III. LES MECANISMES DE MISE EN OEUVRE DE L'INITIATIVE
PPTE AU CAMEROUN : AU-DELA DES DISCOURS
La première lecture des mécanismes de mise en
oeuvre de l'Initiative PPTE au Cameroun a permis d'identifier les objectifs
avoués de cette Initiative. Mais puisque « ce qui est montré
est à expliquer par ce qui ne se montre pas, car le plus caché
est le plus véridique », une analyse en profondeur de ces
mécanismes est indispensable pour son intelligibilité et
au-delà l'évaluation de sa capacité, en tant que nouvel
instrument de développement, à réduire la pauvreté
au Cameroun. Il s'agira d'abord de découvrir les non-dits de la mise en
oeuvre de l'Initiative PPTE. Pour cela, seront examinés les
mécanismes de mise en oeuvre des projets y relatifs, notamment le
dispositif gouvernemental et les principes de mise en oeuvre desdits projets.
Ensuite, à travers l'analyse des « input » et des «
output » de cette Initiative perçue comme système de
développement, il sera question d'apprécier sa capacité
à réduire la pauvreté au Cameroun. Enfin, l'analyse de la
marge de manoeuvre de certains acteurs de cette Initiative face aux normes et
règles qui la régissent, permettra de comprendre leur logique et
leur influence sur les objectifs poursuivis par l'Initiative.
III.1. Les non-dits de la mise en oeuvre de l'Initiative
PPTE au Cameroun
Cette analyse porte sur le dispositif gouvernemental relatif
à cette Initiative et sur les principes de sa mise en oeuvre au
Cameroun.
III.1.1. La volonté politique relative
à l'Initiative PPTE au Cameroun : un besoin de survie et une question de
formalité
La volonté politique manifestée par le
gouvernement camerounais par rapport à l'Initiative PPTE relève
à la fois d'un besoin de survie et d'une question de formalité.
Ces constats se font respectivement au niveau de l'admission du Cameroun
à cette Initiative et au niveau de sa mise en oeuvre.
III.1.1.1. La volonté politique par rapport
à l'admission du Cameroun à l'Initiative PPTE : un besoin de
survie
L'admission du Cameroun à l'Initiative PPTE,
résultat de l'action gouvernementale, loin d'être le fait d'une
simple volonté politique, relève du besoin de survie de l'Etat
camerounais. En effet, les démarches en vue de cette admission
interviennent dans un contexte macroéconomique et socioéconomique
marqué par la crise de la moitié de la décennie 80.
Depuis cette crise, la situation macroéconomique du
Cameroun ne s'est pas améliorée, malgré les mesures de
redressement économique engagées par le gouvernement. La mise en
oeuvre de la politique d'ajustement interne (réduction du train de vie
de l'Etat et du poids du secteur public dans l'économie, la baisse
drastique des salaires dans la fonction publique), s'est avérée
insuffisante pour enrayer les effets de la crise. La baisse continue des
revenus a induit une chute de 40% de la consommation par habitant entre
1985/1986 et 1992/1993. L'encours de la dette est passé de moins 1/3
à plus 3/4 du PIB entre 1984/1985 et 1992/1993. Le taux d'investissement
quant à lui est passé de 27% à moins de 11% du PIB.
Les Programmes d'ajustement structurel, plus
particulièrement ceux conclus par le gouvernement en 1994 et 1995 avec
le FMI au titre des Accords de confirmation se sont soldés, comme les
précédents par un échec, les objectifs en terme de
rétablissement de l'équilibre des finances publics et de services
de la dette n'ayant pas été atteints.
C'est dans ce contexte marqué par la
détérioration de la situation macroéconomique que le
Cameroun a entrepris les démarches relatives à son admission
à l'Initiative PPTE. Il en est de même de la situation
socioéconomique.
Au niveau socioéconomique, les démarches
relatives à l'admission du Cameroun à l'Initiative PPTE
interviennent à un moment où le secteur social s'est
considérablement dégradé. L'offre publique des services
sociaux de base, d'emploi, d'infrastructures routières, de programmes
hydrauliques, et d'électricité ayant connu un net ralentissement
faute de financement.
C'est dans ce contexte caractérisé par la
détérioration de la situation macroéconomique et
socioéconomique que sont entreprises les démarches relatives
à l'admission du Cameroun à l'Initiative PPTE. Et dans ce
contexte :
« L'Initiative PPTE est une aubaine pour le
Cameroun, car elle est arrivée à un moment où le Cameroun
ne pouvait impulser son développement ni par le « principe
multiplicateur» ni par le « principe accélérateur
». Or, l'Initiative PPTE permet non seulement la baisse de la dette, mais
l'impulsion du développement à la fois par le « principe
multiplicateur » (investissement) et le « principe
accélérateur » (consommation) ».
Face à ces situations macroéconomiques et
socioéconomiques d'une part, et à la nécessité de
la survie de l'Etat d'autre part, le recours à l'Initiative PPTE a
été perçu par l'Etat comme une alternative pour sa survie.
