Disparités
Les disparités sont de deux ordres. Elles concernent,
d'une part, le domaine de la critique émise par l'individu envers la
communauté religieuse à laquelle il appartenait ou à
laquelle son groupe d'origine faisait référence, d'autre part, il
s'agit du domaine de la satisfaction des besoins spirituels individuels qui
diffère d'un individu l'autre.
· La critique de la pratique religieuse : où
est le « nous » ?
Quatre d'entre eux C3, C4, C5 et C6, qui vivaient dans des
familles pratiquantes catholique ou protestante, se disent avoir
été tout à fait croyants et heureux de l'être
jusqu'à un moment précis, dont chacun fera la présentation
comme étant (rétrospectivement en termes de reconstruction
biographique liée à l'entretien) le moment annonciateur du futur
changement. Celui-ci se traduit en termes de déception à
l'égard des promesses du monde, des promesses de ceux en qui ils avaient
confiance, de celui à qui ils se livraient : Dieu. Ce sont ces
attentes, ces espoirs, ces croyances qui semblent les distinguer de leur
entourage, apparemment incompréhensif à leur égard, --ce
qui n'est pas explicitement dit d'ailleurs-- et qui les a poussés non
à changer d'opinion, mais à chercher à trouver un
« terrain » pour les faire croître.
Cette « hypocrisie » est également
souvent évoquée par les « convertis » en
terme de critique et d'opposition individuelle et intérieure, sans
qu'ils ne disent avoir eu à supporter de
« troubles » identitaires. Ils considèrent les
pratiquants de leur groupe d'origine comme trichant avec les valeurs qu'ils
prônent eux-mêmes. Les individus futurs convertis déplorent
le manque d'harmonie entre ce qui est prôné religieusement et les
tenants de ces propres valeurs. Sans évoquer les questions politiques,
l'on peut supposer que bien qu'ils se concentrent sur la dimension spirituelle
de l'existence, comme lieu idéal et encore pur de toute perversion,
l'expression « déçus de la politique »
pourrait leur être attribuée. C'est en termes suivants que ce
décalage identitaire s'exprime : complètement
éduqués et imprégnés des valeurs de croyance
chrétienne : solidarité, tolérance et empathie, et de
celles de la démocratie, bons modèles mêmes de l'ensemble
de ces valeurs, ils se sentent trahis par ceux qui les leur ont
inculqué. On pourrait donc dire que leur état intérieur de
déception est lié aux gens, et non aux valeurs, et à la
possibilité de les appliquer et de les partager. Ils se retrouvent
à « partir à la recherche » d'alter ego ou de
croyants avec lesquels ils espèrent pouvoir
« enfin » partager de façon authentique et
sincère les mêmes valeurs spirituelles. Très vite
perçues et voulues par l'individu, comme des valeurs universelles. Le
système de pensée qui est alors susceptible de recevoir cette
recherche se trouve d'emblée être défini implicitement par
le converti comme ouvert et différent de celui des origines et
susceptible de l'accueillir, a priori.
C5 se distingue un peu des autres, en termes de critique,
puisqu'il n'a pas seulement remis en cause le comportement de ceux dont il
s'était senti le coreligionnaire, mais il a « interrogé
dieu » et a remis en question « à
l'intérieur de sa tête ce que dieu donne aux
hommes ». A cette étape d'insatisfaction et de critique,
dieu se révèle aux yeux de C5 comme un
« menteur ». C'est dieu qui duperait les hommes, et non les
hommes seulement entre eux, à propos de Dieu et des valeurs divines.
L'origine protestante de C5 explique peut-être cette attitude critique
directe et sans intermédiaire, de dieu.
C6 est un cas particulier, lui aussi, puisqu'il exprime la
critique envers le système de croyance oecuménique
chrétien auquel il appartenait, suite à la stigmatisation, d'une
part dont il s'est senti victime par les membres de ce groupe de pratiquants.
Et d'autre part, au manque de chaleur fraternelle qu'il a identifié dans
sa communauté. Il est possible d'observer dans le parcours de C6 de
réguliers à-coups de déception par rapport à ses
coreligionnaires oecuméniques. Son besoin de comprendre et d'approfondir
sa connaissance spirituelle semble ne pas avoir trouvé le
répondant qu'il estimait et estime encore même de la part de ses
frères en islam, légitime de recevoir. Tout normé qu'il
fut au sein de cette communauté chrétienne dont il a
respecté les règles religieuses et séculières et
les hiérarchies du mouvement, il ne s'est pas normalisé au niveau
de la quête de connaissance et du ressenti spirituels.
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