurité
collective. C'est à dire d'un régime visant à
garantir multilatéralement, par un dispositif juridique
l'indépendance politique et l'intégrité territoriale de
chacun des Etats de
la communauté internationale, Impliquant un sens à
la fois dynamique et statique. En ce sens donc, on peut soutenir que le
maintien de la paix englobe l'idée de restauration aussi
bien
que de préservation, et par conséquent
peut exiger le recours à des moyens coercitifs autant que
préventifs.
Ceci dit, à première vue le règlement
pacifique des différends tel qu'il est mentionné dans la charte,
semble ne devoir être qu'une simple modalité préventive du
maintien de la paix. Cependant la réalité est plus complexe et ce
pour deux raisons:
D'une part, la pratique des organisations internationales
de sécurité collective, la
S.D.N.,(1919-1939) , et depuis 1945 l'O.N.U,
révèle que les procédures de règlement
pacifique sont souvent utilisées postérieurement au recours
à la force. Or souvent y'a des
situations qui ne demandent que la mise en oeuvre de ces
procédures de règlement pacifiques
plutôt que le recours à la force qui pourrait les
freiner dans leurs élans de destructions.
D'autre part, il apparaît que le règlement
pacifique des différends a une finalité en principe
curative, alors que celle du maintien de la paix est normalement
conservatoire.
Delà, le maintien de la paix constitue l'objectif
naturel de tout régime de sécurité collective. Mais
en tant que concept abstrait, la sécurité collective a
des origines très anciennes: elle a fait l'objet d'innombrables
projets avancés par des hommes d'Etat, des intellectuels de
renom ou de simples utopistes (Sully, Jeremy Bentham, Emmanuel
Kant, William Penn, Emeric Crucé, l'abbé de
Saint-Pierre...), depuis le XIVe siècle
jusqu'à la première guerre mondiale. Elle n'a trouvé son
expression juridique qu'en 1919 avec le pacte
de la S.D.N. Celui-ci garantissait en effet,
l'intégrité territoriale et l'indépendance politique
des pays membres contre toute agression extérieure, et
proclamait le principe de l'indivisibilité de la paix36, tout
en affirmant la solidarité automatique de la communauté des Etats
membres en cas d'agression37. Cela dit, son dispositif
reposait sur le triptyque désarmement-règlement pacifique des
différends-sanctions économiques. Mais l'expérience
de la S.D.N. en matière de sécurité
collective a été considérée comme celle de la
faillite de la paix. Ainsi, compte tenu des leçons de l'entre
deux guerres, le régime de la sécurité collective de
l'O.N.U. fut conçue à partir de l'idée selon laquelle
le fardeau du maintien de
la paix devait obligatoirement incomber aux cinq grandes
puissances victorieuses.
Dés lors la nouvelle organisation mondiale a pu disposer
de pouvoirs plus importants
que ceux de la S.D.N., pour la simple raison que ces
pouvoirs revenaient en réalité aux membres permanents du
conseil de sécurité. Cela explique que dans la
problématique initiale
de l'O.N.U., le désarmement et même le
règlement pacifique des différends occupent une
36 Le pacte de la SDN stipule que : « toute
guerre ou menace de guerre, qu'elle affecte directement ou non 'un des membres
de la
Société, intéresse la Société
tout entière »
37 Ibid. « Si un membre de la
Société recourt à la guerre [...], il est ipso facto
considéré comme ayant commis un acte de guerre contre tous les
autres membres de la Société. »
place assez secondaire par rapport aux sanctions militaires et
non militaires que le conseil de sécurité a toute latitude de
décréter par décisions juridiquement obligatoires en
vertu du chapitre VII de la Charte. Celle-ci fut en tout cas
élaborée dans la perspective d'un monde placé sous
l'égide d'un directoire de pays au-dessus de tout
soupçon, puisque dotés d'un droit de veto conférant
d'avance à chacun d'eux une totale immunité politique, et
entre lesquels était censée régner une harmonie politique
durable.
Toutefois, les débuts de la guerre froide en 1947,
rendirent aussitôt caducs les postulats sur la base desquels reposait
la Charte à savoir ceux de la responsabilité naturelle,
de la probité morale et de l'entente continue
des grandes puissances. La création de l'O.T.A.N., en 1949,
puis la conclusion du pacte de Varsovie en 1955,
confirmèrent que la sécurité collective
n'était comme à l'époque de la S.D.N., qu'un mirage dans
les relations internationales. Ainsi, le conseil de sécurité
sous la pression des circonstances renonça
tacitement à l'objectif de la sécurité
collective au profit de celui de la gestion limitée des crises.
