La garantie des droits fondamentaux au Cameroun( Télécharger le fichier original )par Zbigniew Paul DIME LI NLEP Université Abomey-Calavi, Bénin - DEA en Droit international des Droits de l'Homme 2004 |
B.- L'étendue de la protectionA la lecture du préambule constitutionnel, la protection des minorités et des populations autochtones est érigée en un principe constitutionnel qui en attendant d'être objectivé, doit recevoir la protection due à toute norme constitutionnelle. Cette tâche incombe à l'Etat camerounais qui est, ce faisant, astreint à des obligations négatives, mais surtout positives. Il convient pour ce faire que le régime de protection des minorités et des populations autochtones soit enrichi et précisé par la loi, comme il est prévu dans le texte constitutionnel. Toutefois, il serait incongru d'attendre une loi spécifique relative à la protection des minorités et des populations autochtones, il convient plutôt de prendre en compte les desiderata des différents groupes lors de l'adoption de n'importe quelle loi dans l'Etat205(*). Le texte constitutionnel de 1996 a, du reste, déjà précisé certains éléments de cette protection. En son article 57 alinéa 2, il dispose : « le Conseil régional doit refléter les différentes composantes sociologiques de la région ». Les minorités présentes au sein de la région se doivent d'être représentées au niveau de l'organe délibérant de ladite région, ce qui semble préserver leurs intérêts. De plus, eu égard aux règles de contrôle des normes prévues par la Constitution et celles qui garantissent l'immutabilité de certaines dispositions constitutionnelles, les droits des minorités et des populations autochtones se trouvent favorablement préservés par le texte de 1996. Tout d'abord, le Conseil constitutionnel peut examiner des lois ou traités en rapport avec la protection des minorités et des populations autochtones conformément aux dispositions de l'article 47 de la Constitution réformée. De plus, l'on peut se demander avec M. OLINGA si les dispositions constitutionnelles relatives aux minorités et populations autochtones sont susceptibles d'être révisées sans qu'il soit porté atteinte « aux principes démocratiques qui régissent la république » évoqués par l'article 64 de la Constitution206(*). A ce stade, il convient de considérer pour une tentative de réponse qu'une procédure de révision qui vise à extirper de la Constitution les dispositions relatives à la protection des minorités et populations autochtones violerait les principes de l'article 64 sus cité. En effet, ces droits des minorités et des populations autochtones sont localisés dans la partie de la Constitution qui traite des droits fondamentaux, le préambule. En conséquence, les droits participant « si consubstantiellement de l'essence même de la démocratie, y attenter serait saper les bases même de l'ordre démocratique et républicain »207(*), précise M. OLINGA. A son avis, dans le contexte même hypothétique d'une procédure de révision de la Constitution, celle-ci pourrait s'avérer particulièrement difficile en l'absence d'harmonie entre l'exécutif et le législatif208(*). Les difficultés techniques, procédurales et principielles rendent tout aussi difficiles toutes tentatives d'extraction des notions de « minorités » et de « populations autochtones », poursuit-il209(*). Les deux notions se trouvent ainsi protégées par la Constitution réformée qui marque un souci du constituant de leur affecter une place importante dans la terminologie juridique camerounaise. Les lois électorales participent également à la protection des minorités et des populations autochtones. En effet, les consultations électorales sont un moment charnière de la vie sociale camerounaise, au cours desquelles se pose avec acuité le problème de la protection de ces deux catégories sociales. Les lois électorales exigent pour la préservation des droits de ces deux groupes que dans la composition des listes pour les élections plurinominales, l'on tienne compte des « composantes sociologiques de la circonscription ». L'article 5 alinéa 4 de la loi n° 91/020 du 16 décembre 1991 fixant les conditions d'élection des députés à l'Assemblée nationale pose à ce propos que « la constitution de chaque liste doit tenir compte des différentes composantes sociologiques de la circonscription ». Le juge administratif a eu à être interpellé pour des affaires relatives à ces élections plurinominales au cours desquelles ces dispositions électorales semblaient violées. Dans le jugement n° 59/CS-CA du 18 juillet 1996, le requérant, EPALE Roger Delore, arguant de sa simple qualité d'électeur, n'a pas hésité à solliciter de la CS/CA l'annulation des élections remportées par la liste du Social Democratic Front (SDF) dans la commune rurale de BARE-MOUNGO, au motif que cette liste composée de 25 conseillers, comportait « vingt quatre allogènes et un seul autochtone »210(*). Dans une autre affaire le même jour, objet du