II.2. La lutte contre la pauvreté : une politique au
coeur de la problématique du développement
La politique de lutte contre la pauvreté constitue de
nos jours un centre d'intérêts et de débats sur le
développement des pays du Tiers Monde. Qu'est-ce qui explique
l'émergence de cette politique et quels en sont les atouts ?
II.2.1. La lutte contre la pauvreté : les
circonstances de l'émergence de la politique
Plusieurs raisons expliquent l'émergence de la
politique de lutte contre la pauvreté dans le monde en
développement. Jean-Pierre Cling et al. (Dir) en retiennent
principalement trois qui ont conduit les Institutions de Bretton Woods (IBW)
à effectuer un saut qualitatif dans ce domaine en lançant des
stratégies de lutte contre la pauvreté. D'après eux, la
progression de la pauvreté dans le monde, l'échec des Programmes
d'ajustement structurel et la crise de légitimité des
Institutions de Bretton Woods, ont favorisé l'érection de la
politique de lutte contre la pauvreté.
La montée en puissance de la pauvreté est la
première raison favorable à l'émergence de la politique de
lutte contre la pauvreté. En effet, la progression de la pauvreté
dans de nombreuses parties du monde a conduit à un recentrage des
politiques de développement sur la question de la pauvreté. Bien
que la prise de conscience du problème de la pauvreté dans les
pays en développement soit l'aboutissement d'un long processus de
maturation initié à la fin des années quatre-vingt par les
Nations Unies, notamment l'UNICEF et le PNUD qui ont joué le rôle
de précurseurs dans ce domaine, et malgré le retard accusé
par les Institutions de Bretton Woods dans l'intégration de cette
dimension dans leurs politiques, la pauvreté est une
réalité qui prend de l'ampleur dans le monde. Quelles que soient
les incertitudes sur les chiffres, la pauvreté est manifeste dans de
nombreuses parties du monde au cours de ces dernières années. Son
accroissement est particulièrement sensible en Afrique subsaharienne et
dans les pays en transition d'Europe et d'Asie Centrale. Selon les
statistiques de la Banque Mondiale, près de la moitié de la
population mondiale vit avec moins de 2 dollars par jour et un cinquième
avec moins de 1 dollar par jour, montant considéré habituellement
comme le seuil de pauvreté absolue. Dans le cas de l'Afrique
subsaharienne, 47% de la population vit en dessous de ce dernier seuil.
Certains pays semblent enfermés dans une
véritable « trappe à pauvreté »comme en
témoigne le doublement du nombre de pays les moins avancés (PMA)
en trente ans. En 2001, on comptait 49 PMA alors qu'ils étaient 25 lors
de la création de cette catégorie de pays.Compte tenu des
tendances démographiques, la population de ces pays va tripler d'ici
2050 selon les projections des Nations Unies, passant de 660 millions à
1,8 milliards, pour représenter près de 20% de la population
mondiale (contre 11% actuellement). Il est donc impératif de
réagir pour éviter que des populations entières meurent
littéralement de faim.
L'échec des Programmes d'ajustement structurel et la
remise en cause du « Consensus de Washington » sont la
deuxième raison qui a contraint les Institutions de Bretton Woods
à changer de politiques.
Fondés sur le « Consensus de Washington »,
les programmes d'ajustement structurel étaient basés sur le
triptyque stabilisation macroéconomique - libéralisme externe -
libéralisme interne. L'échec de ces Programmes se lit dans les
chiffres sus-évoqués. Après plus d'une vingtaine
d'années d'ajustement structurel sous l'égide des Institutions de
Bretton Woods, aucun succès durable n'a pu être exhibé.
Même le « miracle asiatique » montré en exemple pendant
des années aux Pays en développement est remis en cause depuis la
crise de 1997. Il en est de même des programmes appliqués avec
l'appui des IBW dans les autres grands pays émergents (Argentine,
Brésil, Mexique, Turquie, etc.) et en transition (Russie), qui ont
également connu des crises graves dont certains ne sont pas encore
sortis. Quant aux bons élèves (front-runners) africains qui se
sont succédés au panthéon des « success stories
», aucun n'a réussi à tenir ses promesses dans la
durée.
L'échec du « Consensus de Washington », dans
la plupart des pays, est désormais reconnu par la Banque mondiale elle
même comme l'atteste la critique de Stiglitz, ancien économiste en
chef de cette Institution et prix Nobel d'économie en 2001 :
« Le FMI est supposé assurer la stabilité
financière internationale. Quant à l'OMC, elle doit faciliter le
commerce international. Malheureusement, la façon dont ces deux
dernières Institutions cherchent à remplir leur mandat a
probablement contribué à accroître la pauvreté
(...). Le mélange des politiques de libéralisation et des
politiques économiques restrictives imposées par le FMI a
créé un cocktail aux effets dramatiques pour les pays en
développement ».
En plus de la remise en question des stratégies
passées, la crise de la dette multilatérale constitue l'autre
conséquence fâcheuse de l'échec des PAS sur les pays en
développement et sur les IBW. Cette crise résulte directement de
vingt ans de prêts à moratoire sans croissance économique.
Les Institutions financières, et tout particulièrement la Banque
Mondiale, se retrouvent ainsi en première ligne d'une situation de
surendettement des pays pauvres, où la composante multilatérale
est progressivement devenue prépondérante.
