III.3. La mise en oeuvre de l'Initiative PPTE au centre des
stratégies des promoteurs de projets
Face à la rigidité des principes de mise en
oeuvre de l'Initiative PPTE, certains promoteurs de projets ont
développé des stratégies qui leur permettent de surmonter
les exigences desdits principes. Ces stratégies sont mises en oeuvre
aussi bien dans la phase de soumission des dossiers de projets qu'à
celles de leur financement. L'analyse de ces stratégies est susceptible
de fournir des éléments nécessaires pour la
compréhension de l'impact de l'Initiative PPTE sur la réduction
de la pauvreté au Cameroun. Ainsi analyserons-nous les stratégies
développées par les promoteurs pour l'éligibilité
de leurs projets d'une part, et pour leur financement d'autre part.
III.3.1. L'éligibilité des projets
PPTE : les stratégies de courtage au service des promoteurs de
projets
Dans le cadre de la mise en oeuvre du volet social de
l'Initiative PPTE, les promoteurs de projets sont issus de la «
configuration développementiste » au Cameroun. Plus
précisément, ils constituent ce que Bierschenk et al
appelle les « courtiers locaux en développement »,
c'est-à-dire des acteurs sociaux implantés dans une arène
locale et qui servent d'intermédiaire pour drainer les ressources
extérieures relevant de l'aide au développement. Ces promoteurs
sont des porteurs locaux de projets de développement et assurent
l'interface entre les donateurs et les bénéficiaires des projets.
Ils sont censés représenter les populations locales
bénéficiaires ou en exprimer les besoins vis-à-vis de
l'organe en charge de la gestion des fonds PPTE. Mais, du fait de la
difficulté à remplir convenablement les critères exigibles
pour l'éligibilité de leurs projets, certains promoteurs ont
développé une stratégie d'éligibilité en
dehors de la démarche réglementaire en vigueur dans le processus
de financement des projets PPTE, il s'agit de la stratégie de
rapprochement.
En effet, suivant la démarche réglementaire
relative au processus de financement des projets PPTE, les promoteurs de
projets doivent déposer auprès du CCS/PPTE, un dossier de
projets remplissant les critères de conformité et
d'évaluation. Mais à travers la stratégie de
rapprochement, il est question pour les promoteurs qui optent pour cette voie,
de se rapprocher des experts du CCS/PPTE question de se parer des atouts
favorables à l'éligibilité de leurs projets.
Cette stratégie de rapprochement leur permet d'avoir ce
que Bierschenk et al appellent, s'agissant des courtiers en
développement, la « compétence scénographique».
Il s'agit d'une compétence qui permet aux promoteurs en question de
construire une « vitrine » qui puisse séduire les membres de
la Commission de sélection des projets PPTE et combler les attentes des
experts sectoriels chargés de l'évaluation des projets. Cette
« compétence scénographique » se traduit par «
l'art de faire croire » car, il est question pour les promoteurs de
projets de « fabriquer une réalité » conforme à
ce qu'on estime être les attentes de la Commission de sélection
des projets.
Dans cette stratégie de rapprochement, la «
compétence scénographique » mise en exergue par ces
promoteurs-« courtiers en développement » n'est pas à
l'avantage des bénéficiaires supposés de projets dont ils
sont porteurs. C'est ce que reconnaissent Bierschenk et al. lorsqu'ils
affirment :
« Le talent du courtier s'exprime moins dans son
habileté à « vendre » des initiatives venues « du
bas » qu'à répondre à la dynamique de « l'offre
de projet » qui provient du monde du développement ».
Ainsi, la stratégie de rapprochement mise en oeuvre par
certains promoteurs de projets PPTE constitue un obstacle pour l'atteinte des
objectifs de lutte contre la pauvreté visés par l'Initiative
PPTE, pour autant qu'elle dessert l'intérêt
général,surtout ceux des populations cibles, au profit des
intérêts particuliers des promoteurs rentiers. Une
stratégie similaire est également présente dans le
financement proprement dit des projets déclarés éligibles
à l'Initiative PPTE.
III.3.2. Le financement des projets PPTE : la
« politique du ventre » au service d'une canalisation
atypique
La «politique du ventre » mise à contribution
dans le financement des projets PPTE renvoie aux pratiques alimentaires et aux
activités d'accumulation dont fait allusion Jean-François Bayart,
parlant de la « gouvernementalité » en Afrique. Du fait de la
transposition de cette politique dans le financement des projets PPTE, les
fonds destinés à la réalisation des projets
déclarés éligibles font l'objet d'une canalisation
atypique.
