La garantie des droits fondamentaux au Cameroun( Télécharger le fichier original )par Zbigniew Paul DIME LI NLEP Université Abomey-Calavi, Bénin - DEA en Droit international des Droits de l'Homme 2004 |
SECTION II : L'EMERGENCE DE LA SOCIETE CIVILE DANS LA PROTECTION DES DROITS FONDAMENTAUXLa période des mouvances démocratiques du début des années 1990 a été marquée par les luttes de différents acteurs dans la société camerounaise tels que les formations politiques nouvellement admises, les intellectuels, l'``homme de la rue'' qui ont participé à ce vaste mouvement351(*). Cette année constitue aux dires du Pr POUGOUE, « une date historique dans l'affirmation urbi et orbi des droits de l'homme au Cameroun »352(*). Elle voit la promulgation d'une nouvelle législation plus libérale et favorable aux droits fondamentaux. La loi n° 90/053 du 19 décembre 1990 fait partie de ces lois et instaure le cadre juridique novateur dans lequel s'exerce la liberté d'association consacrée dans la Constitution camerounaise. L'article 1er alinéa 1er de cette loi dispose à cet effet : « la liberté d'association proclamée par le préambule de la Constitution est régie par les dispositions de la présente loi ». A partir de cette période, les associations foisonneront donc dans la société camerounaise, mais avec l'obligation de se conformer à la réglementation en vigueur. Réglementation qui se fera encore plus ouverte au principe associatif avec la loi n° 99/014 du 22 décembre 1999 sur les organisations non gouvernementales (ONG). Le poids de ces associations dans la société camerounaise se fait ainsi plus visible, car elles interviennent dans de multiples domaines de la vie socio-économique de l'Etat, parmi lesquels celui de la promotion et de la protection des droits fondamentaux. Elles peuvent devenir des alarmes au sein de l'Etat et même constituer de véritables groupes de pression comme c'est le cas dans les pays développés. C'est que l'opinion publique reçoit et a, depuis de nombreuses années, cette possibilité de remettre en cause le pouvoir en place, si ce dernier est attentatoire aux droits fondamentaux. La Déclaration française des Droits de l'Homme et du Citoyen n'affirme t-elle pas, en son article 2, que « la résistance à l'oppression fait partie des droits naturels et imprescriptibles de l'homme » ? En Afrique, si ce moyen de lutte est reconnu au peuple lorsqu'il constate que ses droits fondamentaux sont violés, et même dans certains cas constitutionnalisé, au Cameroun, il n'y a aucune référence à cette possibilité. Le peuple n'a alors d'autre solution, pour faire entendre sa voix, que de se regrouper en un vaste ensemble d'organisations constitutives de la société civile. Cette dernière est entendue par J. C. ALEXANDER comme « une sphère de solidarité au sein de laquelle une certaine forme de communauté universalisante se définit peu à peu et atteint un certain degré de consolidation »353(*). C'est dire que la société civile est un vaste conglomérat d'associations et d'individus qui se doit de créer un capital confiance au sein de l'Etat et vis-à-vis de ceux qu'elle entend représenter. C'est à cette fin que la société civile camerounaise qui est constituée par une mosaïque d'associations, de personnes indépendantes des pouvoirs publics, du clergé, des professeurs d'universités, d'étudiants et des simples citoyens émerge dans le cercle des droits fondamentaux. Cependant, on peut constater qu'elle participe d'un rôle plus promotionnel que protecteur à l'égard desdits droits (Paragraphe 1). En effet, dans ses différents domaines d'intervention, elle se signale par une promptitude à participer à l'édification d'une culture des droits fondamentaux dans la société camerounaise. Cette émergence dans le cercle de droits fondamentaux laisse apparaître des limites fortes (Paragraphe 2) qui contribuent à affecter la portée des actions des organisations de la société civile camerounaise. PARAGRAPHE 1.- UN ROLE PLUS PROMOTIONNEL QUE PROTECTEURL'intervention des organisations de la société civile camerounaise se fait dans plusieurs domaines : la santé, l'éducation, l'émancipation et la protection des femmes, l'environnement, les droits de l'homme et le renforcement de la démocratie, le développement, les études, la recherche, la jeunesse. Ces domaines recèlent une pléiade de sous-thèmes et aspects sur lesquels ces organisations portent aussi leur attention. Cependant, s'il est évident que sur le terrain des droits fondamentaux les organisations de la société civile se manifestent, cette action voit l'affirmation du rôle de promotion de ces organisations (A). Sous un autre angle, la quasi inexistence du rôle protecteur est alors observé (B). A.