Dés lors les opérations dites de maintien de la paix, entreprises
sur une base ad hoc et
à l'aide de contingents nationaux pourvus de casques
bleus portant le logo de l'O.N.U., aller traduire une mutation qui de nos jours
reste le moyen le plus adéquat pour le maintien de la paix
38.
En effet, dans une période fortement
imprégnée du spectre de la guerre, à l'heure où
le monde se trouve scinder en deux portions idéologiques
antagonistes; bref dans un climat
de tension cadencé par un fragile
équilibre des forces nucléaires, dans sa formulation, le
maintien de la paix et de la sécurité internationales ne pouvait
pas ignorer ce contexte. C'est dans ce sens qu'on peut comprendre le maintien
de la paix comme moyen de préserver tout d'abord la paix dans cette
période que l'on appelle communément guerre froide, avant de le
prendre dans le sens de préserver les générations futures
du fléau de la guerre.
Ce faisant à cette époque les
opérations en questions n'allaient avoir qu'un but modeste qui se
résume à la stabilisation de certaines situations conflictuelles.
Dés lors forces neutres et non combattantes, les Casques bleus
qui constituent l'élément moteur des opérations de
maintien de la paix n'entrent en scène qu'avec l'aval des
parties et ne stationnent sur le territoire de l'une d'elles qu'avec l'accord
exprès du pays hôte39; et ils ne
sont autorisés à utiliser la force qu'en cas de
légitime défense.
Ainsi, les Casques bleus peuvent être
considérés comme des soldats sans ennemis: ils n'interviennent
pas comme dans un régime de sécurité collective
à titre de gendarmes chargés de châtier un agresseur,
mais comme de simples «pompiers» dont la seule tâche est
de maîtriser un sinistre dont l'origine ou les
responsabilités ne les concernent pas40.
Toutefois, Au terme du paragraphe premier de l'article
24, la disposition indiquant qu'«en s'acquittant des devoirs
que lui impose cette responsabilité le conseil de
sécurité
38 Voir à Ces propos : paix et maintien de la
paix, Encyclopaedia universalis 8. (Sur Cd Room ): 2002 Encyclopaedia
Universalis
France S.A.
39 Exception faite de l'expérience congolaise
(1960-1964)
40 Casques bleus déployés en Afrique
jusqu'en 1990: Opérations des Nations Unies au Congo (O.N.U.C.)
1960-1964 ; Groupe d'assistance des Nations Unies pour la période de
transition en Namibie (G.A.N.U.P.T.) 1989-1990.
agit» au nom de l'organisation, laissent entrevoir
un probable appréciation discrétionnaire ainsi qu'une
légitimité d'avance du conseil de sécurité quant
aux méthodes de mise en oeuvre
du maintien de la paix. Mais le paragraphe 2 de ce même
article vient délimiter de jure cette dernière en
précisant que «Dans l'accomplissement de ces devoirs, le
Conseil de sécurité agit conformément aux buts et
principes des Nations Unies». De plus le même paragraphe ajoute
que les pouvoirs spécifiques accordés au Conseil de
sécurité pour lui permettre
d'accomplir lesdits devoirs sont définis aux
Chapitres VI, VII, VIII et XII. Il apparaît donc clairement que
cette notion de maintien de la paix et de la sécurité
internationales n'est pas totalement laisser à un pouvoir
discrétionnaire du conseil de sécurité, comme l'a
démontré magistralement Mohammed Bedjaoui : «un organe
crée par un traité est d'évidence soumis
à celui-ci dans son existence, sa mission et ses
pouvoirs. Le conseil de sécurité doit obéir
aux dispositions de la charte dans sa mission au
service de l'organisation des Nations
Unies41».
L'idée véhiculée par cette notion qui
tende à préserver la paix et la sécurité
internationales se retrouve donc soumise au même titre que les autres
fins de l'organisation,
au même régime juridique que les autres fins des
Nations Unies. D'autant plus que, compte- tenu des implications à la
fois politiques, économiques voir sociologiques qu'engendre le
maintien de la paix, il est tout à fait louable qu'elle soit liée
au besoin, aux autres fins de
l'organisation. A ce titre, il est significatif d'évoquer
l'article 65 de la charte qui dispose
que «Le Conseil économique et social peut fournir
des informations au Conseil de sécurité
et l'assister si celui-ci le
demande42». C'est ainsi que dans son rapport
l'ex-secrétaire général de l'O.N.U, disait que
«Dans ce nouveau contexte international, nous
nous
somme engagés résolument et de
concert sur le chemin qui conduit à la paix et à la
sécurité, au progrès économique et
l'équité sociale, à la démocratie et au respect des
droits
de l'homme. [...]. A l'heure actuelle, nous
saisissons mieux l'origine des problèmes que la
sécurité implique bien d'avantage
que des questions de territoires et d'armements. Nous comprenons que les
lacunes du développement économique, social et politique
sont les causes des conflits43».