Ainsi peut-il, à partir des ressources collectées de cette
Initiative, réinvestir dans les secteurs sociaux jadis abandonnés
faute de financement.
III.1.1.2. La volonté politique par rapport
à la mise en oeuvre de l'Initiative PPTE au Cameroun : une question de
formalité
Perçue comme alternative à son problème
de surendettement et à ses besoins de survie, l'Initiative PPTE est au
centre des actions des autorités camerounaises. Après l'admission
du Cameroun au point de décision de cette Initiative, le gouvernement a
aussitôt mis en place des dispositifs relatifs à la mise en oeuvre
des projets y relatifs au Cameroun. Toutes ces mobilisations relatives à
la mise en oeuvre de ces projets au Cameroun, loin d'être l'expression
d'une simple volonté politique, comme il apparaît à
première vue, relèvent d'une question de formalité.
Admis au point de décision de cette Initiative,
l'atteinte du point d'achèvement est d'un enjeu majeur pour le Cameroun,
pour autant qu'elle consacre le bénéfice total des
allègements de la dette prévue dans le cadre de cette
Initiative. Ainsi, focalisées sur cet enjeu, les actions des
autorités camerounaises sont orientées vers la mise en place des
dispositifs susceptibles de constituer un argument favorable, aux yeux des
bailleurs de fonds, à l'atteinte du point d'achèvement,
plutôt qu'à la mise en place des mesures favorables à la
satisfaction des populations bénéficiaires de cette Initiative.
La mise en place du CCS/PPTE et celle annoncée du
CSR/PPTE, tous des organes « indépendants » et l'adoption des
principes « assez rigoureux » pour la mise en oeuvre des projets
PPTE constituent entre autres, les indicateurs du respect des exigences de la
bonne gouvernance recommandées par les bailleurs de fonds dans la
gestion des fonds PPTE. Il s'agit pour le gouvernement de prendre des mesures
à conviction par rapport à l'atteinte du point
d'achèvement, question de se montrer capable de la bonne gestion des
ressources y relatives et en définitive digne d'y accéder. Ce
faisant, l'intérêt accordé à l'enjeu de l'atteinte
de ce point oriente les actions vers le « comment » de l'atteinte de
ce point, au point d'annihiler le « pourquoi » de l'Initiative
PPTE.
Parce que trop attachées aux actions à mener,
aux « opérations de charme » à conduire pour l'atteinte
du point d'achèvement, les autorités, à travers le
CCS/PPTE, ont adopté des principes non favorables à la
satisfaction des populations bénéficiaires de l'Initiative. C'est
ce qui a expliqué au départ, la timidité observée
au CCS/PPTE par rapport aux dépôts des projets. Pour cette raison
aujourd'hui encore, les projets en provenance des organisations de la
société civile sont faiblement représentés parmi
les projets éligibles au CCS/PPTE. Car la rigidité et la
complexité des procédures limitent l'accès aux fonds PPTE
à bon nombre de promoteurs de projets. A cette question de
rigidité et à celle relative aux effets induits par les mesures
afférentes à l'atteinte du point d'achèvement, les
autorités évoquent la nécessité de l'atteinte de ce
point. Et à propos, il est question pour le gouvernement de faire preuve
de sa capacité à faire usage utile des ressources prévues
à ce point. C'est ainsi que sont comprises les mesures gouvernementales
relatives à cette Initiative. Aussi bien auprès des
ministères promoteurs de projets qu'auprès de l'organe de gestion
et de suivi des fonds PPTE, ce propos d'un de nos informateurs auprès
d'un des ministères en charge de l'Initiative PPTE est partagé :
« Les procédures d'accès aux fonds PPTE
sont difficiles, mais c'est le prix à payer pour atteindre le point
d'achèvement de l'Initiative PPTE. Ces procédures doivent
provisoirement être acceptées comme telles, car ce n'est
qu'après l'atteinte du point d'achèvement que le Gouvernement
aura une marge de manoeuvre assez suffisante pour normaliser la situation.
»
Compte tenu de ce qui précède, il apparaît
que les mesures gouvernementales relatives à la mise en oeuvre de
l'Initiative PPTE ont pour finalité l'atteinte du point
d'achèvement et non l'internalisation des logiques de
développement promues par l'Initiative PPTE dans la mise en oeuvre des
projets y relatifs au Cameroun. Et dans ces conditions, la volonté
politique manifestée par les autorités camerounaises par rapport
à la mise en oeuvre de l'Initiative PPTE s'inscrit dans le registre des
formalités à remplir pour l'atteinte du point
d'achèvement.
Après avoir constaté que le recours à
l'Initiative PPTE par le Cameroun relève d'un besoin de survie et que la
mise en place du dispositif gouvernemental y relatif relève d'une
question de formalité, il y a lieu de s'interroger sur le sens profond
de l'Initiative PPTE. Quel est le non-dit de cette Initiative ?
