Associations ethniques en milieu estudiantin de l'Université de Kinshasa (RD Congo) : Neo-fraternité, lutte hégémonique et citoyenneté segmentée( Télécharger le fichier original )par Jean Pierre Mpiana Tshitenge Université de Kinshasa - DES en Sociologie 2006 |
2.3. Les associations ethniques dans la spirale des luttes hégémoniques dans le champ universitaire.
Le champ universitaire est naturellement un espace et enjeu de lutte entre d'une part les différentes fractions de la communauté universitaire16(*) et, d'autre part, les forces politico-idéologiques externes en lisse pour son investissement. Son contrôle est au centre des préoccupations de tous les protagonistes tant son potentiel subversif ne rassure jamais tous les groupes dominants et son prestige comme espace de production du savoir légitime (et rationnel) les fascine, ravive leur convoitise et les porte à y chercher un appui (soutien) pour légitimer leurs actions. Dans cette croisade, les associations ethniques en milieu estudiantin sont sollicitées tantôt pour subvertir tantôt pour maintenir les positions acquises (le statu quo) dans le champ universitaire. Nous soulignions précédemment que les associations ethniques en milieu estudiantin constituaient pour les étudiants une stratégie de réappropriation des instruments de domination matérielle et symbolique dans le champ universitaire. Au nombre de ces instruments figurent les postes de la représentation estudiantine : chef de promotion, délégué facultaire et président de la coordination estudiantine. A l'annonce des élections à ces postes, unique pratique démocratique tolérée par le pouvoir à l'échelle de l'université, tous les états-majors des associations ethniques se mettent en branle pour désigner leurs candidats et planifier les alliances à conclure pour conquérir ces postes. Les contacts officiels et officieux que permettent ces différents niveaux de la représentation estudiantine avec la hiérarchie académique et politique sont convoités pour sécuriser et garantir les intérêts de l'électorat ethnique. C'est ici que les regroupements supra-ethniques à l'échelle de la Province ou de coalition des Provinces (bloc de l'est ou bloc de l'ouest) montrent leur efficacité. Ce qui fait monter d'un cran la tension entre étudiants qui débouche de fois sur la violence.
Généralement, l'ombre des autorités académiques à différents échelons ne manque pas de planer sur ces associations estudiantines qu'elles promeuvent et téléguident. A leur initiative se créent certaines de ces associations qu'elles mettent à contribution pour contrôler les postes de la représentation estudiantines. Elles incitent leurs cadets de la coterie réunis dans ces associations à briguer ces postes et soutiennent financièrement leur « campagne électorale ». Les membres de ces associations sont instrumentalisés tantôt comme « fan-clubs » pour soutenir et vulgariser les actions de leurs mécènes, tantôt pour anticiper ou étouffer dans l'oeuf toute contestation en milieu estudiantin, tantôt pour conduire une contestation contre une autorité académique qu'on voudrait évincer. Elles se chargent de démobiliser toutes les revendications destinées à bousculer une autorité académique ou à les attiser contre celles contestées. Dans leurs ramifications externes, et en dépit de leur aveu officiel à l'apolitisme, les associations ethniques s'affichent généralement comme des jeunesses des partis politiques (du pouvoir comme de l'opposition). A travers elles, les partis politiques investissent le milieu universitaire, ce qui fait de l'Unikin l'université la plus politisée de la capitale. Avoir une base en milieu universitaire, surtout parmi les étudiants, semble être le pari à gagner pour tout parti politique, tant la communauté estudiantine apparaît comme fer de lance ou l'avant-garde du changement. Comme au Congo le parti politique est avant tout une affaire ethnique, la mobilisation de la communauté estudiantine par un parti passe toujours par les associations ethniques à telle enseigne que chaque parti politique dispose de sa jeunesse estudiantine tribale. Celles-ci rivalisent d'ardeur lorsqu'il faut soutenir les actions politiques de leurs leaders ou mobiliser en aussi grand nombre possible les participants aux meetings politiques. Elles se distinguent également dans la diffusion des rumeurs et la distribution des tracts que lacent leurs partis respectifs. De fois sous le couvert des associations scientifiques, certaines associations ethniques invitent leurs notabilités pour de production politique sur le site universitaire. * 16 Celle-ci est définie par Tshund'olela comme un groupe social spécifique, constitué par toutes les personnes qui enseignent, étudient, font la recherche ou travaillent à tout autre titre dans une institution d'enseignement universitaire. Cette communauté comprend quatre grandes composantes : les enseignants et les chercheurs (membres du personnel académique et scientifique) ; les étudiants ; les membres du personnel administratif, technique et ouvrier, et enfin les autorités académiques. Tshund'olela E.S., « Pour une (re)définition des libertés académiques en République Démocratique du Congo », in Actes du colloque sur les libertés académiques en République Démocratique du Congo, CODESRIA, Kinshasa, juin 2004. |
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