La biosecurite dans le protocole de cartagenapar Alassani KOUNTE Universités de Lome, Maastricht, Liege, Abomey Calavi - DEA 2001 |
Paragraphe 2 : Les débats autour de la question des OGM.Au sujet des OGM, il y a une divergence des points de vue entre pays pauvres et pays riches(A) ensuite nous allons aborder la jurisprudence de la CJCE en matière d'ESB (B) A- La divergence des points de vue Jamais avant la Conférence sur la biosécurité de Cartagena (Colombie, février 1999), on avait réalisé l'envergure des enjeux environnementaux et socio-économiques de la biotechnologie. Juste avant les négociations de Cartagena, l'unité du tiers-monde a éclaté. Le Chili, l'Argentine et l'Uruguay ont formé le "groupe de Miami" avec les Etats-Unis, le Canada et l'Australie. Rappelons que l'Argentine et les deux géants nord-américains sont les principaux exportateurs de produits agricoles. Ils cultivent actuellement des plantes transgéniques, en particulier le soja, le maïs, le maïs et le colza sur de larges superficies64. 64. . Surface totale (OGM/non OGM) de ces 4 cultures = 271 millions ha. Sur ces 271 millions ha, 21% de surfaces sont OGM soit l'équivalent de 5% de la superficie des Etats-Unis ; soja OGM = 51% des surfaces de soja, coton OGM = 20% des surfaces de coton, colza OGM = 12% des surfaces de colza, maïs OGM = 9% des surfaces de maïs Les récoltes de ces OGM ne sont pas stockées séparément, mais au contraire mélangées à celles des cultures traditionnelles. Ces exportateurs craignent que le protocole ne soit utilisé pour entraver le commerce des produits agricoles transgéniques vers certains pays. Ces craintes ne sont pas seulement théoriques, car entre temps, l'absence de décision européenne approuvant des variétés de maïs transgénique et de colza, d'origines américaine et canadienne, a entraîné d'importantes pertes de marché. A Cartagena, le groupe de Miami a affirmé que les produits transgéniques tels que les graines sont destinés à être consommés et transformés, et non à être libérés dans l'environnement, de sorte qu'ils n'affecteront pas la biodiversité. Selon eux, ils devraient être exclus de la procédure d'accord préalable. Mais ils ne disent rien de leurs conséquences sur la santé des consommateurs. L'Union Européenne était mal à l'aise, entre la position du groupe de Miami et la prudence du Tiers-Monde. Elle tente de négocier un compromis, malgré des discordances entre ses membres. Selon King (1999), à propos des OGM servant de matières premières (les graines génétiquement modifiées commercialisées pour l'alimentation humaine et animale), l'UE est forcée d'insister sur leur inclusion dans le protocole puisque la directive 90/220 du 23 avril 199065 encadre l'importation de tous les OGM vivants. Selon la même source, les groupes environnementalistes se sont plaints de ce que l'UE n'était pas suffisamment ferme sur ce point durant les négociations, et de ce que le "texte du président" du Groupe de Travail, le Danois Veit Koester, qui a été finalement adopté par le groupe puis transmis à la Conférence des Parties, exclut cette catégorie d'OGM du protocole et donc de la procédure de l'accord préalable. Cependant, à la fin de la conférence, l'UE a indiqué que les matières premières devaient être incluses dans le traité. Mais d'aucuns précisent que la position européenne est flexible.
