Subjectivité et intersubjectivité dans la conversion indiviuelle masculine à l'islam en France au XXI siècle( Télécharger le fichier original )par Marie Bastin Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris - 2002 |
· Le mariageDans le cadre des relations entretenues avec les musulmans, et plus particulièrement avec les musulmans sociologiques, il est possible de traiter de la dimension à la fois individuelle et collective de la création d'un couple, voire de la création d'une famille. En islam, d'une part, se marier et procréer sont des « obligations » spirituelles pour l'homme comme pour la femme. D'autre part, un homme musulman peut épouser une femme non musulmane, chrétienne ou juive. L'athée ou l'agnostique lui sont interdites. Enfin, rappelons que le mariage entre musulmans n'est pas un acte sacré, mais séculier, contrairement aux mariages chrétien et juif. Le mariage, en islam sunnite, est un contrat entre deux individus, réalisé chez le notaire, `adil, en présence de témoins pour chacun des époux. Ce mariage s'apparente plus au mariage républicain, ce qui n'est certainement pas pour déplaire aux convertis du corpus concerné. Le mariage en islam sunnite ou shi'ite revêt, quand même, une spécificité ignorée du mariage républicain : la possibilité de la polygamie. Comment se marie-t-on lorsque l'on est converti à l'islam ? Comment ces hommes convertis à l'islam envisagent-ils la dimension polygamique du mariage islamique ? En effet, les hommes convertis du corpus étudié, quand ils ne sont pas mariés, souhaitent le plus souvent épouser une musulmane ou bien une femme « croyante » qui le deviendrait. Pourquoi ne disposent-ils pas du choix qu'ils ont d'épouser une non musulmane ? Un foyer univoque islamique leur semble préférable, et ce, du point de vue individuel, dans un premier temps. Dans un deuxième temps, ils arguent de ce choix pour manifester leur souci de pouvoir élever leurs enfants à venir, dans l'islam. Quand ils sont mariés, ils ont épousé une musulmane, le plus souvent de naissance. On peut comprendre, dans un troisième temps, qu'il sont motivés par le besoin de s'affilier à la communauté musulmane, d'établir l'engendrement spirituel dans une lignée familiale, une tribu, arabe et de surcroît potentiellement et mythiquement descendante du Prophète Mohammed168(*). Il est, en revanche, très clair pour tous, que devenir musulman ne signifie pas devenir Arabe. Et bien que la distinction entre l'appartenance religieuse et l'appartenance culturelle soit très précisément établie, une « gourmandise » les pousse vers la chaleur de la civilisation arabe. Exception faite de C7, d'une part, qui, en conservant son esprit critique déjà mis au service de la remise en question des attitudes de son groupe d'origine, manifeste son scepticisme envers la civilisation arabe et les interactions arabe/islam. Et de C1 et C5, qui sont plus en relation avec l'univers culturel sénégalais qu'avec l'univers culturel arabe. Il est possible d'imaginer, bien qu'aucun ne l'a dit explicitement, que la crise de la famille et du couple à l'occidentale ne les encourage pas à envisager d'établir un couple dans la multiplicité des configurations post-moderne, mais à chercher dans un autre système de pensée, les moyens d'élaborer un couple basé sur le spirituel et conçu comme le champ de la pratique religieuse et de l'engagement. C3, a lui, élaboré son couple. En choisissant d'épouser une femme musulmane sociologique, plus qu'une femme convertie, comme lui. Il est remarquable de constater comment C3 est partie à la recherche de son épouse. En effet, il a mis en place des pratiques traditionnelles que l'on retrouve très vivaces encore au Maghreb et plus particulièrement au Maroc : ces pratiques consistent à activer un réseau de relations sociales, familiales et amicales, afin de rencontrer celui ou celle qui sera le compagnon de mariage. Exit pour C3, l'histoire d'amour fondatrice d'un couple idéal et heureux ! Il sollicite donc ses amis musulmans marocains, émet ses « exigences », plutôt centrées sur le fait que sa future épouse devrait être musulmane et