La diversité et sa gestion dans un comité local d'ATTAC.( Télécharger le fichier original )par Jean Engel Université Paris 1 - Sorbonne - Dea Sociologie Politique 2004 |
Autonomie des groupesCe point nous paraît capital. Non seulement, les groupes choisissent leurs activités mais ils s'organisent de plus de manière autonome. Même s'ils tiennent régulièrement les autres membres au courant de leurs actions, ils sont libres de fonctionner comme ils l'entendent sans contrôle de la part du conseil ou des autres membres. Le fonctionnement s'établit au fur et à mesure : « Et c'est vrai que je trouve ça plutôt stimulant que des groupes, comme ça, informels se créent au départ et puis imaginent ensemble comment faire des choses. C'est-à-dire que moi par exemple pour les affichettes j'avais une idée de départ mais ça évolue au fur et à mesure et avec les gens qui participent. »155(*) La gestion par les militants des différentes actions, indépendamment de structures de contrôle, est un gage de satisfaction évident pour les militants. Le journal de l'association par exemple est géré par les membres qui désirent s'en occuper et chacun peut y écrire : « Le journal justement ce qu'on essayait de faire, c'est que c'était pas le journal d'ATTAC, c'est le journal des adhérents d'ATTAC. C'est-à-dire qu'il n'y a personne du bureau ou du conseil qui peut dire « cet article on le veut pas, etc... ». C'est que des choses qu'on fait, que des adhérents qui viennent, font en commun. Qui disent « ton article me plaît pas donc je fais un contre-article », « tu ne devrais pas mettre ça parce qu'on ne comprend pas bien », etc... mais il n'y a pas du tout de censure ou il faut parler de ce problème, etc... Et ce journal, comme il est rédigé par des personnes et pas par un organisme avec une direction et une tête, il se destine un petit peu à tout le monde. »156(*) Les militants jouissent donc d'une grande liberté dans leurs actions. Les membres qui composent une commission particulière détiennent le choix des thèmes à traiter. Ils adoptent le rythme qu'ils préfèrent et ne sont pas tenus à une certaine productivité. Cette liberté nous apparaît être un gage de satisfaction central pour les militants. Ayant des visions et des attentes de l'engagement diverses, ils peuvent choisir ou proposer l'action qui leur correspond le mieux. Il leur est possible de se former en petits groupes autonomes, sur des affinités ou des sujet communs, et de fonctionner avec les individus qui ont les visions de l'engagement le plus proche d'eux. Ceci limite donc les frictions possibles dans l'association. Cela ajoute également au sentiment de liberté qui règne dans l'association puisque, de A à Z, les militants sont maîtres de leurs actions. Ils peuvent à la fois être à l'origine d'une action et la mener à bien comme ils l'entendent. Nous avions vu en première partie que les militants affichaient une grande autonomie à l'égard des mouvements auxquels ils participent. Celle-ci se retrouve dans la volonté d'autonomie au sein du mouvement. Un des aspects qui satisfait le plus les membres dans leur participation, est la liberté de parole et d'action proposée. Ce qui amène les militants à s'engager est justement la rupture avec une vision dirigée et uniformisée de l'action militante et ceci chez les anciens comme chez les nouveaux militants. Dans ATTAC, la rupture avec le fonctionnement des partis politiques est soulignée. L'engagement a lieu dans la mesure où le mouvement impose peu de choses : « J'avais envie un peu de m'approprier la politique mais sans être un militant bien discipliné d'un parti politique. »157(*) Les militants recherchent une structure où ils peuvent « se prendre en main » et créer les dimensions de leur militantisme. Le schéma de l'engagement qui les caractérise est à l'opposé de celui des « petits soldats ». L'autonomie, la possibilité de choisir et d'être les instigateurs des actions auxquelles ils participent est un aspect central de leur choix de structure. Ce qu'ils trouvent de plus dans ATTAC que dans un autre mouvement est donc la liberté d'agir. Liberté vis-à-vis d'instances supérieures et vis-à-vis des autres membres qui ont des priorités différentes. Tout comme pour l'initiative, l'autonomie des militants n'est possible que si l'association limite son contrôle sur les activités de chacun. En l'absence de critères communs pour juger les actions de chacun, le plus simple et le plus sûr est encore de ne pas le faire. Le fait que l'association adopte un mode de fonctionnement très lâche et flou est donc capital pour permettre à l'association de fonctionner. Ces commentaires sur la dernière crise qui a secoué l'association en sont la preuve : « C'est même pas un problème politique, c'est un problème d'ordre comportemental, quoi. C'est impossible de faire des choses avec cette personne, qui est issue d'une culture (pour le coup, quand je disais que ça pouvait poser des problèmes) radicalement différente. Et qui voit tout en termes de programme et d'efficacité millimétrée et de compte-rendus et machin, nous on peut pas fonctionner comme ça, quoi. On est des êtres humains complexes, on est pas à tous ranger dans des cases, quoi. Donc c'est pour ça que ça ne fonctionnait plus et puis on se rend compte que c'est super fragile une association. Puisqu'une personne qui pense pas tout à fait pareil, qui réagit pas de la même manière aux choses, ça fait éclater la cohésion du groupe et puis une association très facilement, en fait. »158(*) L'association laisse donc une grande liberté aux militants. Ici aussi, c'est le caractère local de l'engagement nous paraît permettre cette résurgence du militant en tant qu'acteur. Nous nous permettrons de mettre ce fait en parallèle avec l'analyse de Jacques Ion qui voit dans « le local » le lieu privilégié de l'engagement militant actuel, bien que les revendications dépassent ce cadre. La favorisation de la base s'effectue surtout comme échappatoire à toute « structuration trop contraignante »159(*), souci dont nous avons vu qu'il marquait fortement les militants. Le déclin du système fédéral au profit de la coopération témoigne pour lui « de relations en quelque sorte plus libres entre les individus et les groupements auxquels ils participent »160(*), répondant en cela aux caractéristiques des militants que nous présentions plus haut. * 155 Entretien 16. * 156 Entretien 16. * 157 Entretien 11. * 158 Entretien 16. * 159 in Jacques Ion, La fin des militants, les éditions de l'atelier, coll. enjeux de société, 1997 * 160 idem |
|