D'autres différends ont été débattus à Cartagena. Par exemple, les pays industrialisés ont affirmé que les produits transformés à partir des OGM ("produits dérivés"), qui ne sont pas eux-mêmes vivants, doivent être exclus du protocole. S'agissant du principe de précaution, il a été largement cité dans la réglementation internationale sur l'environnement, en particulier dans la déclaration de Rio. Il énonce que les gouvernements devraient agir pour protéger l'environnement, même lorsqu'ils ne possèdent pas de preuves scientifiques de la nocivité de la menace. Le texte du président du Groupe de Travail spécial à composition non limité sur la prévention des risques biotechnologiques permettrait d'appliquer le principe de précaution aux procédures d'évaluation du risque utilisé pour l'accord préalable. Par ailleurs, beaucoup de pays du Tiers-Monde, et surtout les pays africains, affirment que l'importation d'OGM devrait prendre en compte les conséquences socio-économiques de ces produits, et leurs effets directs sur la biodiversité. Selon eux, puisque la diversité biologique est principalement conservée par les cultivateurs traditionnels et les peuples autochtones, tout impact négatif sur ces derniers serait par contrecoup néfaste pour la biodiversité. Le groupe de Miami et l'Union européenne s'opposent à cette vision ; ils considèrent qu'elle introduit des arguments "subjectifs" qui pourraient être utilisés pour bloquer la commercialisation d'OGM inoffensifs. En revanche, l'UE se distingue du groupe de Miami sur la question de savoir si le protocole doit être subordonné aux règles de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC). 65. Directive 90/220/CEE relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement L'UE affirme que le protocole est avant tout une législation environnementale découlant de la Convention sur la Diversité Biologique et qu'il doit donc avoir le même statut que les autres lois internationales. De même, les positions divergent quant à la question de la responsabilité et des réparations des préjudices découlant du transport international d'OGM, que les pays du Tiers-Monde considèrent comme cruciale. Finalement, les Etats-Unis et leurs alliés ont été largement accusés d'avoir torpillé les négociations de Cartagena. B- L'ESB et le principe de précaution dans la jurisprudence de la CJCE C'est dans une affaire d'agriculture et de police sanitaire (l'affaire de la vache folle) que la Cour de Justice des Communautés en a précisé la portée et fait application64.Dans deux arrêts du 5 Juillet 1998, la Cour devait apprécier la validité d'une décision de la Commission Européenne « relative à certaines mesures d'urgence en matière de protection contre l'encéphalopathie spongiforme bovine » (ESB) qui interdisait au Royaume-Uni d'expédier des bovins, des viandes bovines et divers produits vers les autres Etats membres ou des pays tiers. La question posée était de savoir si cette mesure était suffisamment justifiée car elle avait été prise dans un contexte de risque incertain de transmission de la maladie de la vache folle à l'homme. En réponse à un moyen pris de la violation du principe de proportionnalité, la Cour décide : « A l'époque de l'adoption de la décision attaquée, il existait une grande incertitude quant aux risques présentés par les animaux vivants, la viande bovine ou les produits dérivés. Or, il doit être admis que lorsque les incertitudes subsistent quant à l'existence ou à la portée de risques pour la santé des personnes, les institutions peuvent prendre des mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées. Cette approche est corroborée par l'article 130 R, paragraphe 1, du traité CE, selon lequel la protection de la santé des personnes relève des objectifs de la politique de la Communauté dans le domaine de l'environnement. Le paragraphe 2 du même article prévoit que cette politique, visant un niveau de protection élevé, se fonde notamment sur les principes de précaution et d'action préventive et que les exigences en matière de protection l'environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en oeuvre des autres politiques de la Communauté »65. La démarche de précaution est donc légitime dans le droit communautaire, à tout le moins lorsqu'il y va de la santé et de l'environnement68. 66. Droit et Environnement, Bulletin du Réseau « Droit de l'Environnement », Agence Universitaire de la Francophonie AUPELF-UREF , juin 2001 no 8 page 1 67. Arrêts publiés sur le site http://europa.eu.int/cj/fr/index.htm 68. Michel PAQUES , chronique : la CJCE et le principe de précaution, l'ESB et l'OGM, droit et environnement, bulletin du Réseau « Droit de l'Environnement » Agence Universitaire de la Francophonie AUPELF-UREF page 2. Telle est également la lecture du droit communautaire que propose la Commission des Communautés : « La Commission considère [...] que le principe de précaution est un principe d'application générale qui doit être notamment pris en compte dans les domaines de la protection de l'environnement, son champ d'application est beaucoup plus large. Il couvre les circonstances particulières où les données scientifiques, peu concluantes ou incertaines, mais où, selon des indications découlant d'une évaluation scientifique objective et préliminaire, il y a des motifs raisonnables de s'inquiéter que les effets potentiellement dangereux sur l'environnement et la santé humaine, animale ou végétale soient incompatibles avec le niveau choisi de protection 67»
. 69. Voir le site http://europa.eu.int/eurlex/fr/com/pdf/2000/com20000001fr01.pdf.sp.p.9 |
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