Le troisième facteur de l'émergence de la
politique de la lutte contre la pauvreté, qui résulte de deux
autres ci-dessus est la crise de légitimité des IBW. Face
à l'aggravation de la pauvreté dans le monde, à
l'échec général des politiques promues par les IBW et
à la crise de la dette qui en résulte, les critiques se sont
multipliées à leur égard, leur réclamant un
changement d'orientation. Ce changement constitue un moyen à un double
niveau.
Il est d'abord un moyen de répondre à la «
fatigue de l'aide » dans les pays développés, où les
opinions publiques s'interrogent sur l'utilité de continuer à
consacrer des efforts financiers aussi conséquents à l'aide au
développement. Ainsi, pour lutter contre ce désenchantement, le
thème de la pauvreté est manifestement porteur, ne serait-ce que
dans une optique de solidarité humanitaire.
C'est également un moyen de répondre aux
critiques de la société civile et des mouvements contestataires.
C'est le cas de la décision du lancement du DSRP qui s'inscrit dans un
contexte de critique de plus en plus virulente de l'action des Organisations
internationales, qui a poussé les pays du G7 à lancer
l'Initiative PPTE renforcée lors de leur sommet de Cologne en 1999, et
qui a culminé ensuite lors de la conférence de Seattle en
novembre 1999 et du sommet du G7 de Gênes en juin 2001.
Il apparaît que l'irruption de la politique de lutte
contre la pauvreté sur le champ de la politique de développement
tient à la progression de la pauvreté dans le monde, à
l'échec des Programmes d'ajustement structurel ainsi que du «
consensus de Washington » qui le fondait, et à la crise de
légitimité des IBW. Quels peuvent être alors les atouts de
l'émergence et de la consécration de cette politique ?
II.2.2. La lutte contre la pauvreté : les
atouts supposés de la politique
Du fait de l'échec des stratégies
passées, les principes de la politique de lutte contre la
pauvreté l'ont créditée des qualités favorables
à la réduction de la pauvreté. Cette politique repose sur
le principe de la participation, lequel suppose la prise en compte des valeurs
des populations bénéficiaires dans les initiatives de
développement d'une part, et leur implication dans la mise en oeuvre des
ces initiatives, d'autre part.
La prise en compte des valeurs des populations
bénéficiaires dans les initiatives de développement est
une modalité essentielle du principe de la participation. En effet, la
démarche promue par la politique de lutte contre la pauvreté
intègre la prise en compte des besoins exprimés par les
bénéficiaires dans les initiatives de développement. Cette
démarche consiste à partir non des modèles et
théories de développement importés mais des pratiques
quotidiennes concrètes des populations bénéficiaires. Elle
exige la création au sein des communautés d'accueil, des
conditions pour une appropriation des initiatives de développement qui
leur sont destinées.
La démarche de la politique de lutte contre la
pauvreté s'affranchit de la tutelle exclusive des bureaucrates et
investit le terrain. La participation en matière de lutte contre la
pauvreté vise à donner la parole aux populations
bénéficiaires, car celles-ci connaissent mieux que quiconque
leurs problèmes, leurs besoins. A travers l'approche participative, le
peuple devient un véritable agent ou acteur de son développement
par une définition de ses besoins prioritaires et des actions
appropriées pour les satisfaire. Le passage d'une conception du
développement privilégiant presque exclusivement les
infrastructures matérielles à une autre qui réserverait
une place aux structures sociales - de même que l'abandon progressif des
modèles occidentaux ethnocentriques de développement au profit du
respect des cultures locales - fait de la politique de lutte contre la
pauvreté une politique de développement orientée vers des
projets de développement tournés vers les acteurs locaux.
La participation des différents acteurs de la
société est également une modalité indispensable du
principe de la participation. Elle ouvre de nouvelles perspectives quant
à la façon dont les initiatives de développement et les
affaires nationales en général devront être conduites. En
favorisant le respect du droit à l'information et à l'expression,
la participation atteint un premier objectif de la politique de lutte contre la
pauvreté, celui de s'attaquer à une des dimensions de la
pauvreté, celle de l'exclusion et de la marginalisation.
La participation est supposée remédier aux
dysfonctionnements de la démocratie dans les pays pauvres. Elle devrait
ainsi renforcer les capacités et le pouvoir des corps
intermédiaires (médias, syndicats, associations, etc.) dans
l'élaboration, le suivi, le contrôle, l'évaluation et la
réorientation des politiques. L'information, suivant cette optique, rend
explicite les choix publics et accroît la transparence dans la gestion
des affaires de l'Etat, tout en conférant aux différents acteurs
de la société la possibilité d'exercer des pressions voire
de sanctionner ce dernier en cas de défaillance. En bref, l'enjeu de la
participation est d'assurer le principe de responsabilité
démocratique (accountability), rendant l'Etat responsable de ses actions
devant les citoyens.
En somme, le processus participatif, pour reprendre
Jean-Pierre Cling et al, devrait aider à l'identification des
alternatives aux options antérieures qui soient viables et
cohérentes en permettant une plus grande prise en compte des
spécificités nationales, une identification des véritables
besoins de la population et une meilleure compréhension des logiques
d'acteurs. Tels sont les atouts supposés de la politique de lutte contre
la pauvreté. Que dire de l'émergence de cette politique au
Cameroun ?
|