Cependant, pour mieux apprécier le contenu de cette notion
de maintien de la paix et
de la sécurité en Afrique, il nous faut revenir
tout au début des années 90. Plus précisément
le 31 janvier 1992, pour la première fois dans son
histoire le conseil de sécurité s'est réuni au niveau des
chefs d'Etats ou de gouvernement et a adopté une importante
déclarations. Dans celle-ci les quinze invitaient le secrétaire
général de l'organisation B.B Ghali, à élaborer une
étude et des recommandations sur le moyen de renforcer la
capacité de l'organisation dans
les domaines de la diplomatie préventive, du maintien et
du rétablissement de la paix et sur
la façon d'accroître son efficacité dans le
cadre des dispositions de la charte. Le 23 juin de la même année,
B.B Ghali a remis ses propositions sous forme d'un petit rapport
d'une
soixantaine de pages, intitulé « AGENDA POUR
LA PAIX ». Depuis cette date, la technique des
«AGENDAs», est devenue aux Nations Unies une pratique
courante. Sont
41 Mohammed Bedjaoui, Nouvel ordre mondial et
contrôle de la légalité des actes du conseil de
sécurité, p 24, Bruylant
Bruxelles, 1994
42 Ibid. charte des Nations Unies, p 43.
43Rapport de l'ex-secrétaire
général de l'O.N.U, Boutros. B. Ghali, septembre 1994.
Voir aussi : Daniel Colard, la société internationale
après la guerre froide, P 8, édition Armand Colin, 1996.
venus ainsi s'ajouter «un agenda sur l'environnement
», adopté au Sommet de RIO en juin
1992, un «agenda de vie » en date de 1993,
et un «agenda pour le développement », appelé
aussi action 21 en date de mai 1994. Ces quatre rapports se
complètent et souligne les nouvelles préoccupations dignes
d'intérêt et débouche sur une nouvelle stratégie
internationale de la paix et la sécurité.
Le plus significatif et le plus connu est l'agenda pour la
paix, dans lequel on trouve d'une façon très
détaillée le contenu de cette notion de maintien de la paix et de
la sécurité internationales, et dont l'essentielle concerne
quatre grands problèmes qui sont: Le développement de la
diplomatie préventive, Le rétablissement de la paix, Le maintien
de la paix, la consolidation de la paix et la coopération avec
les accords et les organismes régionaux. Ces techniques dites de
«prévention de la paix » sont singulièrement
définies de
la façon suivante :
- La diplomatie préventive a pour objet d'éviter
que des différends ne surgissent entre
les parties, d'empêcher qu'un différend existant ne
se transforme en conflit ouvert, et si un conflit éclate, de faire en
sorte qu'il s'étende le moins possible.
- Le rétablissement de la paix vise à rapprocher
des parties hostiles, essentiellement
par des moyens pacifiques tels que ceux prévus au
chapitre VI de la charte des Nations
Unies.
- Le maintien de la paix consiste à
établir une présence des Nations Unies sur le terrain; ce
qui n'a jusqu'à présent été fait qu'avec
l'assentiment de toutes les parties concernées, et s'est normalement
traduit par un déploiement d'effectifs militaires et/ou de police des
Nations Unies, aussi dans bien des cas de personnel civil. Cette technique
élargit
les responsabilités de préventions des conflits
aussi bien que de rétablissement de la paix.
- La consolidation de la paix après les conflits qui est
un concept entièrement nouveau, traduit une action menée en vue
de définir et d'étayer les structures propres à raffermir
la
paix afin d'éviter une reprise des hostilités.
En somme, on peut dire que la diplomatie préventive vise
à régler les conflits avant
que la violence n'éclate. Le rétablissement et le
maintien de la paix ont pour objet de mettre
fin aux conflits et de préserver la paix une fois qu'elle
a été instaurée. En cas de succès, l'un
et l'autre débouchent sur la consolidation de la paix
après les conflits, contribuant ainsi à empêcher que les
actes de violence ne reprennent entre les nations et les peuples.
