III.2. L'Initiative PPTE comme système de
développement au Cameroun
La mise en oeuvre de l'Initiative PPTE met en exergue une
« configuration développementiste » constituée des
promoteurs de projets, du CCS/PPTE et des bénéficiaires des
projets. Dans cette mise en oeuvre, le CCS/PPTE a une position médiane
qui lui confère un rôle déterminant dans l'exécution
du volet social de l'Initiative PPTE. Mais son efficacité dépend
à la fois de la demande (projets) ou « input » qu'il
reçoit des promoteurs de projets et de sa capacité à
traduire ces demandes en réponses ou « output »
appropriés aux attentes des bénéficiaires. Ainsi, de la
réaction des bénéficiaires aux réponses du CCS/PPTE
ou « feedback », s'amorcent de nouvelles demandes. L'analyse
systémique permet de rendre compte de la capacité du volet social
de l'Initiative PPTE à lutter contre la pauvreté au Cameroun,
à travers l'analyse « input-output » de la mise en oeuvre de
ce volet.
III.2.1. Les « input » de la mise en
oeuvre de l'Initiative PPTE
Les « input »orientés vers l'organe de
gestion des projets PPTE, le CCS/PPTE, sont constitués de projets,
lesquels projets sont acceptés moyennant le respect des principes y
relatifs en vigueur.
III.2.1.1. Les « input » du CCS/PPTE :
des projets à portée limitée sur la réduction de la
pauvreté
De par leurs domaines restreints et leurs actions
limitées dans le temps, les projets PPTE ont une portée
limitée sur la réduction de la pauvreté au Cameroun.
Restreints aux domaines de l'éducation, de la
santé, du développement social et rural, des infrastructures et
de la gouvernance, les projets relèvent exclusivement du social et
n'intègrent pas les aspects économiques. Ils visent
l'amélioration des conditions de vie de la population par leur dotation
en infrastructures susceptibles de favoriser leur accès à
l'éducation, aux soins de santé primaires, au
développement social et rural, aux voies de communication et à la
citoyenneté.
Cette restriction dans le financement des projets PPTE pose le
problème de l'accès des populations cibles aux services offerts
par ces projets. A ce sujet, ces propos de cet informateur sont assez
révélateurs des difficultés d'accès des populations
aux services offerts par ces projets :
« Comment accéder à l'éducation,
à la santé et à d'autres services offerts par les projets
PPTE quand on est financièrement pauvre, quand on est démuni ?
L'accès à l'éducation, à la santé et autres,
nécessite à la base une capacité financière de la
part de populations cibles. »
Autrement dit, la restriction des projets PPTE au social fait
obstacle à leur opérationnalité sur la réduction de
la pauvreté. C'est pourquoi, affirme cet autre informateur :
« L'accent devrait être mis sur les PME, en
créant des pôles et pépinières d'entreprises car,
avec l'approche de la lutte contre la pauvreté de l'Initiative PPTE, on
court le risque d'arriver à des situations où il existera des
salles de classe sans élèves, des hôpitaux sans malades
»
De plus, les projets PPTE ont des actions limitées dans
le temps. Il s'agit d'un ensemble d'activités ponctuelles. Mis sur pied
pour accompagner les réformes macroéconomiques engagées
dans le cadre de l'Initiative PPTE, les projets PPTE s'inscrivent dans une
durée très limitée, contrairement aux réformes
macroéconomiques qui sont de longue durée. Et dans ces
conditions, le risque encouru est celui de la résurgence des
conséquences sociales néfastes des réformes, du fait de la
limitation des mesures d'accompagnement dans le temps.
Pour toutes ces raisons, les projets PPTE se
révèlent d'une portée limitée sur la lutte contre
la pauvreté au Cameroun. Qu'en est-il des principes de soumission de ces
projets au CCS/PPTE ?
III.2.1.2. Les principes de soumission des projets
PPTE : des principes limitatifs
Les projets destinés au financement PPTE sont soumis
à des principes aussi rigoureux qu'ils ne favorisent pas la soumission
des projets par de nombreux promoteurs.
Dans le souci du respect des principes de la bonne
gouvernance, les projets destinés au financement PPTE, sont soumis au
respect des critères de conformité et des critères
d'évaluation. La conformité à tous ces critères
nécessite de la part des promoteurs de projets de bonnes connaissances
en matière de montage et de gestion des projets de développement.
Dans le cadre de l'Initiative PPTE, les promoteurs des projets viennent
d'origines diverses et ne sont pas toujours à la hauteur des exigences
liées à la soumission des projets. C'est pourquoi, dans les
départements ministériels que nous avons approchés, des
Cellules de projets PPTE ont été créées et
placées sous la direction d'un personnel formé ou en cours de
formation. A cet effet, en dehors des départements ministériels
et des collectivités territoriales décentralisées, seules
les organisations de la société civile assez bien
structurées parviennent à soumettre des projets éligibles
au financement PPTE. Sur 48 projets soumis au CCS/PPTE et évalués
lors de la réunion du 27/11/2003par exemple, 23 projets ont
été soumis par les départements ministériels, 23
par les organisations de la société civile et 02 par les
communes. S'agissant des projets validés en février et octobre
2004, 05 ont été soumis par les départements
ministériels et 03 par les organisations de la société
civile, sur un total de 08 projets.
