La garantie des droits fondamentaux au Cameroun( Télécharger le fichier original )par Zbigniew Paul DIME LI NLEP Université Abomey-Calavi, Bénin - DEA en Droit international des Droits de l'Homme 2004 |
PARAGRAPHE 2.- UN ROLE FORTEMENT LIMITEEn élaborant les législations qui permettent les regroupements des individus en associations ou en ONG, il n'est pas clairement établi que le législateur camerounais ait voulu amputer celles-ci de leur portée la plus effective. Mais, il n'en demeure pas moins que des restrictions importantes existent vis-à-vis de la liberté associative (A) et contribuent à limiter le rôle de protection de la société civile camerounaise. D'autres facteurs inhérents à la société civile et extérieurs à elle participent aussi de cette limitation ; ce sont les obstacles structurels et conjoncturels (B). A.- Les restrictions apportées à la liberté associativeUn cadre juridique adéquat est nécessaire à l'expression des droits fondamentaux et même de toute activité au sein d'un Etat. Cela est vrai tant dans le domaine politique qu'économique et même social. Selon Mme MPESSA, qui milite en tant que membre de l'Association camerounaise des femmes juristes, (ACAFEJ), « l'existence d'un climat porteur suppose un cadre juridique qui permet l'expression libre de la société civile ». Pour ce faire, poursuit-elle, « il faudrait une loi qui reconnaît leur existence (des organisations de la société civile) et prévoit un cadre pour structurer, financer et coordonner leurs activités. Ce qui n'est pas actuellement le cas dans notre pays » conclut-elle362(*). Lorsqu'il consacre le droit fondamental pour les citoyens de s'associer, le constituant de 1996 laissait au législateur le soin de délimiter le cadre dans lequel ce droit s'exerce. Les lois prises dans ce sens font toutefois l'objet de vives critiques, car elles sont considérées comme des « méthodes de répression (...) sinueuses pour contrarier ou étouffer l'action des ONG »363(*). Elles donnent l'impression que l'Etat camerounais, pour reprendre les propos de M. de SARDAN, « essaie d'encadrer autant que faire se peut l'action qui se déploie sur son territoire »364(*). Avec la loi n° 90/053, l'association au Cameroun est soumise à un double régime : celui de la déclaration et celui de l'autorisation. Le régime de la déclaration est privilégié lorsque dans la pratique toutes les conditions pour la constitution d'une association sont réunies et le pouvoir discrétionnaire de l'administration est ici atténué. Toutefois, les associations étrangères et religieuses sont soumises à un régime plus strict et relèvent du régime de l'autorisation365(*). Une fois en activité, les associations sont sous contrôle administratif et judiciaire. Le contrôle administratif se fait pour veiller à ce que l'association exerce ses activités en conformité avec la législation en vigueur. Si ce n'est pas le cas, le Ministre de l'Administration territoriale (MINAT) peut, par arrêté, sur proposition motivée du préfet, suspendre pour un délai maximum de 3 mois, l'activité de toute association pour trouble de l'ordre public. Il peut également dissoudre toute association qui s'écarte de son objet et dont les activités portent gravement atteinte à l'ordre public et à la sécurité de l'Etat. On peut craindre les dérives dans l'application de telles sanctions par l'administration, car la notion d' ``ordre public'' a un contenu fluctuant en droit camerounais. C'est ainsi qu'à titre d'exemple, l'administration avait suspendu l'association dénommée Comité d'action populaire pour la liberté et la démocratie (Cap-Liberté) le 13 juillet 1991, au prétexte que cette association de défense des droits humains s'était écartée de son objet en tenant de réunions politiques, alors qu'elle n'était pas un parti politique366(*). L'ordre public s'en trouvait donc fortement menacé. Cependant, l'administration camerounaise ne spécifie pas en quoi consiste le trouble d'ordre public, pas plus qu'elle ne définit l'ordre public367(*). De plus, les atteintes à la législation sur la liberté d'association sont sanctionnées par le juge. Ce sont soit une peine d'emprisonnement allant de 15 jours à 6 mois, soit une amende de 100.000 à 1.000.000 FCFA pour les administrateurs d'associations étrangères fonctionnant sans autorisation. Les dirigeants d'une association religieuse qui se refusent à présenter des comptes et états financiers prévus à l'article 27 de la loi de 1990 risquent une peine d'emprisonnement allant de 6 mois a 2 ans. Le juge peut même, le cas échéant, ordonner la fermeture des locaux de l'association et interdire les réunions de celle-ci. La liberté associative se trouve ainsi encadrée dans l'ordre juridique camerounais, ce qui a conduit un auteur à écrire que si elle « est une réalité (...) il ne fait pas de doute qu'elle reste en liberté surveillée »368(*). Et le régime du mouvement associatif n'a pas plus évolué avec la loi sur les ONG qui n'est rien moins qu' « une excroissance normative » de la loi sur les associations369(*). Au travers de cette loi, « le législateur semble (...) s'être imposé le devoir à la fois de prendre en compte les revendications de la