Protection Juridique du personel Humanitaire en Situation de conflit armépar Nicole TCHOMTCHOUA TAGNE Université Catholique d'Afrique Centrale - Master 2004 |
Il n'en demeure pas moins que, la logique du militaire ne pourra jamais se confondre à l'idéologie humanitaire ; S'ils peuvent certes se retrouver sur un terrain d'intervention, les premiers servant de boucliers aux seconds, il faut tout de même relever que, leurs finalités demeurent distinctes.A -L'évolution de la pratiqueAvant l'effondrement de l'empire soviétique, les interventions militaro humanitaires étaient proscrites de peur de créer des tensions Nord-Sud. Mais après l'effondrement du bloc communiste, ce type d'intervention a connu un regain de popularité. Les raisons d'expansion de cette fusion militaire- humanitaire sont entre autres, la multiplication des conflits internes, c'est en ce sens que O WEBBER a parlé de : « la tribalisation du conflit avec pour corollaire une implication de plus en plus grande des civils »59(*), notamment dans le tiers monde. Généralement, au cours de ces conflits, les agents d'organisations humanitaires sont victimes de pillages et de ciblages de toutes sortes. Désormais, certaines ONG recourent aux services des forces armées pour assurer leur sécurité pendant les opérations d'assistance humanitaire. Depuis la Somalie en 1992, le Rwanda en 1994, le Kosovo en 1999, les militaires sont dorénavant présents dans la gestion humanitaire du conflit. D'autres raisons sont le fait que, les humanitaires n'ont pas toujours les moyens logistiques pour assurer leur propre sécurité. C'est pourquoi ils sollicitent l'intervention des militaires surtout dans un contexte où sans ce recours toute assistance s'avère impossible. Cette fusion militaire humanitaire ne fait pas l'unanimité au sein des humanitaires. En effet, certaines organisations humanitaires à l'instar du CICR pensent que, la seule présence des militaires aux cotés d'une mission humanitaire suffit à dénaturer l'essence de l'action humanitaire qui se veut affranchie de toute action militaire60(*), c'est dans cette logique que Meinrad STUDER affirme que : « les activités du CICR doivent être indépendantes de tout objectif et considération politique ou militaire, avec pour seul critère les besoins des victimes »61(*). Pour le CICR, l'action humanitaire consiste à apporter protection et assistance aux victimes de conflit armé en respectant un certain nombre de règles indépendamment des objectifs politiques et militaires. Cela se justifiant par le fait que, pour cette institution, ces principes constituent des outils de travail ; c'est en ce sens que qu'il affirme que : « l'action humanitaire doit être perçue comme un modus opérendis ... »62(*) D'autres par contre trouvent que le caractère dangereux de certaines interventions nécessite absolument une présence militaire afin d'assurer leur sécurité. Cette pratique a certes souvent porté des fruits mais il n'en demeure pas moins qu'elle engendre des effets pervers. B- Les effets pervers de cette pratique L'assistance militaro-humanitaire constitue en elle-même la violation du principe qui veut que l'intervention humanitaire soit affranchie de toute action militaire. Bien plus, elle est une remise en question de l'idéal idéologique de neutralité de l'action humanitaire. D'un point de vue juridique et éthique, la neutralité des militaires n'est jamais acquise lors d'une intervention. Peut-on vraiment espérer une compatibilité entre action militaire et humanitaire ? L'actualité nous fait montre de ce que l'adjectif humanitaire est de plus en plus utilisé pour se garantir le soutien des opinions publiques et légitimer ainsi des décisions d'intervention63(*). Toute intervention militaire sur un terrain d'action humanitaire est portée à de très grands risques de dérapage. Les militaires ne sont pas conçus dans leurs aspects tant logistiques que hiérarchiques pour des missions d'aide humanitaire, surtout dans des situations complexes où respect de la logique d'impartialité, créativité et adaptabilité valent mieux qu'infrastructure lourde. Cette pratique constitue à l'égard des agents humanitaires un grand risque pour leur propre sécurité en ce sens que, les populations peuvent voir dans cette intervention militaro humanitaire son seul aspect militaire64(*). Par ailleurs il n'est pas exclu qu'une fois sur le terrain, cette intervention militaro humanitaire serve plutôt des causes autres qu'humanitaires. En aucun cas, les principes humanitaires ne peuvent se confondre aux principes militaires. Comment comprendre que ceux qui sont formés pour tuer puissent du jour au lendemain se convertir dans des missions qui sont radicalement opposées à celles pour lesquelles ils ont été formés ? L'assistance militaro humanitaire certes à certains égards a souvent porté des fruits quant à la sécurité des missions d'aide humanitaire mais il reste que c'est une pratique qui a plus d'effets néfastes que positifs. Les risques de dérives sont grands aussi bien à l'égard des populations civiles que des missions d'aide humanitaire65(*). La présence des militaires sur le terrain de l'aide humanitaire ne peut que