Quant aux techniques utilisées pour l'application de ces
divers procédés du maintien
de la paix et de la sécurité
internationales, en ce qui concerne le recours à la diplomatie
préventive, il recommande : l'utilisation de mesures visant
à renforcer la confiance; le recours aux procédés
d'établissement des faits; la mise sur pied d'un réseau
de système
d'alerte rapide; le déploiement préventif
dans quatre zones en crises d'une présence onusienne et la
création de zones démilitarisées des deux
coté ou d'un seul coté d'une frontière. Pour le
rétablissement de la paix44, il implique la saisine de la
cour internationale
de justice ainsi que l'organisation d'une action internationale
pour améliorer la situation qui
a donnée naissance au différend ou au conflit sous
la forme d'une assistance aux personnes
44 Chapitre VI de la charte des Nations Unies.
ou mobilisation des ressources ce qui fait recours si
nécessaire aux sanctions économiques45 . Enfin en
cas d'échec au chapitre VI de la charte, la
sécurité collective autorise le passage au chapitre VII
pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité
internationales en cas de «menace contre la paix, rupture de la
paix ou d'acte d'agression46».
Pour ce qui est des sanctions coercitives, la plus
grave est prévue par l'article 42 à savoir : l'action
militaire, c'est à dire le recours à la force armée
ou tout simplement à la violence47 . Plus
intéressant aussi est la technique du maintien de la paix
à la quelle on retrouve des missions d'observations ou
d'interposition inventée par l'O.N.U à l'occasion
de la crise de Suez en date de 1956, plus connue
sous l'appellation «d'opération de maintien de la paix
» (OMPs). Notons à ce propos qu'on a compté treize OMPs
pendant la guerre froide, et plus d'une vingtaine depuis le bouleversement
survenu après 1989. De nos
jours la demande d'intervention ne cesse de
s'accroître comme en témoigne la situation actuelle au
Côte d'Ivoire, bien que les OMPs récents doivent satisfaire
de nouveaux besoins; d'où la diversification des missions qui par
conséquent occasionnent des coûts de plus en plus
élevés quant au niveau des moyens à
rassembler48.
Enfin, la consolidation de la paix ou la construction
de la paix se pose après les conflits. Elle vise à
instaurer un environnement favorable, par une série de mesures
politiques, économiques et sociales pour éviter qu'ils
n'éclatent à nouveau. Et dans l'ensemble on peut dire donc
que cette conception du maintien de la paix et de la sécurité
internationales est très novatrice et donne un contenu
très large à la notion de sécurité collective
dont l'O.N.U a la charge, et par-là même l'importance du
conseil de sécurité. C'est dans ce sens que l'Afrique
où souvent la conjoncture politique et socio-économique
laisse à désirer, et où les questions s'articulent
en grande partie autour des conflits, a contribué de façon
évidente à ces innovations de la sécurité
collective notamment à partir
des années 90.
Cependant, une question assez pertinente s'impose :
Quel est le contenu juridique, politique et surtout
sécuritaire de la compétence du conseil de sécurité
en Afrique ? C'est ce que nous allons voir dans notre premier chapitre
ci-après sous
l'intitulé : Champ d'action du conseil de
sécurité en afrique.
45Article 41 de la charte des Nations Unies.
46 CHAPITRE VII / Action en cas de menace contre
la paix, de rupture de la paix et d'acte d'agression.
Article 39 « Le Conseil de sécurité
constate l'existence d'une menace contre la paix, d'une rupture de la
paix ou d'un acte d'agression et fait des recommandations ou
décide quelles mesures seront prises conformément aux
Articles 41 et 42 pour maintenir ou rétablir la paix et la
sécurité internationales »
47Exemple : le feu vert donné par le
conseil de sécurité sur la base du chapitre VII
précité à la coalition contre l'Irak le 25
novembre 1990.
48 Moyens Logistique, personnel, matériel,
sécurité du personnel, transport, ...
Notes :
.Certains des passages de ce
deuxième point sur le maintien de la paix et la sécurité
internationales, notamment à partir de l'«AGENDA POUR LA
PAIX », sont tirés presque
intégralement dans l'ouvrage précité de
Daniel Colard, « La société Internationale après la
guerre froide », P 8 et P31.
. La notion ou aussi le concept de maintien de la paix serra
utilisée tout au long de ce travail comme terme générique
englobant nécessairement :La diplomatie préventive ; le
rétablissement de la paix ainsi que la consolidation de la paix.
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