En effet, suivant les dispositions réglementaires
relatives à l'acheminement des fonds dans le cadre du financement de
projets PPTE, les projets déclarés éligibles sont
confiés aux départements ministériels compétents
qui assurent le décaissement des fonds y relatifs et leur
réalisation. Mais sous l'effet de « la politique du ventre »,
la réalisation de certains projets en provenance des organisations de la
société civile, échappe à cette
réglementation. En fait, certains promoteurs de projets en provenance de
cette catégorie de la « configuration développementiste
» en viennent, par des stratégies de désintéressement
des responsables des Institutions étatiques en charge de leurs projets,
à se soustraire de la réglementation qui voudrait que les projets
soient réalisés par les Institutions auxquelles ils sont
confiés. Plus concrètement, ces promoteurs obtiennent l'autonomie
financière et technique de la gestion de leurs projets, en
concédant un pourcentage des fonds y relatifs aux personnes en charge
desdits projets dans les Institutions concernées. C'est par cette
stratégie de désintéressement qui renvoie à la
« politique du ventre » que cette catégorie de promoteurs
parvient à imprimer, de façon pratique, sa marque dans la
réalisation des projets PPTE au Cameroun.
Cette pratique dans le financement des projets PPTE met en
évidence le fait que les dispositions relatives à la bonne
gouvernance promue dans la mise en oeuvre de cette Initiative
n'échappent pas aux actions des « couches sociales «
crisocratiques » » nées avec « l'exacerbation de la
crise économique et l'ajustement structurel » au Cameroun.
En résumé, l'approche stratégique permet
de mettre en évidence le comportement des promoteurs des projets PPTE
face aux exigences de la réglementation y relative. Il apparaît
qu'ils mettent en oeuvre des stratégies à deux niveaux de
l'allocation des fonds PPTE : au niveau de l'éligibilité et
à celui du financement proprement dit. Ainsi, les stratégies de
courtage et de désintéressement respectivement mises en oeuvre
à chacun de ces deux niveaux, ne sont pas de nature à favoriser
la réduction de la pauvreté visée par l'Initiative PPTE.
Du fait de leur finalité égoïste, ces stratégies de
courtage et de désintéressement contribuent à la
production des inégalités car elles obéissent à une
démarche discriminatoire et aboutissent à des fins
également discriminatoires, pour autant qu'elles ne profitent
qu'à des privilégiés et non à l'ensemble des
populations, notamment aux populations réellement
nécessiteuses.
Ce chapitre consacré aux mécanismes de mise en
oeuvre de l'Initiative PPTE au Cameroun présente le dispositif
gouvernemental et les principes y relatifs. Il fait également une
interprétation analytique de ces dispositifs et principes, et se termine
sur une analyse sociologique de ces mécanismes. De
l'interprétation analytique, il ressort que la mise en oeuvre de
l'Initiative PPTE au Cameroun est l'expression d'une volonté politique
et que les principes de leur mise en oeuvre ont une logique pédagogique
du développement, laquelle logique se traduit par la promotion de la
dimension sociale dans le développement, la promotion de la bonne
gouvernance et la promotion de l'approche projet dans le développement
au Cameroun. L'analyse sociologique effectuée par le truchement des
approches sociocritique, systémique et stratégique a permis
d'aller au-delà de l'interprétation analytique
sus-évoquée. Ainsi, il ressort de l'approche sociocritique que la
volonté politique affichée par le gouvernement camerounais par
rapport à l'Initiative PPTE relève à la fois d'un besoin
de survie et d'une question de formalité, et que l'Initiative PPTE est
un instrument de promotion du néolibéralisme. De l'approche
systémique, il ressort que les « input » orientés vers
l'organe de gestion des projets PPTE, le CCS/PPTE, sont constitués de
projets à portée limitée sur la lutte contre la
pauvreté et des principes limitatifs. Les « output » quant
à eux sont constitués de réponses limitées et
incohérentes. Enfin, il ressort de l'approche stratégique que les
stratégies de courtage et de désintéressement mises en
oeuvre par les promoteurs de projets ne permettent pas une action efficace des
projets PPTE sur la réduction de la pauvreté au Cameroun. Au
total, la mise en oeuvre de l'Initiative PPTE au Cameroun est
émaillée d'écueils qui compromettent l'atteinte des
objectifs de réduction de la pauvreté envisagée dans le
cadre de cette Initiative. Ces écueils relevés à ce stade
de l'étude sont relatifs aux mécanismes de mise en oeuvre de son
volet social. Mais la réussite d'un projet de développement
nécessitant à la fois des mécanismes adaptés et une
participation effective de bénéficiaires à sa
réalisation, il est par conséquent nécessaire de
s'interroger sur le principe participatif envisagé et pratiqué
dans la mise en oeuvre de l'Initiative PPTE. D'où la dernière
articulation de notre étude sur le principe participatif dans la mise en
oeuvre de cette Initiative au Cameroun.
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