contribuer à traumatiser davantage une population déjà séquestrée par la guerre. Cette situation loin d'être à l'avantage des missions d'aide humanitaire participe plutôt à installer dans la tête des populations un climat de suspicion et un sérieux risque de confusion quant à la nature effective de ces différents acteurs. Par ailleurs, dans la pratique, l'intervention humanitaire est toujours initiée par les puissances occidentales. En Afrique particulièrement, ces interventions sont souvent plus colorées par des intérêts économiques, géostratégiques qu'humanitaires proprement dits. Ces dernières peuvent entre autres intervenir en vue de renverser un régime afin de prêter main forte à un autre qui soit en même de mieux veiller sur leurs intérêts sur le territoire. L'Afrique, étant la chasse gardée des puissances européennes, ces puissances n'hésitent pas à dicter aux africains les modèles de gouvernement qu'ils préfèrent, c'est -à -dire qu'ils peuvent manipuler à leur guise66(*). La question d'ingérence humanitaire est devenue très stratégique dans les pays ayant de grandes réserves de ressources naturelles. Les causes d'une intervention militaro humanitaire sont multiples et varient en fonction des intérêts propres de toute puissance interventionniste. Ce qui reste vrai c'est que, les opérations extérieures ne poursuivent pas toujours des objectifs humanitaires. Toute opération militaire obéit à des intérêts précis, et les Etats ne sont jamais animés par le seul souci d'alléger les souffrances humaines. Selon J.B.HEHIR :« L'intervention est trop coûteuse et imprévisible pour être guidée par la compassion ou, par le respect des buts normatifs qui sont rarement atteints ou atteignables dans le jeu des relations entre Etats ; l'intervention n'a de sens qu'au nom de ses intérêts propres et non en tant qu'instruments pour atteindre des objectifs ou des valeurs universelles. »67(*) Le mobile de l'humanitaire est devenu de nos jours l'instrument substantiel et privilégié de toute intervention militaire68(*). Toutes les interventions militaro humanitaires soulèvent des problèmes mais à des degrés différents ; en ce sens que, comme nous l'avons dit plus haut, les interventions militaro humanitaires sont presque toujours guidées par des élans intéressés. Les interventions telles que celles des forces Onusiennes peuvent toute fois être dénuées de toute idée de partialité. Il n'en demeure pas moins que l'intérêt est devenu le leitmotiv de toute intervention humanitaire. En somme, la protection du personnel humanitaire au regard des différents textes internationaux, des Résolutions des Nations Unies est une réalité. Ces agents sont protégés par les textes aussi bien dans des contextes de conflit armé international que non international. Certes les textes conventionnels régissant les situations de guerre interne sont moins élaborés que ceux des textes de Genève sur les guerres inter-Etatiques, mais il existe d'autres instruments juridiques qui viennent compléter sinon renforcer les dispositions du droit international humanitaire en ce qui concerne les situations de guerre civile. Par ailleurs, il faut aussi souligner que, bien que ces agents humanitaires poursuivent les même objectifs à savoir limiter les dégâts causés par la guerre, ceux ci ne sont pas pour autant soumis à un régime juridique de protection unique. Il a été constaté dans le cadre de ce chapitre que bien qu'ils soient tous protégés de manière générale par les conventions de Genève, certaines organisations bénéficient de manière particulière à d'autres mesures de protection propre à leur institution. Mais il n'en demeure pas moins que, le droit international humanitaire accorde une protection effective à ces agents dévoués aux souffrances humaines ; protection qui interdit de porter à leur endroit et sur leurs biens et locaux certains actes clairement définis par les traités internationaux. C'est en ce sens que, tout contrevenant à ces dispositions qui se serait livré à des actes prohibés à l'encontre du personnel humanitaire se verra pénalement sanctionné. * 59 O. WEBBER, humanitaires, Edition du féllin, Paris, 2003, p.10. * 60 CICR, Les liens entre l'action humanitaire et l'action politique, économique et militaire ; CICR, Genève, 1995. * 61 M. STUDER op. cit. * 62 C.SOMMARUGA, La relation entre l'action humanitaire et l'action politico - militaire, Bruxelles, Symposium international, 9 au 11février 1998. * 63 Beat SCHWEIZER, « L'humanitarisme confronté à des dilemmes moraux à l'époque des interventions militaires humanitaires », in RICR n°855, septembre 2004, pp.547-564 * 64 P. RYFMAN op.cit., p.170. * 65 C.GIROD, A. GNAEDINGER, Le politique, le militaire, l'humanitaire : un difficile mariage à trois, CICR, Genève, 1998. * 66 J. KIZ-ERBO, A quand l'Afrique?, Édition de l'aube, PUA, 2003, p.58. * 67 J. BRYAN HEHIR, « Intervention militaire et souveraineté nationale. Une relation à repenser », in les choix difficiles op. Cit. , p. 51. * 68 F. BUIGNION, « Le droit international humanitaire à l'épreuve des conflits de notre temps » in RICR n°835, septembre 1999 |
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