mature. Peu lui importe l'âge ou la beauté, l'origine sociale ou professionnelle. Le renouveau des rencontres en vue de mariage par le biais d'agences matrimoniales, du minitel et d'internet ne peut permettre donc de regarder la démarche de C3 sous l'oeil moqueur ou sceptique si fréquent. En puisant à des sources anthropologiques traditionnelles, il n'en reste pas moins ou n'en devient pas moins, un individu ultramoderne. Le couple de C3 semble, non seulement s'être constituer, mais s'être réaliser et se dérouler sans heurts. Trois enfants sont nés de ce mariage, et chaque membre semble accompli. Peut-on s'interroger alors ici qu'en fait le multiculturalisme ambiant est plus une question de formes des comment vivre, travailler, aimer et croire, qu'une questions de fond, quelle vie mener, quelle profession pratiquer, qui aimer et que croire ? Un cas, C2, attire pourtant l'attention. En effet, divorcer d'une femme croyante n'est pas une obligation lorsque l'on se fait musulman, la patience et l'espoir qu'elle se convertisse devant rester impérieux. Le dilemme se pose quand elle est « agnostique et athée » et que la configuration du couple semblait déjà mise à mal, avant la conversion de C2. Si, à l'heure actuelle, le chercheur ne sait pas si la rupture conjugale annoncée a été consommée, il est évident, par le témoignage de C2, que sa conversion a été un bouleversement individuel, mais également familial et affectif, plus que dans tous les autres cas. Bien que cette rupture l'affecte, il semble déterminé à ne rien céder sur le terrain de sa vie spirituelle individuelle qui devient Le centre de sa réalisation sociale et identitaire. Il souhaite la consacrer pleinement à l'islam au point de fonder une famille, un foyer avec et uniquement une femme musulmane. Il est perceptible dans son récit qu'il s'agirait pour lui d'une réalisation totale de sa nouvelle vie de musulman. Quant à la polygamie, tous les convertis interrogés ont non seulement expliqué qu'ils en connaissaient les tenants et aboutissants islamiques historiques et juridiques, qu'ils ne songeaient pas en user a priori, et que ce n'est pas cela qui aurait participer de leur conversion à l'islam. Se marier avec une femme musulmane, ne serait-ce pas une façon de s'attacher corps et âme à la foi islamique ? Cela ne pousserait-il pas cet homme a être plus musulman que musulman, plus honnête qu'honnête et plus fidèle à son engagement marital qu'il ne l'aurait jamais été ? S'agirait-il pour ces hommes de finaliser leur intégration spirituelle en se donnant « toutes les chances » de pouvoir élever leurs enfants en islam, en faisant d'eux des musulmans sociologiques et tentant alors « d'effacer » leur conversion -conversion, dont certes ils ne souffrent pas et dont ils n'ont pas honte, mais qu'ils décrivent toujours comme n'ayant pas été assez précoce ? Ne s'agit-il pas pour eux de « démontrer » qu'il est possible, aujourd'hui, de se marier avec quelqu'un, et de projeter ce couple dans un long terme et sur des bases, comme les spirituelles individuelles, plus difficiles à ébranler que toutes celles qui sont appelés en renfort du point de vue ultramoderne ? Ce type de mariage supposerait-il donc deux idées sous-jacentes : celle qui considère que le sentiment amoureux comme ciment du couple est désormais une hérésie, la preuve en serait tous les échecs constatés et celle que le couple concerne des individus avant tout, en étant une affaire séculière, mais au coeur duquel il est possible de puiser des forces spirituelles, pour les individus et les communautés auxquelles ils appartiennent ? * 168 Quant aux femmes converties à l'islam et en âge de fonder un foyer, le même voeu ou souhait d'épouser un musulman et un musulman de naissance est émis. Certaines le justifient par l'interprétation la plus courante de ce qui en islam et dans le Coran interdirait une femme musulmane d'épouser un non musulman. Quelle normalisation pratiquent-elles dans ce cadre ? Où est passé la force de leur libre arbitre et de leur critique de leur groupe d'origine ? |
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