La garantie des droits fondamentaux au Cameroun( Télécharger le fichier original )par Zbigniew Paul DIME LI NLEP Université Abomey-Calavi, Bénin - DEA en Droit international des Droits de l'Homme 2004 |
B.- Le secteur de la communication : le Conseil national de la communication (CNC)Avec le retour au pluripartisme et la reconnaissance d'un certain nombre de droits aux citoyens suite à leurs revendications, les pouvoirs africains ne pouvaient faire fi d'une libéralisation du secteur de la presse qui avait longtemps été bâillonné. De l'avis du Pr VIGNON, « l'importance attachée à la liberté de la presse s'explique sans doute par sa position de liberté essentielle assurant la défense avancée de bien d'autres libertés »343(*). Elle permet de forger une conscience dans l'Etat, et sert de moyen essentiel d'information, et le cas échant, de dénonciation sur les dérives au sein d'un Etat. La liberté de presse est ainsi, au sens ou l'a jugé le Conseil constitutionnel français, « une liberté de premier rang, c'est-à-dire, une liberté fondamentale dont dépendent toutes les autres libertés individuelles ; elle est la condition nécessaire des autres »344(*). Au Cameroun, en plus de sa constitutionnalisation, elle est régie par la loi n°90-052 du 19 décembre 1990 relative à la liberté de communication sociale modifiée et complétée par la loi n° 96-04 du 4 janvier 1996345(*) dans le cadre duquel elle s'exerce. Cette législation se veut plus propice à l'expression des libertés de la presse et de la communication sociale dans la société camerounaise, autrefois caractérisée par un encadrement strict de celles-ci. C'est ainsi qu'elle abroge la censure administrative au profit du contrôle a posteriori par le juge. Elle institue du reste en son article 88 un Conseil national de la communication (CNC) dont l'organisation et le fonctionnement sont déterminés par le décret n° 91/287 du 21 juin 1991. Cette structure est cependant loin d'être assimilable à des institutions chargées de garantir la liberté de la presse telles que les Hautes autorités de l'audiovisuel et de la communication (HAAC) au Bénin et Togo. Alors que celles-ci sont généralement des autorités à caractère quasi juridictionnel, le CNC camerounais se singularise par une inféodation aux pouvoirs publics, ce qui consacre une inaptitude à garantir la liberté de la presse aux citoyens camerounais. Toutefois, cette inaptitude doit être dépassée par la recherche de moyens en vue d'améliorer le système actuel de protection de ce droit fondamental. Aux termes de l'article 1er alinéa 1 du décret n° 91/287, « le Conseil national de la communication est un organe consultatif placé auprès du Premier Ministre, chef du Gouvernement, en vue d'assister les pouvoirs publics dans l'élaboration, la mise en oeuvre et le suivi de la politique nationale de communication ». Cette disposition informe sur la nature juridique du CNC qui n'est rien moins qu'une structure de consultation, habilitée à émettre des avis. Ces avis ne sauraient s'imposer aux pouvoirs publics, en l'occurrence le Premier Ministre, qui est libre d'en tenir compte ou pas. Cette portée insuffisante des ``décisions'' d'un organe sensé garantir un droit aussi important que la liberté de communication sociale peut surprendre. Mais lorsque l'on se place dans le contexte de la création de la structure, le début des années 1990, on comprend que les décideurs n'ont pas voulu octroyer au CNC des attributions qu'ils ne pourraient par la suite contrôler. La composition et les ressources du CNC suscitent également des difficultés. En effet, des différentes personnes qui doivent composer l'institution, aucune ne perçoit une rémunération, les fonctions étant gratuites, au sens de l'article 3 du décret n° 91/287. On peut remettre en cause la motivation qui animera ces membres dans l'exercice de leurs fonctions, même s'ils perçoivent des indemnités de session. Qui plus est, lesdites indemnités ainsi que les fonds alloués à la structure proviennent essentiellement des contributions de certains acteurs du secteur de la communication, des dons et legs. On peut le noter, même s'il est fortement soumis à la tutelle de l'Etat pour ses ressources matérielles, le CNC peut construire son autonomie financière en collaboration avec des partenaires nationaux ou internationaux. Il lui revient donc de faire preuve d'un certain dynamisme en la matière. Simple organe consultatif, le CNC n'en a pas moins des attributions sur lesquelles elle ne peut qu'émettre des avis et recommandations dont on peut poser le problème de la portée. Aux termes de l'article 4 du décret de 1991, ces avis portent sur la politique générale de communication sociale et les rapports du Gouvernement relativement aux dossiers de demande de licence d'exploitation des entreprises