jugement n° 60/CS-CA, le requérant NGUEYONG MOUSSA sollicite du juge administratif l'annulation d'élections municipales au motif que la liste à laquelle il est opposé ne respecte pas la composante sociologique de la région. Pour le Pr NLEP, même si dans ces deux affaires le juge s'est déclaré incompétent du fait de l'attribution par la loi électorale en cause211(*) à la Commission Communale de Supervision des contestations relatives à la candidature, aux opérations préélectorales et au dépouillement du scrutin, il ne fait aucun doute que s'il devait se prononcer sur le fond des deux cas, il aurait prononcé l'annulation des résultats recueillis par une liste non conforme aux prescriptions légales212(*). Les lois électorales participent aussi à la protection des minorités et des populations autochtones au moment du découpage des circonscriptions électorales. Aux termes de l'article 3 de la loi n° 91/020 du 16 décembre 1991, « le département constitue la circonscription électorale. Toutefois, compte tenu de leur situation particulière, certaines circonscriptions pourront faire l'objet d'un découpage spécial ». Ce découpage spécial se fait par « voie réglementaire » selon la loi n° 97/013 du 19 mars 1997 modifiant et complétant la loi du 16 décembre 1991. Il est susceptible de modifier substantivement la représentation parlementaire de la circonscription qui fait l'objet du découpage. C'est en ce sens que le découpage semble poursuivre, « entre autres objectifs, non seulement le maintien des grands équilibres sociologiques d'une circonscription, mais aussi la représentation des minorités dans la vie et les institutions nationales du pays conformément à la Constitution », écrit M. OLINGA213(*). L'incorporation dans la Constitution camerounaise du principe de la protection des minorités et des populations autochtones ne va pas sans se heurter à des difficultés juridiques et sociologiques. En effet, la loi constitutionnelle consacre à côté de cette protection particulière à bien des égards, le principe de l'égalité de tous les citoyens en droit et le principe de leur égalité devant la loi. L'hypothèse de conflits entre ces différents principes constitutionnels n'est pas exclue en droit positif camerounais. On peut être amené à se demander si, face à une telle consécration dans l'Etat, ce dernier peut protéger de manière impartiale tous les citoyens et accorder cependant une protection particulière à certains d'entre eux sous prétexte qu'ils seraient minoritaires. Autrement dit, pour paraphraser M. NNANGA, le principe de la protection des minorités et des populations ne risque t-il pas de conduire à une dictature de ces deux groupes dans l'Etat ? Le principe consacré peut également se heurter à d'autres principes constitutionnels. Le texte constitutionnel dispose que « tout homme a le droit de se fixer en tout lieu et de se déplacer librement, sous réserve des prescriptions légales relatives à l'ordre, à la sécurité et à la tranquillité publics ». Or nous l'avons vu, le principe de la protection des minorités et des populations autochtones concourt à préserver certains acquis pour ces groupes de personnes. Comment dès lors certains citoyens pourraient s'installer dans des localités de l'Etat sans entrer en conflit avec les minorités et autochtones desdites localités ? En cas de survenance de tels conflits entre principes constitutionnels, le Doyen VEDEL pose comme principe général de solution que « si les critères de validité stricto sensu ne fournissent pas de règles de solutions de conflit, celui-ci ne peut être résolu que par l'interprétation (...) Ou bien l'interprète qualifié (le juge) découvrira que le respect de l'une ou l'autre norme est simultanément possible, ce qui revient à dire que le conflit n'était qu'apparent. Ou bien le conflit est réel, et celui qui doit faire application de l'une et l'autre règles est amené à les ``concilier'', c'est-à-dire à les appliquer partiellement l'une et l'autre »214(*). Le juge devra oeuvrer au maximum afin que les règles en conflit conservent leur sens. Il a un rôle important à jouer en la matière, à la suite du législateur qui se doit de clarifier suffisamment le contenu des normes en conflit. * 205A. D. OLINGA, ``La protection des minorités...'', ibid., p. 275. * 206 Ibid., p. 277. * 207 Ibid., p. 277. * 208 Ibid., p. 277. * 209 Ibid., p. 278. * 210 R. G. NLEP, ibid., p. 141. * 211 En l'occurrence la loi n° 92/002 du 14 août 1992 fixant les conditions d'élection des conseillers municipaux. * 212 R. G. NLEP, ibid., pp. 141-142. * 213 A. D. OLINGA, ``La protection des minorités...'', ibid., p. 279. * 214 G. VEDEL, ``La place de la Déclaration de 1789 dans le « bloc de constitutionnalité »'', In la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen et la jurisprudence, Colloque des 25 et 26 mai 1989, pp. 35 et sq., p. 49, cité par A. MINKOA SHE, op. cit., pp. 54-55. |
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