La Littérature Hypertextuelle, analyse et typologie( Télécharger le fichier original )par Aurélie CAUVIN Université de Cergy Pontoise - Maitrise de lettres Modernes 2001 |
4. Deux textes en parallèle : A vers B (lien retour)a) Qui veut tuer Fred ForestPierre de La Coste a construit Qui veut tuer Fred Forest ?225(*) sur le mécanisme qui offrent deux textes parallèles : le texte principal226(*) et le texte lié, qui se trouve en fin de texte227(*). Tous les liens sont le nom du chien « Platon », lorsque l'on clique sur Platon, nous sommes amenés sur une page où les pensées du chien sont retranscrites, un lien de retour existe avec le titre « retour aux hommes ». Le lecteur effectue donc un va-et-vient entre le texte A et le texte B, toujours relié au texte A : A (Platon) B (retour aux « hommes ») A. Le procédé est systématisé, en voici un exemple : « Profitant du silence qui suivit cette remarque, Platon poussa un jappement bref et lamentable, sans raison, simplement pour attirer l'attention sur lui »228(*) (Texte A) « Moi aussi, je suis amoureux de cette jeune fille parfumée. Je devine en elle une source inépuisable, d'affection et de douceur, notamment sous la forme énergétique, et cristallisée du morceau de sucre. Mais moi, depuis le début j'avais prévu le dénouement rapide et physique de la rencontre. Contrairement à eux. Elle a donc été séduite par la parade nuptiale de mon maître, qui consiste à jeter des substances liquides à l'odeur forte sur tous les objets de la pièce, à l'aide d'une sorte de queue poilue.229(*) J'ai toujours pensé que c'était une curieuse manière de marquer son territoire. Mais cela marche. Je suis content de toi Fred »230(*) (Texte B) Retour aux « hommes » (renvoi vers le texte A) Pierre de la Coste créé un aller-retour, du monde humain aux pensées du chien, jouant sur le mécanisme focalisation externe (texte A), focalisation interne (texte B). Tous les liens correspondent au nom du chien « Platon », jouant sur l'analogie avec le philosophe, et sur la dichotomie « homme/animal », « doué de parole/non doué de parole ». Le texte ci-dessus nous invite à reconsidérer l'hypertexte. En effet le récit principal est ponctué d'incises nous offrant les pensées du chien, sur son maître, ses envies...Les incises ont pour fonction de changer de point de vue, elles fonctionnent non seulement sur deux mondes parallèles mais aussi deux mondes opposés. Par exemple le chien ne comprend pas l'activité de son maître : soit la peinture. Les récits superposés créent ainsi un décalage entre l'humain et l'animal. b) Poids de naissanceLe texte Poids de naissance231(*) se fonde sur le processus de deux textes parallèles. Mais alors que les liens étaient de même nature pour l'oeuvre de La Coste, les liens sont établis suivants différents processus. Poids de naissance développe le thème suivant : à Singapour, une femme vient d'accoucher. À ses angoisses de jeune mère se mêlent les réflexions, les préoccupations d'une amoureuse - passionnée et fantaisiste - de l'écriture d'autrui. Cet ouvrage effectue des allers-retours entre les pensées de la jeune mère inquiète et les textes littéraires dont ces réflexions se nourrissent et qu'elle évoque. Comme pour Qui veut tuer Fred Forest, le texte est organisé en deux parties, la première est le texte principal232(*) ( la seconde, le texte B233(*). Chaque texte B contient un lien retour vers le texte principal. Les liens oscillent entre commentaire de la narratrice et citations d'oeuvres choisies. Ces dernières se fondent sur les lectures de la narratrice. Car le personnage, « prépare une sélection d'ouvrage qu'elle doit transmettre au comité de traduction et leur présentation, (du moins le volet français de cette dernière). » Les textes choisis en citation répondent au projet de la femme, son financier, l'explique : « Je te signale du reste que ton actuelle sélection ne comporte que cinq auteurs : Cendrars (du monde entier ou au coeur du monde tu n'as pas daigné de décider, Chawaf, Le Clézio, Rio et Frances H. Burnett. » A la lueur de ce projet, les textes vers lesquels nous renvoient les liens sont explicites. Du point de vue typographique les commentaires de la narratrice apparaissent en italique alors que les textes cités sont entre guillemets et la source nous est indiquée. Sur un total de 33 liens, 18 liens nous renvoient vers des extraits d'oeuvres : Michel Rio, le Perchoir du Perroquet (12 fois) ; J. H. Burnett, la Petite Princesse (4 fois), d'autres n'apparaissent que ponctuellement, George Orwell, 1984 (une fois), Ghail Sheedy, l'enfant khmère, Tzvetan Todorov, Face à l'extrême, et enfin G. Perec pour les choses et Espèce d'espaces. Pour chaque texte ci-dessus sont données les références. Mais parfois les textes ne sont pas explicites dans le sens où la narratrice ne parvient pas à effectuer un choix. Ils apparaissent comme des commentaires de la jeune femme relatifs à des lectures, comme Blaise Cendrars, Perec, J. M. G. Le Clézio...Ainsi Perec est présent une fois en citation (les