privées de communication audiovisuelle, à la répartition des fréquences et à toutes les autres matières fixées par les lois et les règlements. Or, c'est l'alinéa 2 du même article qui institue le CNC comme ``gardien de la liberté de communication sociale'' sur le plan non juridictionnel. En effet, le CNC se doit, en période électorale, une période sensible de la vie politique d'un Etat, de veiller au respect de l'égalité d'accès aux médias. Or, comme se le demande M. BEDJOKO MBASSI, s'agissant du cas camerounais, « faut-il rappeler que le temps d'antenne réparti entre les candidats (pendant cette période) s'est toujours fait sur une base inégalitaire » ?346(*) Et cette interrogation en appelle une autre, « que fait à ce propos le CNC » ? Rien, serait-on tenté de répondre. Pour M BEDJOKO MBASSI, traiter des atteintes au droit électoral au Cameroun revient à montrer le caractère subtil que celles-ci revêtent s'agissant de la gestion de l'accès des partis politiques aux médias publics347(*). Le Pr NLEP évoquait déjà cet aspect relativement à cette gestion lors de l'élection présidentielle de 1992. L'exécutif avait par deux textes réglementaires amorcé une édification de la gestion de l'accès aux médias publics : le décret n° 92/030 du 13 février 1992 portant accès des partis politiques aux médias officiels de service public de la communication et l'arrêté n° 005/MINCOM du 24 septembre 1992 fixant les conditions de production, de programmation et des émissions relatives à la campagne en vue de l'élection du 11 octobre 1992. C'est ce dernier texte qui prévoyait que les litiges nés de l'interprétation ou de l'application du texte devaient être déférés sans délai par les candidats ou les partis devant le CNC dont la décision pouvait faire objet d'un recours devant le juge. Le CNC semblait ainsi être une juridiction de premier degré, dont les décisions étaient susceptibles de recours. Or, dans cette mission qui lui est expressément confiée de veiller à l'égalité d'accès aux médias lors de la période électorale, le CNC brille par son laxisme. A titre d'exemple, lors du double scrutin, municipales-législatives, du 30 juin 2002, ce principe de l'égalité d'accès a été ignoré et les grands partis ont accaparé les antennes des médias publics, au détriment des petites formations politiques348(*). Les partis ont ainsi accès aux médias selon leur poids politique et le parti au pouvoir à ce jeu, est le mieux loti. L'indépendance du service public de la communication que le CNC se doit aussi de garantir est alors ignorée, les médias publics étant les relais essentiels de la propagande du pouvoir en place. C'est que le Ministre en charge de la communication (MINCOM) qui à chaque élection prend un arrêté relatif à la gestion de l'accès aux médias publics « ne peut justifier d'un maximum de liberté d'action, de neutralité et d'impartialité », écrit M. BEDJOKO MBASSI349(*). Et il ajoute qu' « il aura (naturellement) comme premier souci de favoriser le parti auquel il appartient »350(*). Le CNC, dans ces conditions, semble être plus un auxiliaire des autorités en place sur lesquelles il n'a aucun pouvoir et est donc inapte à protéger la liberté de communication sociale. On ne peut alors qu'appeler au Cameroun à une refonte du texte organisant cet organe, afin de le rendre plus autonome et par voie de conséquence plus apte à s'acquitter des attributions qui lui sont dévolues, à l'exemple de la HAAC au Bénin et du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) français. Le rôle du juge ne pourra qu'être un appui à cette réalisation concrète d'une liberté de communication propre à parachever l'édification d'une culture démocratique et des droits fondamentaux dans la société camerounaise. Cette dernière, par le biais de l'opinion publique, des associations de promotion et de défense des droits fondamentaux instituées par les citoyens, se doit aussi de participer à cet enracinement de l'Etat de droit au Cameroun. * 343 Y.B. VIGNON, ibid., p. 111. * 344 DCC n° 84-181, 10 et 11 oct. 1984, Rec. p. 73 et ss., cité par Y.B. VIGNON, ibid., p. 112. * 345 In S. NGUE (dir.), Code pénal, 3e éd., Yaoundé, Ed. MINOS, juin 2004, p. 242 et sq. * 346 BEDJOKO MBASSI, ibid., p. 148. * 347 Ibid., p. 148. * 348 Le Rassemblement Démocratique de Peuple Camerounais (RDPC) parti au pouvoir et le Social Democratic Front (SDF), principal parti d'opposition ont eu droit à un temps d'antenne journalier, radiophonique et télévisé, de 63mn 8s et 23mn 9s ; 34mn 29s et 12mn 8s tous les deux contre 0,14mn à 5,6mn sur les ondes radiophoniques et 0,05mn à 2mn 10s sur la chaîne télévisée pour des formations politiques plus petites, in BEDJOKO MBASSI, ibid., p. 148. * 349 Ibid., p. 149. * 350 Ibid., p. 149. |
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