En définitive, les projets PPTE, du fait des principes
de soumission faits de critères contraignants, sont de promotion
difficile. Ces contraintes excluent de la promotion des projets PPTE une frange
importante de potentiels promoteurs de projets. Du fait de ces mêmes
principes, la soumission des projets PPTE a connu une timidité
inquiétante au début du fonctionnement du CCS/PPTE. Au total, les
« input » du CCS/PPTE sont à la fois de portée
limitée et de principes limitatifs. Ses « output »
échappent-ils à cette réalité ?
III.2.2. Les « output » de la mise en
oeuvre des projets PPTE
Les « output » ou les réponses du CCS/PPTE
aux projets qui lui sont soumis sont constitués des financements et des
procédures.
III.2.2.1. Les « output » du CCS/PPTE :
des réponses limitées
Les réponses apportées par les CCS/PPTE aux
demandes des promoteurs sont insuffisantes.
Les projets soumis au CCS/PPTE et déclarées
éligibles à l'issue de leur examination,
bénéficient du financement PPTE. Le montant de ce financement, en
raison du volume des projets à financer, n'est pas toujours
proportionnel au montant nécessaire pour la réalisation des
projets soumis comme l'illustre le propos de cet informateur de MINADER :
« Les allocations faites pour les projets PPTE sont
insuffisantes, pourtant l'agriculture est la base de l'économie
nationale ».
Cette insuffisance à laquelle font allusion les autres
Institutions ayant servi de cadre à notre étude, pose le
problème du fonctionnement de la structure d'élaboration, de
suivi et d'évaluation des projets :
« Les projets PPTE, au regard des autres projets
financés par d'autres fonds, ont des problèmes de fonctionnement,
ils ont un problème de motivation du personnel affecté aux
projets, car le financement PPTE ne prend pas en compte le budget de
fonctionnement.»
En plus de ces insuffisances relevées dans le
financement des projets PPTE, les « output » du CCS/PPTE ont un
problème de cohérence par rapport aux objectifs des projets
à réaliser.
III.2.2.2. Les « output » du CCS/PPTE :
des réponses incohérentes
Les réponses du CCS/PPTE aux demandes qui lui sont
adressées, sont faites de procédures qui ne permettent pas la
réalisation cohérente des projets.
Adossés au budget de l'Etat et soumis à la
procédure de décaissement des fonds au trésor public, les
fonds PPTE posent le problème du respect du chronogramme des projets
dans leur acheminement. Du fait « des circuits administratifs faits de
lourdeurs bureaucratiques », « l'acheminement des fonds PPTE est en
déphasage avec le chronogramme des projets». Ce déphasage
constitue un obstacle pour les projets à réalisation
saisonnière (projets agricoles et autres) en particulier, et pour
l'atteinte des objectifs de lutte contre la pauvreté en
général.
Ces difficultés liées à la
procédure d'acheminement des fonds PPTE, associées à
l'insuffisance desdits fonds, engendrent des incohérences dans la mise
en oeuvre des projets PPTE. Elles sont à l'origine du report des
activités relatives aux projets, de la restriction de leurs objectifs,
de leur réalisation séquentielle, avec pour conséquence
leur opérationnalité tardive sur la réduction de la
pauvreté au Cameroun. Pour ces raisons, les « output » du
CCS/PPTE sont incohérents par rapport aux objectifs des projets
déclarés éligibles d'une part, et par rapport aux
objectifs de réduction de la pauvreté au Cameroun d'autre
part.
En somme, l'approche systémique nous a permis
d'apprécier la capacité du volet social de l'Initiative PPTE
à réduire la pauvreté au Cameroun, à travers
l'analyse de ses « input » et de ses « output ». Il en
ressort que les « input » de cette Initiative sont de portée
limitée sur la réduction de la pauvreté au Cameroun, du
fait de leurs principes limitatifs. Les « output » quant à eux
sont limités et incohérents par rapport aux objectifs de
réduction de la pauvreté visée par les projets. Ces
insuffisances du volet social de l'Initiative PPTE ne favorisent pas son
efficacité sur la réduction de la pauvreté au Cameroun.
Par ailleurs, face à la rigidité des principes de mise en oeuvre
de cette Initiative se sont développées de la part de certains
promoteurs de projets, des stratégies d'accès au financement que
l'approche systémique ne permet pas d'appréhender. D'où la
nécessité d'une approche stratégique de la mise en oeuvre
de cette Initiative au cameroun.
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