- L'affirmation du rôle de promotion des mécanismes de la société civile camerounaiseLa promotion des droits fondamentaux suppose un ensemble d'actes afin d'empêcher les violations des droits. Ces actes s'entendent de campagnes d'éducation aux droits fondamentaux telles que la connaissance des différents instruments relatifs aux droits, l'information des protagonistes des droits fondamentaux, par exemple. La promotion a un but essentiellement préventif. Les organisations de la société civile camerounaise usent, pour ce faire, de différentes méthodes. L'un de ces moyens consiste à peser sur l'Etat camerounais, à faire pression sur lui, afin que les instruments juridiques internationaux relatifs aux droits humains soient connus de tous. Ces instruments font partie du corpus juridique camerounais et il est donc nécessaire par des campagnes de vulgarisation, de les porter à la connaissance des citoyens. C'est dans ce domaine que s'illustre l'Ecole Instrument de Paix (EIP)-Cameroun, une branche de l'association mondiale, l'Ecole Instrument de Paix. Elle est, aux dires d'une de ses adhérentes, « une ONG qui oeuvre dans la promotion des droits de l'homme et à leurs enseignements dans les établissements du primaire et du secondaire »354(*). La promotion des droits humains passe par des séminaires de formation à l'endroit des citoyens, des causeries éducatives qui s'adressent le plus souvent aux jeunes et des activités pédagogiques adaptées. Mais, cette organisation de la société civile camerounaise oeuvre aussi à une formation aux droits fondamentaux des enseignants des établissements secondaires de l'Etat. En effet, ainsi que l'espère Mme MOTO ZEH, « notre objectif à long terme est d'amener les pouvoirs publics à intégrer dans notre système éducatif l'enseignement des droits de l'homme comme une matière »355(*). Ce type d'actions est aussi utilisé par d'autres organisations de la société civile, même si elles ne concernent pas le secteur scolaire. C'est ainsi que le Groupe d'Etudes et de Recherche sur la Démocratie, le Développement Economique et Social (GERDDES), section camerounaise, s'illustre dans le domaine des droits fondamentaux. Il se donne comme buts, d'approfondir la réflexion sur la promotion et la consolidation de la démocratie, de défendre les droits du citoyen, de rappeler constamment les devoirs liés au statut de citoyen et de défendre les droits des minorités et des réfugiés356(*). Le GERDDES est un groupe d'intellectuels et entend être « une ONG de lutte pour une démocratisation réelle, pour l'effectivité des droits de l'homme et pour le développement économique et social » au Cameroun357(*). A ce titre, il réalise souvent des études dans les différents domaines de sa compétence, dont il fait même des publications. Il organise également des séminaires et colloques pour permettre la vulgarisation des droits fondamentaux dans la société camerounaise et procède parfois à la distribution de certaines brochures pour conduire à la connaissance par les citoyens de leurs droits électoraux. C'est ainsi qu'elle a produit un guide de l'observateur électoral et des scrutateurs qui renseigne sur les tâches et missions de ces catégories d'acteurs du processus électoral au Cameroun358(*). Elle a également produit un guide de l'électeur, « un document qui contient des informations abécédaires sur l'acte électoral, à l'adresse de l'homme de la rue »359(*). De par ces actions, qui toutes relèvent du domaine de la promotion des droits fondamentaux dans la société camerounaise, le GERDDES veut contribuer, à l'instar de nombreuses autres organisations de la société civile, à l'enracinement de la démocratie et de la culture des droits fondamentaux au Cameroun. Mais toutes ces actions, pour promotrices qu'elles soient des droits fondamentaux, dénotent de l'absence d'un véritable rôle de protection des droits par les organisations de la société civile camerounaise. * 351 Pour un report des faits qui se sont déroulés à cette période, v. notamment P. ELA, Dossiers noirs sur le Cameroun : Politique, services secrets et sécurité nationale, Paris, Ed. Pyramide Papyrus Presse, 2002, 287 p., pp. 207 et sq. ; F. FENKAM, Les révélations de Jean FOCHIVE, Paris, Ed. Minsi, 2003, 297 p., pp. 157 et sq. ; E. KAMGUIA KOUMCHOU, Le journalisme du carton rouge : Réflexions et chronologie de années orageuses, Douala, L'étincelle d'Afrique, Août 2003, 383 p. Pour une analyse juridique de ces faits, v. L SINDJOUN et M. E. OWONA NGUINI, ``Politisation du droit et juridicisation de la politique : l'esprit sociopolitique du droit de la transition démocratique au Cameroun'' in D. DARBON et J. d. B. de GAUDUSSON (dir.), La création du droit en Afrique, Paris, Karthala, 1997, 496 p. ; pp. 217-245. * 352 P. G. POUGOUE,ibid., p. 103. * 353 J. C. ALEXANDER, Real Civil Societies. Dilemmas of Institutionlization, Sage, 1998, p. 7, cité par M. LECLERC-OLIVE, ``Les pouvoirs publics locaux: quelques réflexions pour l'analyse'', Programme de Développement Municipal (PDM), Décentralisation, foncier et acteurs locaux, Actes de l'atelier de Cotonou, 22-24 mars 2000, PDM, Coopération française, Déc. 2000, p. 45. * 354 C. MOTO ZEH, ``Société civile et promotion des droits de l'enfant : l'importance de l'éducation'', in Cahier africain des droits de l'homme, n° 4, op. cit., p. 177. * 355 Ibid., p. 178. * 356 P. TITI NWEL, ``Société civile et promotion de la démocratie'', in Cahier africain des droits de l'homme, n° 4, op. cit., p. 189 et sq. * 357 Ibid., p. 190. * 358 Ibid., p. 195. * 359 Ibid., p. 197. |
|