choses), et une seconde fois pour Espèces d'espaces et en relation avec un choix difficile à faire : « la nuit dernière, va-et-vient entre Les Choses et Espèces d'espaces », comme pour Blaise Cendrars ou elle hésitait entre deux textes dont les références pour Du monde entier234(*) et pour Au coeur du monde.235(*) Certains textes ne sont pas cités, mais la narratrice ponctue le texte de leurs références, ainsi Chantal Chawaf n'est jamais citée mais il y est fait allusion à plusieurs reprises, le sponsor s'y opposant, les commentaires de la narratrice apparaissent comme des justifications, des nuances, des dilemmes. Texte A 236(*) « Lis Chawaf, Lis Cercoeur, ça te changera de tes bilans en dollars » Texte B237(*) « En crevant quelle bulle, en chevauchant quelles vapeurs, en remontant quelle coulée de pâte pénétrer là-dedans ? Chawaf ou le jaillissement du deuil. Résonne le glas célébrant toute perte : au commencement est la séparation. Nul ne se souvient du moment fusionnel où les êtres, les sexes étaient un - avant la naissance, pendant l'amour et peut-être au lisière de l'Eden. Sinon pour témoigner de sa ruine. » ou encore « Cela ne vaut-il pas pour l'amour maternel, rémanence, de la symbiose qui hante Chawaf. » 238(*) Le choix de Chawaf peut s'expliquer d'une part par les angoisses de la jeune mère, juste après l'accouchement. Tous ces ouvrages alternent le récit, soit sous le l'apparence du commentaire, soit du souvenir de lecture. Lorsque ce sont des citations l'auteur joue sur l'effet suivant : la lecture apparaît comme contemporaine à la narration, le temps du récit coïncide au parcours de lecture. Par exemple le passage de Michel Rio à J. H. Burnett est annoncé ainsi : « J'en profite pour lire tout autre chose », le lien tout autre chose est une passerelle vers la petite princesse239(*) dont elle nous livre l'incipit. Elle utilise également ce procédé dans le système d'argumentation : de l'argument à l'exemple, qui permet de justifier le premier, par exemple pour la citation de Todorov était introduite ainsi : « Todorov à également conduit des études sur la vie quotidienne dans les camps de concentration »240(*) le lien241(*) « vie quotidienne » relie l'argument au texte dont elle fait référence : « Il faut cependant introduire ici une distinction, où plutôt la notion de seuil de souffrance, au-delà duquel les actes d'un individu ne nous apprennent plus rien sur lui (...) ce n'est pas sous la torture que l'être humain révèle sa véritable identité. Tzvetan Todorov, Face à l'extrême, Le Seuil, 1991 Le lien permet un va-et-vient entre la jeune femme et la lectrice, entre son vécu et ses lectures qui viennent éclairer le texte. Le parcours de la jeune femme, ses angoisses, les choix qu'elle doit effectuer entre les différents livres. Le texte de Michel Rio, le plus présent, est un roman sur la religion chrétienne et ses fondements, sur la place de l'homme, Dieu, à travers un prêtre. Les textes A et B sont donc liés par les lectures. Alors que Pierre de la Coste utilisait à chaque fois le même lien Hélène Honnorat n'utilise parfois pas le même lien, et de plus le lien retour se trouve modifié. Par exemple il peut y avoir un passage du singulier au pluriel ou du pluriel au singulier comme pour les liens relatif à bourreau/x, cri/s, mort/s. Le passage peux exprimer un passage du général au particulier, mais dans le cas de l'adjectif mort le mécanisme repose sur la qualification, elle est attribuée aux deux passages, le premier est relatif aux journalistes, le second à un personnage fictif, le père de Sara dans la Petite Princesse, l'analogie se situe « quatre vingt deux journalistes sont morts cette année dans l'exercice de leur fonction », et « il est mort », les deux adjectifs occupent dans la phrase la même fonction grammaticale : ils sont attributs du sujet, le changement s'effectue sur le sujet, qui passe du pluriel au singulier. Il y a aussi passage du réel au fictif, une situation alarmante la première est comparée à cette même situation transposée dans la fiction. Nous avons aussi des mécanismes tels que le passage du substantif à l'adjectif : « lumière/lumineux », des relations sur le temps du verbe « on pourrait/supporteraient », les deux au conditionnel présent. Des relations synonymiques : «enfants/marmots». Marmots appartenant au registre familier, la synonymie joue sur le changement de registre. Cependant d'autres jouent sur d'autres mécanismes et figures de style. * 225 Pierre, La Coste (de), Qui veut tuer Fred Forest, [format PDF] Paris, 00h00.com, « collection 2003 ». * 226 ibid. p 12 à 181 * 227 ibid. p 183 à 213 * 228 ibid. p 29 * 229 Le personnage Fred est peintre. * 230 ibid. p 186 * 231 Hélène, Honnorat, Poids de naissance, [format PDF], Paris, 00h00.com, « collection 2003 ». * 232 ibid. p 10 à 54 * 233 ibid. p 56 à 81 * 234 ibid. p 56 * 235 ibid. p 66 * 236 ibid. p 18 * 237 ibid. p 59 * 238 ibid. p 63 * 239 ibid. p 73 * 240 ibid. p 50 * 241 ibid. p 80 |
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