société civile organisée autour d'ONG et celui de poser un cadre juridique de contrôle et de stimulation des activités des ONG », souligne M. AMOUGUI370(*). Cependant, elle établit un statut pour ces organisations qui génèrent d'énormes difficultés. Tout d'abord, pour accéder au statut d'ONG, il faut préalablement être une association déclarée ou autorisée, produire un rapport d'évaluations des activités de 3 ans au moins, ainsi que le programme d'activités dans l'un des domaines reconnus à l'article 3 de la loi de 1999371(*). Le MINAT et les pouvoirs publics ont dès lors des prérogatives considérables aussi bien au niveau de l'organisation et du fonctionnement de l'ONG qu'au niveau de sa dissolution. C'est ainsi qu'alors que l'article 12 alinéa 1 de la loi de 1999 prévoit que les ONG s'administrent librement, la suite de la disposition impose le respect de la législation et des statuts. Ces derniers doivent contenir les dispositions énonçant le mandat, les attributions et le régime de responsabilité du personnel dirigeant de même que les dispositions financières relatives aux ressources de l'organisation, l'exclusivité de leur affectation et le contrôle interne et externe qui fait intervenir les services publics compétents. Ce régime strict appliqué aux ONG se poursuit avec la soumission aux règles de la publicité légale pour tous les actes qui influencent leur organisation et leur fonctionnement. Elles doivent en outre transmettre au MINAT tous les états et comptes ainsi que leurs rapports et programmes annuels d'activité dans un délai de 60 jours. Le MINAT peut du reste, par arrêté, et après avis de la Commission technique, suspendre ou dissoudre toute ONG dont les activités s'écartent de son objet ou portent atteinte à l'ordre et à la sécurité de l'Etat, conformément à l'article 22 de la loi de 1999 comme c'est le cas pour les associations. Au total, le régime appliqué aux ONG singularise et est révélateur d'un ensemble de restrictions à la liberté associative dans la société camerounaise. Pour M. AMOUGUI, cette législation camerounaise présente un caractère pour l'essentiel « ambigu mais surtout restrictif et coercitif »372(*). Elle ne permet pas de constituer un ``climat porteur'' favorable à un travail véritable des ONG, et partant des organisations de la société civile. Il conviendrait alors que les lourdes exigences administratives soient allégées, afin que les citoyens puissent par des mécanismes institués par eux-mêmes participer à la protection de leurs droits. Toutefois, d'autres pesanteurs se font sentir sur le travail des organisations de la société civile. * 362 D. NDINE MPESSA, ``La société civile et la promotion des droits de la femme'', in Cahier africain des droits de l'homme, n° 4, op. cit., p. 161. * 363 S. KUATE TAMEGHE et R. LOUMINGOU SAMBOU, ``L'Etat et l'internationalisation des activités non gouvernementales'', in Cahier africain des droits de l'homme, n° 4, op. cit., p. 214. * 364 J.-P. O. de SARDAN, ``Dramatique déliquescence'', in Le Monde diplomatique, févr. 2000, p. 12. * 365 Au Cameroun, les associations se créent librement et acquièrent la personnalité juridique sur la base d'une déclaration accompagnée de deux exemplaires des statuts à la Préfecture du département, lieu du siège de l'association. Dès que le dossier est complet, un récépissé de la déclaration est délivré aux membres de l'association. L'autorité administrative a un délai de 2 mois pour donner suite à la procédure ; en cas de silence, le principe ``qui ne dit mot consent'' joue à l'expiration du délai. L'association peut alors s'administrer librement. S'agissant du régime de l'autorisation, il suppose une autorisation préalable du Ministre de l'administration territoriale (MINAT) après avis conforme du Ministre des Relations extérieures (MINREX) pour les associations étrangères. * 366 Le même jour, le MINAT signe un arrêté portant dissolution de 6 autres associations pour « participation avérée à des activités non conformes à leur objet statutaire et troubles graves portant atteinte à l'ordre et à la sécurité de l'Etat ». Parmi les 6 associations, 3 sont des associations de défense des droits fondamentaux : Cap-Liberté, Human Rights Watch et l'Organisation camerounaise des droits de l'homme, cité par E. KAMGUIA KOMCHOU, op. cit., p. 70. * 367 F. ONANA ETOUNDI, ``La pratique de la loi n° 90/053 du 19 déc. 1990 portant liberté d'association au Cameroun'', in Cahier africain des droits de l'homme, n° 4, op. cit., p. 231. * 368 Ibid., p. 234. * 369 A. TITE AMOUGUI, ``Réflexions sur la loi n° 99/014 du 22 décembre 1999 régissant les ONG'', in Cahier africain des droits de l'homme, n° 4, op. cit., p. 235. * 370 Ibid., p. 237. * 371 Le dossier ainsi constitué est déposé auprès des services du Gouverneur qui dispose d'un délai de 15 jours pour le transmettre à une ``Commission technique chargée de l'étude des demandes d'agrément et du suivi des activités des ONG'' (art. 6 al. 3). Celle-ci a un délai de 30 jours pour rendre son avis et transmettre le dossier au MINAT qui accorde l'agrément. * 372 A. TITE AMOUGUI, ibid., p. 246. |
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