III.1.1.3. L'Initiative PPTE : une
stratégie de promotion du néolibéralisme
Instrument de la politique de lutte contre la pauvreté,
l'Initiative PPTE se révèle être également un
instrument de promotion du néolibéralisme. Les indicateurs
relatifs à sa mise en oeuvre et à celle des projets y relatifs
concourent à la démonstration de cette affirmation.
Forme moderne du libéralisme, qui laisse place à
une intervention limitée de l'Etat, le néolibéralisme
caractérise la démarche relative à la mise en oeuvre de
l'Initiative PPTE au Cameroun. En effet, cette Initiative a un volet
économique et un volet social.
Le volet économique porte sur les réformes
économiques à mettre en place et vise la libéralisation du
secteur économique. Cette libéralisation se traduit par la
privatisation, autrement dit par« les transferts d'activités
économiques du secteur public au service privé ».
Le volet social porte sur le développement social et se
traduit par le financement des projets ayant une incidence directe sur
l'amélioration des conditions de vie des populations, à travers
la conversion de la dette extérieure. Ce volet social est, dans le cadre
de cette Initiative, dévolue à l'Etat avec l'exigence de la mise
en place d'un dispositif participatif intégrant la société
civile et les populations bénéficiaires.
Cette démarche à deux volets qui prône
d'une part le retrait de l'Etat du secteur économique, et limite les
interventions de l'Etat au secteur social d'autre part, est
caractéristique du néolibéralisme. Cette limitation du
rôle de l'Etat au social s'observe également dans l'allocation des
fonds PPTE.
Les principes d'allocation des fonds PPTE obéissent
entre autres à la logique de promotion de la dimension sociale du
développement. Cette logique observée à travers les
domaines cibles des projets PPTE, participe de la promotion du
néolibéralisme au Cameroun. En effet, la limitation de
l'intervention de l'Etat au social est plus clairement promue au niveau de
l'éligibilité des projets PPTE. Ne sont éligibles au
financement PPTE que les projets relevant des domaines de l'éducation,
de la santé, du développement social, du développement
rural, des infrastructures et de la gouvernance. Ces projets d'origine
majoritairement étatiques, sont également exécutés
par les acteurs étatiques. A travers ces projets, l'Initiative PPTE
confine davantage l'Etat à des interventions dans le secteur social, le
secteur économique étant réservé à
l'initiative privée.
A travers sa mise en oeuvre et celle des projets y relatifs,
l'Initiative PPTE apparaît bien comme un instrument de promotion du
néolibéralisme au Cameroun. Et on peut alors penser comme les
critiques de « gauche » des Institutions de Bretton Woods pour qui
ces Institutions « n'auraient adopté le slogan de lutte contre la
pauvreté que pour faire mieux accepter la poursuite de leur politique de
libéralisation ».
Cette libéralisation, caractérisée par la
libre entreprise, l'ouverture du marché et la concurrence, n'est
favorable qu'aux Etats et aux acteurs économiquement forts, et a
l'inconvénient de fragiliser ceux qui sont économiquement
faibles. Car, l'esprit capitaliste qui en résulte oblitère toutes
préoccupations sociales dans le comportement des acteurs
économiques. De plus, le volet social prévu pour
l'accomplissement de cette Initiative, bien que résultant de la prise de
conscience des conséquences sociales néfastes des PAS, s'inscrit
dans une durée limitée, contrairement au volet économique
qui s'insère dans un processus s'inscrivant dans la longue durée.
Du fait de cette portée limitée dans le temps et dans l'espace
des mesures d'accompagnement de la libéralisation promue par
l'Initiative PPTE, il y a lieu d'émettre des réserves quant
à la capacité de cette Initiative à lutter contre la
pauvreté au Cameroun. Autrement dit, la démarche relative
à la mise en oeuvre de cette Initiative est de nature à la rendre
inopérante sur la pauvreté au Cameroun, d'autant plus que la
libéralisation continuera de produire, comme ce fut le cas pour les PAS,
les inégalités et les conséquences sociales
néfastes sur les populations.
En somme, l'application de l'approche sociocritique à
la lecture des mécanismes de mise en oeuvre des projets PPTE au Cameroun
nous a permis de découvrir les non-dits de ces mécanismes et
au-delà de l'Initiative PPTE au Cameroun. Ainsi sommes-nous
arrivé à constater que la volonté politique relative
à cette Initiative au Cameroun relève d'un besoin de survie et
d'une question de formalité d'une part, et que la mise en oeuvre de
cette Initiative au Cameroun s'inscrit dans la stratégie de promotion du
néolibéralisme, d'autre part. Mais cette grille de lecture ne
permet pas de rendre compte de la complexité de cette Initiative. Car la
mise en oeuvre des projets y relatifs se fait suivant un mécanisme
correspondant à la configuration de l'analyse « input-output »
développé par David Easton. De ce fait, l'intelligibilité
de la mise en oeuvre des projets PPTE requiert également cette
analyse.
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